Par Pamela Paul, chroniqueuse d’opinion, dans le New York Times
« Les personnes transgenres ont besoin et méritent d’être protégées. »
« Je pense que la majorité des personnes transidentifiées non seulement ne représentent aucune menace pour les autres mais sont vulnérables. »
« Je respecte le droit de chaque personne transgenre à vivre de la manière qui lui semble authentique et confortable. »
« Je ne ressens rien d’autre que de l’empathie et de la solidarité envers les transfemmes qui subissent des violences masculines. »
Ces déclarations sont de la plume de J.K. Rowling, l’autrice de la série « Harry Potter », une militante des droits de la personne et, aux dires d’une frange bruyante de l’internet et d’un certain nombre de puissants transactivistes et groupes de lobbying LGBTQ, une transphobe.
Même de nombreux fans dévoués de Rowling ont fait écho à cette accusation. En 2020, The Leaky Cauldron, l’un des principaux sites de fans de « Harry Potter », a déclaré que Rowling avait « approuvé des croyances nuisibles et non prouvées sur ce que signifie être une personne transgenre ». Ce site a fait savoir à ses abonnés qu’il éviterait désormais de publier des citations et des photos de l’autrice.
D’autres critiques ont demandé aux librairies de retirer ses livres des rayons, ce que certaines ont fait. Rowling a également dû subir des agressions verbales, la divulgation de ses coordonnées personnelles (doxxing) et des menaces de violences sexuelles et physiques, y compris des menaces de meurtre.
Aujourd’hui, dans le cadre d’interviews rares et variées pour la série de podcasts The Witch Trials of J.K. Rowling, dont la diffusion débute la semaine prochaine, Mme Rowling partage ce qu’elle a vécu : « J’ai eu droit à des menaces directes de violence, et des gens sont venus chez moi, là où vivent mes enfants, et mon adresse a été publiée en ligne », dit-elle dans l’une de ces interviews. « J’ai reçu ce que la police, en tout cas, a considéré comme des menaces crédibles. »
Cette campagne menée contre Rowling est aussi dangereuse qu’absurde. La brutale agression au couteau de Salman Rushdie l’été dernier nous rappelle avec force ce qui peut arriver lorsque des écrivains sont diabolisés. Et dans le cas de Rowling, la caractérisation d’elle comme transphobe ne correspond en rien à ses opinions réelles.
Alors pourquoi l’accuser de transphobie ? Vous pourriez penser que Rowling a sûrement joué un rôle dans cette affaire.
La réponse est simple : On l’attaque parce qu’elle a soutenu le droit à des espaces réservés aux femmes biologiques, tels que les refuges pour les victimes de violences conjugales et les pénitenciers féminins. Parce qu’elle a insisté sur le fait que, lorsqu’il s’agit de déterminer le statut légal d’une personne en matière d’identité sexuelle, une simple auto-déclaration ne suffit pas. Parce qu’elle a exprimé son scepticisme face à des expressions telles que « les personnes qui ont leurs règles » en référence aux femmes biologiques. Parce qu’elle s’est défendue et, bien plus important encore, a soutenu d’autres personnes, y compris des transsexuel-les et des universitaires féministes, qui ont été attaqué-es par des transactivistes. Et parce qu’elle a suivi sur Twitter et loué certains des écrits de Magdalen Berns, une féministe lesbienne qui avait publié des commentaires incendiaires en ironisant sur les transactivistes.
Vous pouvez ne pas être d’accord – et même disconvenir fortement – avec les opinions et les actions de Rowling. Vous pouvez penser que la prévalence de la violence à l’encontre des personnes transgenres signifie que la diffusion d’opinions contraires à celles des transactivistes va aggraver l’animosité envers une population vulnérable.
Mais rien de ce qu’a dit Rowling ne peut être qualifié de transphobe. Elle ne conteste pas l’existence de la dysphorie sexuelle. Elle n’a jamais exprimé d’opposition à l’idée de permettre aux gens de faire une transition dans le cadre d’une prise en charge thérapeutique et médicale fondée sur des preuves. Elle ne refuse pas en rien aux personnes transgenres l’égalité de rémunération ou l’accès au logement. Bref, rien ne prouve qu’elle mette les personnes transgenres « en danger« , comme on l’a prétendu, ni qu’elle nie leur droit d’exister.
