Reprendrons-nous le contrôle ? Comment se terminera la guerre du genre ?

Julie Bindel écrit : Ma copine Suzanne Moore sait de quoi elle parle, et je vous recommande vivement de lire cet excellent essai.

Suzanne Moore, 25 février, sur son site substack

Je causais l’autre jour avec un journaliste qui a souvent signé des reportages sur les guerres, et je lui ai demandé ce qu’il pensait de l’Ukraine. Il m’a dit qu’il ne prenait pas parti dans cet affrontement : il venait d’avoir un enfant et se gardait de la couverture de ce conflit.

Quiconque a côtoyé des journalistes de guerre sait qu’un tel choix est très inhabituel. Beaucoup d’entre eux deviennent tellement accros à l’adrénaline et au drame de la guerre, avec toute son horreur, qu’ils n’arrivent plus à fonctionner dans la vie normale. J’ai travaillé une fois avec un type qui avait couvert la chute de Saïgon mais qui était terrifié à l’idée de partir en vacances avec sa  famille à Tenerife. Il avait peur de voler, disait-il. Les avions militaires et les hélicoptères lui convenaient, mais il était incapable d’envisager quelque autre aéronef.

Mais découvrir quelqu’un qui choisissait de prendre du recul par rapport au journalisme de guerre m’a fait me demander si je pourrais moi aussi prendre du recul par rapport à la guerre du genre. Les guerres des TERFs, les guerres culturelles, appelez-les comme vous voulez – je parle de l’affrontement entre celles d’entre nous qui croient que le sexe est réel et important et le tsunami de l’idéologie transactiviste qui place le genre au-dessus du sexe et qui a déferlé sur nos institutions.

À dire vrai, si je devenais demain le plus viril des hommes et que je renonçais à tout ce que j’ai écrit à ce jour, cela ne ferait aucune différence. Les lignes de cet affrontement sont tracées depuis longtemps.

Mais je me demande souvent comment tout cela peut prendre fin.

J’ai déjà pensé que qu’une fois que les gens commenceraient à comprendre ce dont il s’agit réellement et à constater les preuves étayant nos dires, ils se réveilleraient vraiment.

Eh bien, j’avais tort, car on n’assiste aujourd’hui qu’à un durcissement des positions, parallèlement, dans certains cas, à un déni absolu de la science ou de toute reconnaissance des torts déjà encourus. Les éléments de preuve comptent apparemment pour tripette aux yeux des vrais croyants. Ils ont déjà nié tellement de choses – à commencer par l’existence même de ce conflit – que je ne vois pas comment résoudre cette attitude.

Dans toute résolution de conflit, il doit y exister un moyen permettant aux gens de rétrograder, de ne pas donner l’apparence d’avoir perdu la partie ou d’avoir eu tort. Comment cela arrivera-t-il pour ceux qui ont soutenu qu’il était possible, voire facile, de changer de sexe ? Que la féminité pouvait être appropriée sur la seule foi d’un homme; que les médicaments, la chirurgie et la thérapie « affirmative » étaient les seuls moyens d’aider des enfants en détresse; que personne n’adopterait jamais une identité transgenre pour ensuite violenter des femmes ou des enfants; que quiconque remettait en question de telles assertions n’était qu’une sale réactionnaire qui voulait sans doute rétablir l’infamant article 28 de l’époque Thatcher et espérait que tous les hommes gais meurent du VIH ?

Que font ces personnes lorsqu’elles sont confrontées à des preuves factuelles de leurs erreurs ? Parce que ces preuves sont maintenant indéniables et de plus en plus nombreuses.

Même le New York Times ne peut l’ignorer.  Il y a un an, cette auguste institution a utilisé dans sa publicité une jeune femme de couleur, ‘Lianna’, décrite comme « imaginant Harry Potter sans sa créatrice », bref promouvant essentiellement l’idée que faire disparaître JK Rowling était en quelque sorte une splendide position libérale. Depuis, le NYT a entamé un réel travail de journalisme sur les enjeux de la transition sexuelle et de la médecine pédiatrique. Ce choix a scindé l’équipe du journal, car il devient en effet très déroutant de remettre un tant soit peu en question des idées qu’entretiennent de « bonnes » personnes. Des idées telles que les bloqueurs de puberté sont bons et réversibles, ou que les énormes profits réalisés par la nouvelle industrie du genre sont en quoi que ce soit suspects, ou qu’il y a encore beaucoup de questions à poser sur les progrès réalisés par les femmes dans un pays qui n’a même pas de congé de maternité ou de droit à l’avortement.

J’ai évidemment moi-même vécu de très près une telle scission au sein d’un organe de presse qui a permis le manquement au devoir d’un véritable journalisme. C’est dans cette circonstance que j’ai quitté le Guardian. Là-bas, comme au New York Times, on considérait que poser la moindre question sur ce qui était en train d’arriver constituait en quelque sorte une attaque contre les personnes transgenres, un déni de leur existence même. La concurrence directe menée sur cet enjeu entre le NYT et la version états-unienne du Guardian a conduit à la suppression de toute information qui dérogeait à leur parti pris commun. Mon ancien journal a tout simplement fait la sourde oreille à des informations cruciales pour retenir ceux qui hurlaient « les droits trans sont des droits humains », sans sembler comprendre que les femmes étaient aussi des êtres humains.