« Vous brûlez la mauvaise sorcière »
Prenez exemple de l’une de ses anciennes détractrices. L’année dernière, E.J. Rosetta, une journaliste qui avait dénoncé Rowling pour sa prétendue transphobie, a été chargée d’écrire un article intitulé « 20 citations transphobes de J.K. Rowling dont nous avons décidé de nous passer ». Après 12 semaines de travail sur ce reportage et de lecture, Rosetta a écrit : « Je n’ai pas trouvé sous sa plume un seul message réellement transphobe. » Sur Twitter, elle a déclaré : « Vous brûlez la mauvaise sorcière. »
Pour mémoire, j’ai moi aussi lu tous les livres de Rowling, y compris ses romans policiers écrits sous le nom de plume de Robert Galbraith, et je suis revenue bredouille. Ceux qui ont épluché son œuvre à la recherche de transgressions ont énoncé le fait que dans l’une des œuvres de Galbraith, Rowling a inclus un personnage transgenre et que dans un autre de ces romans, un tueur se déguise occasionnellement en femme. Inutile de dire qu’il faut un genre particulier de personne pour voir là une preuve de sectarisme.
Ce n’est pas la première fois que Rowling et son œuvre sont condamnées par des idéologues. Pendant des années, les livres de la série « Harry Potter » ont été parmi les plus interdits en Amérique. De nombreux chrétiens y ont dénoncé la représentation positive de la sorcellerie et de la magie ; certains ont traité Rowling d’hérétique. Megan Phelps-Roper, une ex-membre de l’hyper-réactionnaire Église baptiste de Westboro et autrice de Unfollow : A Memoir of Loving and Leaving Extremism, dit avoir apprécié ces romans lorsqu’elle était enfant mais que, élevée dans une famille connue pour son extrémisme et son sectarisme, on lui a appris à croire que Rowling irait en enfer à cause de son soutien aux droits des homosexuels.
Phelps-Roper a pris le temps de repenser ses préjugés. C’est aujourd’hui l’animatrice de la série The Witch Trials of J.K. Rowling. Ce podcast, basé sur neuf heures d’entretiens avec J.K. Rowling – la toute première fois où Rowling s’est longuement exprimée sur son engagement – explore les raisons pour lesquelles J.K. Rowling a fait l’objet d’autant de vitriol en dépit d’une œuvre qui embrasse les vertus d’être un outsider, le pouvoir de l’empathie envers ses ennemis et la primauté de la loyauté envers ses ami-es.
Ce podcast, qui comprend également des entrevues des de détracteurs de Rowling, examine les raisons pour lesquelles Rowling a utilisé sa tribune pour contester certaines revendications de la prétendue idéologie genriste, comme l’idée que les hommes se disant transfemmes devraient être traités comme des femmes biologiques dans pratiquement tous les contextes juridiques et sociaux. Pourquoi, ont demandé ses fans et ses plus féroces détracteurs, prenait-elle la peine d’adopter une telle position, sachant que des attaques s’ensuivraient ?
On lui oppose souvent l’argument suivant : « Vous êtes riche. Vous pouvez vous offrir des mesures de protection. Vous n’avez pas été réduite au silence. Tout cela est vrai, répond-elle. Mais je pense que cela passe à côté de l’essentiel. La tentative de m’intimider et de me faire taire a pour but de servir d’avertissement à d’autres femmes ayant des opinions semblables et qui pourraient également souhaiter s’exprimer », déclare Rowling dans le podcast.
« Et je le dis parce que j’ai vu cette tentative utilisée de cette façon », poursuit l’écrivaine. Elle affirme que d’autres femmes lui ont dit avoir été averties : « Regardez ce qui est arrivé à J.K. Rowling. Soyez sur vos gardes. »
Récemment, par exemple, Joanna Cherry, une députée du Parti national écossais, lesbienne et féministe, a publiquement contesté l’adoption par l’Écosse d’une loi sur l' »auto-identification » qui permettrait aux hommes d’établir légalement, par simple déclaration, qu’ils sont des femmes après avoir vécu pendant seulement trois mois en tant que transfemme, sans nécessité du moindre diagnostic de dysphorie sexuelle. Mme Cherry a déclaré avoir été victime d’intimidation sur son lieu de travail et de menaces de mort ; elle a également été démise de son poste de premier plan au Parlement écossais en tant que porte-parole pour la Justice et les Affaires intérieures. « Je pense que certaines personnes ont peur de s’exprimer dans ce débat, car lorsqu’elles le font, elles sont souvent qualifiées à tort de transphobie ou d’intolérance », a-t-elle déclaré.