C’est triste à dire, mais le Guardian est aujourd’hui en mauvaise situation. Financièrement, il a le dos au mur, devant faire face à la fois à une attaque par rançongiciel extrêmement onéreuse et à une baisse massive des cotisations de ses abonnés. Sur le plan éthique, une part croissante de son auditoire découvre avoir été maintenue dans l’ignorance d’enjeux importants.

La visibilité donnée à l’enquête de la Dre Hilary Cass (qui a conduit à la fermeture de la clinique d’identité sexuelle de l’hôpital Tavistock), ainsi qu’aux pratiques de groupes de pression comme Mermaids et Stonewall et à l’incarcération de violeurs dans des pénitenciers féminins a perturbé la posture narrative du Guardian. Ce média ne peut pas continuer à garder le silence sur des questions aussi épineuses. On ne peut pas être ‘non binaire’ en ce qui concerne la protection des enfants. Soit vous comprenez et défendez cette valeur, soit vous n’en avez cure.

Les enjeux qui me tiennent personnellement à cœur, et qui inquiètent de nombreuses féministes, à savoir la sécurité des femmes et des filles, ne peuvent être abandonnés sous prétexte des droits des trans. Le culte croissant de l’identité sexuelle peut chasser de ses rangs autant d’hérétiques qu’il le veut, jusqu’à ce que ne plus concerner qu’un petit nombre de personnes qui ne se parlent qu’entre elles.

Mais cette correction de tir est un processus de longue haleine.

Depuis que le New York Times a commencé à enquêter sur ce qui se passe dans les cliniques d’identité sexuelle, on sent qu’un scandale d’immense ampleur va éclater incessamment. Quand, je ne le sais pas. Même les Néerlandais – ceux-là mêmes qui ont inventé le « protocole hollandais » de recours aux bloqueurs de puberté – admettent aujourd’hui que les indications favorables à cette procédure étaient déjà insuffisantes à l’époque.

L’avenir est tracé devant nous géographiquement : nous pouvons maintenir le cap, comme les États-Unis et le Canada, ou nous pouvons suivre l’exemple de la Scandinavie et offrir de véritables thérapies plutôt que des hormones aux adolescent-es en détresse.

Les répercussions de tout cela vont bien au-delà du nombre réel de personnes transgenres présentes dans la population, comme la première ministre écossaise Nicola Sturgeon vient de le constater à ses dépens.

Je trouve incroyable le déni de la science chez les personnes d’allégeance libérale qui dénoncent les militants anti-vaccins ou ceux qui ne croient pas aux changements climatiques, mais qui ne voient pas que nous faisons affaire à une dynamique semblable. Le rapport ci-dessous du British Medical Journal décrit en détail les désaccords professionnels en cause, ainsi que l’augmentation inquiétante de la dysphorie sexuelle chez les jeunes filles : https://www.bmj.com/content/380/bmj.p382

Par ailleurs, j’ai décrit il y a quelques jours l’enquête médico-légale à laquelle s’est livrée l’autrice Hannah Barnes dans son nouveau best-seller Time to Think :

Recension de l’ouvrage d’Hannah Barnes Time to Think : l’exposé des dessous du scandale qui a discrédité la clinique britannique du genre Tavistock

La clinique Tavistock aurait appliqué des « traitements peu éprouvés à certaines des personnes les plus vulnérables de la société ».

Chaque fois que des scandales médicaux éclatent, nous nous demandons rétrospectivement comment des personnes bien intentionnées ont fini par faire de mauvaises choses. Le principe de « Ne pas nuire » est certainement la pierre angulaire de l’éthique médicale. Il y aura toujours des procédures ou des médicaments de pointe, mais les patients testés seront des adultes consentants. Pas des enfants.(…)

Lire la suite ici

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Hannah Barnes a enquêté sur ce qui s’est passé au Gender Identity Development Service, et ses conclusions sont pour le moins alarmantes. Certains des dénonciateurs actuels de la médecine du genre aux États-Unis sont d’ailleurs eux-mêmes transgenres.

Rien de tout cela n’est simple.

Mais comment cela pourrait-il l’être, alors que nous assistons à une explosion de mécontentement à l’égard du corps sexué et qu’une industrie florissante prétend pouvoir le ‘réparer’, parallèlement à une culture de lobbyistes et de personnes qui veulent simplement être perçues comme prenant les bonnes décisions mais sans vraiment comprendre ce que signifie le genre ?

Le fait que le débat sur ce sujet ait enfin lieu est une excellente chose, car c’est exactement ce que certains transactivistes voulaient éviter. Le slogan martelé par le lobby Stonewall était « No Debate » (Pas de débat). Malheureusement, maintenant que le débat sur les prétendus droits des trans s’est télescopé à une controverse sur la liberté d’expression, nous pouvons constater la fragilité de l’opinion que se font certains de la liberté.  