Mme Phelps-Roper m’a dit que le franc-parler de Rowling est justement mis au service de ce genre de cause. « Beaucoup de gens pensent que Rowling utilise ses privilèges pour attaquer un groupe vulnérable. Mais elle considère prendre la défense d’un groupe vulnérable. »
La prise de parole comme responsabilité et obligation
Rowling, a ajoute-t-elle, voit la prise de parole comme une responsabilité et une obligation : « Elle regarde autour d’elle et se rend compte que d’autres personnes s’autocensurent parce qu’elles n’ont pas les moyens de s’exprimer. Pour sa part, elle a senti qu’elle devait être honnête et s’élever contre un mouvement qui, selon elle, utilisait des tactiques tyranniques. »
Comme Rowling elle-même le souligne dans ce podcast, elle a écrit des livres où « dès la première page, l’intimidation et le comportement autoritaire sont tenus pour l’un des pires maux de l’humanité. » Ceux qui accusent Rowling de s’en prendre de haut à ses détracteurs ignorent le fait qu’elle prend la défense des personnes qui se sont tues pour éviter une perte d’emploi, une diffamation publique et les menaces à leur sécurité physique qu’ont subies d’autres critiques des récentes orthodoxies de genre.
Les médias sociaux sont ensuite utilisés pour amplifier ces attaques. C’est une stratégie que Mme Phelps-Roper a bien connue l’époque où elle collaborait au groupe de Westboro. « Nous misions sur les accusations qui nous attiraient le plus d’attention, et diffusions souvent les versions les plus scandaleuses et agressives de nos convictions », se souvient-elle.
Il y a sans doute un indice que le vent est en train de tourner dans le fait qu’à l’instar de Mme Phelps-Roper, plusieurs personnes créatives partageant les mêmes idées bravent enfin l’opinion publique, même si ce sont généralement des gens que protège leur richesse ou le soutien solide de leur employeur. Ces derniers mois, après le silence ou pire encore de certains des jeunes acteurs dont la carrière a été lancée par l’œuvre de Rowling, plusieurs vedettes de la série des films « Harry Potter », comme Helena Bonham Carter et Ralph Fiennes, ont publiquement défendu l’autrice de ces œuvres.
Selon Fiennes : « J.K. Rowling a écrit ces grands livres importants sur la prise d’un pouvoir personnel, sur les jeunes enfants qui se découvrent en tant qu’êtres humains. Elle a décrit la façon dont on devient un être humain meilleur, plus fort, plus centré sur la morale, a-t-il déclaré. La violence verbale qui lui est adressée est dégoûtante. C’est consternant. »
Le vent tourne
Malgré une couverture médiatique qui peut être embarrassante de crédulité lorsqu’il s’agit de reprendre les accusations lancées contre Rowling, un petit nombre de journalistes influent-es ont également commencé à prendre sa défense. Ici, en Amérique, Caitlin Flanagan, de The Atlantic, a tweeté l’année dernière : « On finira par lui donner raison, et le prix élevé qu’elle a payé pour rester fidèle à ses convictions sera considéré comme le choix d’une personne de principe. »
En Grande-Bretagne, la chroniqueuse libérale Hadley Freeman a quitté le Guardian après que, dit-elle, ce journal ait refusé de l’autoriser à interviewer Rowling. Elle a depuis rejoint le Sunday Times, où sa première chronique a félicité Rowling pour ses positions féministes. Une autre chroniqueuse libérale du Guardian est partie pour des raisons similaires ; après être passée au Telegraph, Suzanne Moore a défendu Rowling, malgré des menaces antérieures de viol contre elle et ses enfants pour son travail.
Des millions de lecteurs et lectrices de Rowling ne sont sans doute pas au courant de ces tentatives de diabolisation. Mais cela ne signifie pas que, comme pour d’autres affirmations farfelues, qu’il s’agisse du Big Lie ou de Qanon, de telles accusations ne sont pas insidieuses et tenaces. Notre culture a semé le germe selon lequel les jeunes devraient penser qu’il y a quelque chose de mal à aimer les livres de Rowling, que ses livres sont « problématiques » et qu’apprécier son travail est « délicat ». Ces dernières semaines, un nouveau jeu vidéo sur le thème de « Harry Potter » a suscité un tollé de la part de ses détracteurs. Ce salissage est honteux. Les enfants gagneraient à lire « Harry Potter » sans réserve et à en absorber les leçons.