Ces gens peuvent s’en passer.

Les véritables champions de la liberté d’expression sont en fait les femmes qui tiennent à être appelées  femmes, non pas parce que nous nous identifions comme telles, mais parce que c’est ce que nous sommes, plutôt que les défenseur-es (et j’en suis une) de ce méchant vieux Roald Dahl.

Si vous avez déjà été assise dans une salle d’un emplacement secret dont des hommes martelaient les fenêtres et vous menaçaient parce que vous osiez parler de vos droits sexuels, alors laissez-moi vous dire que votre engagement envers la liberté d’expression en aurait été renforcé.

Les lieux où se réunissent les femmes sont sous attaque. Vous pouvez détester le réseau Mumsnet autant que vous voulez, mais je ne peux qu’approuver quiconque décrit M. ‘Right Side of History’ (NdT : le chroniqueur Owen Jones, antiféministe attitré du Guardian) comme une « gerboise revendicatrice obsédée par le genre ».

Dans dix ans, bon nombre d’hommes (et de femmes) qui réclament actuellement l’apport de modifications permanentes à des corps d’enfants auront sans doute réécrit leur rôle dans l’histoire de notre époque turbulente. C’est leur méthode. Il n’y aura pas de retour en arrière, juste un discret révisionnisme de leurs posts sur Twitter. D’autres apprendront peut-être quelque chose sur l’importance de fondements scientifiques et beaucoup conserveront sans doute une vague confiance à l’égard de l’idéologie genriste.

À bien des égards, je prévois que la fin de la guerre du genre ressemblera un peu à l’épopée du Brexit. Celles et ceux à qui on a vendu un mensonge reconnaissent avoir été dupes, mais nous devons tous en tirer le meilleur parti. La promesse du Brexit était une reprise de contrôle de nos destinées. Ce n’était qu’une illusion, même si j’y ai cru moi-même à un moment donné. Le résultat n’est pas ce qui nous a été promis. Pas du tout.

La transition de sexe au moyen d’interventions chirurgicales et d’hormones promet que l’esprit peut prendre le contrôle du corps. Ce n’est pas le cas. Nous sommes des êtres incarnés, pas des cerveaux dans des bocaux. Cette illusion de contrôle s’évapore complètement au moment de la naissance ou de la mort. L’accouchement est une expérience qui échappe à notre contrôle : il se passe alors des choses dont vous n’aviez aucune idée. Vous ne pouvez pas choisir si vos seins s’emplissent de lait, ils le font tout simplement. Vivre dans un corps biologique féminin est une expérience de montagnes russes, de la puberté à la reproduction et jusqu’à la ménopause. Le sentiment de notre mortalité et de notre biologie fait partie intégrante de notre vie, ce qui n’est simplement pas le cas pour les hommes.

Nous perdons à nouveau le contrôle lorsque nous devenons malades, âgées ou mourantes. De nombreuses maladies sont injustes et ne peuvent être soignées. Lorsqu’elles peuvent l’être, c’est grâce à une médecine fondée sur des preuves empiriques, et non à une foi aveugle.

Tout le monde en a ras-le-bol du Brexit et du discours qui nous invite à « manger des navets », mais d’une manière ou d’une autre, nous devons survivre à la situation. Nous ne pouvons pas faire comme si l’Europe n’existait pas. Nous devons accepter nos limites en tant que puissance post-coloniale. Nous voulons contrôler nos frontières tout en comptant sur une main-d’œuvre immigrée. Les contradictions sont innombrables, encore une fois parce que tout cela est né d’une politique fondée sur l’émotion plutôt que sur la réalité.

La guerre du genre finira-t-elle ainsi ? Une sorte d’adaptation bâclée, où certains arriveront à reconnaître : « Oui, il se peut que nous ne puissions pas changer de sexe ». Quelqu’un admettra-t-il que des erreurs ont été commises ? Beaucoup de gens se retrouvent actuellement entre deux eaux. Ils veulent que les personnes transgenres vivent dans la liberté et la dignité, mais sans pouvoir tolérer une expérimentation débridée sur des enfants.

Je me retirerai de cette guerre quand elle sera gagnée. Et comme elle est en train d’être gagnée à mesure que des enquêtes sérieuses sont rendues publiques, je comprends alors que les attaques lancées contre des femmes comme moi deviendront de plus en plus désespérées et vicieuses (ou parfois simplement stupides, sans citer de noms).

De quel côté êtes-vous, les filles ?

Mon camp a toujours été celui de la lutte contre l’homophobie et la misogynie. Cela n’a jamais été le côté le plus facile à défendre, mais c’est là où devrait se trouver toute personne progressiste. 

Aidez-moi à bien me faire comprendre.

Suzanne Moore

Les lettres de Suzanne Moore sont affichées sur son site substack.

Traduction : TRADFEM

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