Car ce que Rowling dit réellement compte beaucoup. En 2016, lorsqu’elle a accepté le prix de la fondation PEN/Allen pour ses services à la littérature, l’autrice a évoqué son soutien au féminisme – et aux droits des personnes transgenres. Pour la citer, « Mes détracteurs sont libres de prétendre que j’essaie de convertir les enfants au satanisme, et je suis libre d’expliquer que j’explore la nature humaine et la moralité, ou de leur dire « Vous êtes des idiots », selon le côté du lit d’où je suis sortie ce jour-là… »
Rowling aurait pu demeurer dans son lit. Elle aurait pu se planquer dans sa richesse et son auditoire de fans. Dans son univers « Harry Potter », les héros se démarquent par leur courage et leur compassion. Ses meilleurs personnages apprennent à tenir tête aux brutes et à dénoncer les fausses accusations. Ils et elles nous apprennent que, même lorsque le monde semble s’opposer à vous, vous devez rester ferme dans vos convictions profondes sur ce qui est la bonne voie.
Défendre les personnes qui sont bafouées n’est pas chose facile, surtout chez les jeunes. Comme le sait le public de « Harry Potter », il est effrayant de tenir tête aux tyrans. Que les adultes présents dans la pièce leur montrent le chemin. Si davantage de personnes prenaient la défense de J.K. Rowling, elles ne feraient pas que lui rendre service ; elles défendraient aussi les droits de la personne, en particulier ceux des femmes, des gais et lesbiennes et, oui, les droits des personnes transgenres. Elles défendraient également le souci de la vérité.
Les méthodes employées par les transactivistes (certains transactivistes, pour sacrifier à la nuance) sont des méthodes d’intimidation envers les faibles : ce sont exactement celles de l’extrême droite.
La plupart des militants d »‘extrême » gauche (de gauche tout simplement, pour être réaliste) n’emploie pas ces méthodes déloyales, parce qu’elles sont contraires aux valeurs de gauche (protection des faibles et à chacun selon ses besoins).
C’est le plus souvent à droite qu’il faut chercher les menaces personnelles, les intimidations envers les femmes, les menaces de viols envers des opposants politiques choisis parmi les plus faibles.
Les descentes fascistes, les ratonnades (violence envers les plus fragilisés socialement), n’ont pas d’équivalent « gauchiste ». Au pire la chemise d’un patron milliardaire et parasite qui veut licencier des pauvres gens est-elle déchirée, lorsqu’il refuse de négocier. Donc quand la gauche se montre violente, c’est envers les forts, envers ceux qui ont du pouvoir et s’en servent pour nuire.
Donc a-t-on un exemple de transactivistes qui s’attaqueraient avec autant d’énergie à un politique d’extrême droite, ou même de droite tout simplement ? Pourtant (mais pour des raisons tout à fait différentes), ces politiques ne sont pas transactivistes. Et eux, en plus, sont transphobes.
Mais non, les transactivistes préfèrent s’en prendre aux féministes, en tant que militants.
Donc les méthodes des transactivistes sont les mêmes que celle de l’extrême droite : attaquer les faibles en priorité. Attaquer les faibles tout court, d’ailleurs, je n’ai aucun exemple d’action menée contre un homme sexiste par ce mouvement. Y-a-t-il un équivalent de JK Rowling au masculin ? Pourtant, il doit y en avoir, des hommes de droite transphobe…
Une déduction saute aux yeux : les valeurs et l’action du mouvement transactiviste sont proches de celles de l’extrême droite, qui est anti-féministe, personne ne l’ignore.
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Il est significatif que les plus lourdes organisations de défense des LBGT (par ex., Human Rights Watch et GLAAD) ont mobilisé des dizaines de milliers de membres et de soutiens pour faire pression sur le New York Times pour avoir osé publier ce texte d’opinion. C’est dire à quel point les journalistes honnêtes risquent gros à tenter de tenir tête aux malversations de ce lobby.
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DERNIÈRE HEURE: Notre amie Audrey Aard a également traduit ce texte sur son blog, Perpectives cubi(s)tes, en le complétant de nombreux commentaires. Comme l’opinion exprimée par Pamela Paul dans le NY Times semble avoir déclenché une offensive de grande envergure de la part du lobby du genre (tweets, lettres, pétitions, etc.), nous vous invitons à aller lire ces commentaires, sur son site substack afin de mieux saisir à quel point il est devenu crucial pour les genristes de discréditer pour de bon Mme Rowling et les médias qui prennent sa défense contre cette entreprise de diffamation.
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