Par Suzanne Moore
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Le centre Tavistock aurait appliqué des « traitements peu éprouvés à certaines des personnes les plus vulnérables de la société ».
Chaque fois que des scandales médicaux éclatent, nous nous demandons rétrospectivement comment des personnes bien intentionnées ont fini par faire de mauvaises choses. Le principe de « Ne pas nuire » est certainement la pierre angulaire de l’éthique médicale. Il y aura toujours des procédures ou des médicaments de pointe, mais les patients testés seront des adultes consentants. Pas des enfants.
Ce ne fut pas le cas au Service de développement de l’identité de genre (SDIG) intégré à la prestigieuse clinique Tavistock. La « Tavi » était autrefois considérée comme la première unité ambulatoire de soins psychodynamiques du Royaume-Uni. De nombreux grands noms y ont travaillé, de Bion à Bowlby en passant par Laing.
En 1994, le SDIG a été intégré au « Tavi » et, en 2009, il a acquis une nouvelle directrice, la Dre Polly Carmichael. Pourtant, en juillet 2022, à la suite d’un rapport préliminaire soumis par la Dre Hilary Cass, le SDIG n’a plus été considéré comme une option sûre ou viable pour les jeunes souffrant de stress lié à l’identité sexuelle (gender) et le service a fermé ses portes.
Il a été dit que ce service du ministère britannique de la Santé (National Health Trust) appliquait « des traitements peu éprouvés à certaines des personnes les plus vulnérables de la société ». Aussi choquant que cela puisse sembler, l’élément le plus choquant est la quantité de personnes qui étaient au courant de la situation et qui n’ont rien fait pour y rémédier.
L’ouvrage bien documenté que vient de signer Hannah Barnes (Time to Think : The Inside Story of the Collapse of the Tavistock’s Gender Service for Children) analyse en détail comment cette situation a pris forme. L’autrice y donne la parole à plus de 60 clinicien-nes : psychologues, psychothérapeutes, infirmières, travailleurs sociaux. C’est cette approche médico-légale qui rend ses conclusions si dévastatrices. Barnes n’aborde pas la question d’un point de vue idéologique. Certain-es des ex-patient-es qu’elle interviewe sont heureuses d’avoir « transitionné », et d’autres ne le sont pas. Ces dernières estiment que les risques du parcours médical auquel on les a inscrites ne leur ont jamais été expliqués ou qu’elles étaient trop jeunes pour en comprendre toutes les implications. Une jeune fille a demandé si, lorsqu’elle recevrait de la testostérone, elle serait capable de produire du sperme.
Ces patients et patientes étaient des jeunes en détresse, qui présentaient souvent des problèmes complexes : autisme, troubles alimentaires, automutilation, dépression. L’identité sexuelle n’était souvent qu’un seul de leurs sujets d’angoisse, mais au SDIG, elle en est venue à prendre le pas sur tout le reste. Le « modèle affirmatif » préconisé par la clinique consistait à appuyer le sentiment de l’enfant qu’elle ou il était transgenre et à lui donner « du temps pour réfléchir » en l’orientant vers une évaluation de l’oppportunité de bloquer sa puberté. Les responsables du SDIG suivaient le « protocole néerlandais », appelé ainsi parce que les Néerlandais utilisaient ces médicaments depuis la fin des années 80, même si les données à leur sujet étaient sommaires et ne soutenaient pas leur utilisation. Aucune réduction de la dépression ou de l’automutilation n’avait été constatée.
Ces médicaments n’étaient pas nouveaux ; ils avaient été utilisés sur des prisonniers masculins pour leur infliger une castration chimique. Quant aux effets à long terme sur les enfants, les recherches disponibles sont de pauvre qualité. Certaines études montrent que ces médicaments affectent la densité osseuse, le développement du cerveau et la fonction sexuelle. La France, la Suède et la Finlande ont toutes trois suspendu la prescription de ces produits jusqu’à ce que d’autres études longitudinales aient été réalisées.
La journaliste Hannah Barnes, autrice de Time to Think : The Inside Story of the Collapse of the Tavistock’s Gender Service for Children.
La Dre Anna Hutchinson, l’une des principales répondantes de Mme Barnes, a dit être devenue de plus en plus alarmée par le fait que des enfants âgés de 10 ans seulement étaient orientés vers des bloqueurs de puberté, dont on disait qu’ils étaient réversibles, alors qu’ils conduisaient presque toujours à l’utilisation d’hormones transsexuelles à vie.
Toute la question de la dysphorie sexuelle était devenue, au milieu des années 2000, un enjeu très controversé. En février 2015, le groupe de pression Stonewall a déclaré qu’il étendait aux personnes transgenres son mandat de revendication de l’égalité pour les lesbiennes, les gays et les bisexuels (LGB). L’année précédente, le SDIG est passé à un critère « étapiste plutôt qu’âgiste » de prescription des bloqueurs de puberté, lui permettant d’y référer des enfants de moins de 12 ans.
En 2007, 50 enfants par an étaient référés au SDIG, mais en 2020, ils et elles étaient déjà 5000. En conséquence, le SDIG s’est retrouvé avec de très longues listes d’attente, les psychiatres juniors écopant de charges de travail de 100 dossiers, au lieu de 30 comme le voulait la pratique standard du ministère de la Santé. De nombreux cliniciens ont quitté le Service pour cette raison.
Pour composer avec ce nouvel achalandage, des psychiatres stagiaires furent recrutés. L’atmosphère de travail était qualifiée d’intense mais familiale, mais les problèmes présentés devenaient complexes. Si une fille avait été victime d’agression sexuelle, par exemple, elle pouvait avoir de bonnes raisons de détester son corps de femme. Pourquoi les bloqueurs seraient-ils appropriés dans son cas ?
Les inquiétudes concernant l’autisme des jeunes ou les pressions parentales auraient été écartées par la Dre Carmichael. Des enfants qui arrivaient s’identifiaient non seulement à l’autre sexe mais à d’autres ethnies, comme les Japonais. En 2017, les trois quarts des jeunes patient-es étaient maintenant de sexe féminin, un changement radical par rapport aux années précédant 2010, où la majorité était composée de garçons. Le personnel ne se demandait-il pas pourquoi ?
Certains clinicien-nes qui étaient entré-es dans la profession pour privilégier la thérapie par la parole (talking therapy) n’en faisaient presque jamais, car les jeunes patient-es étaient orientés vers la filière médicamenteuse, souvent après aussi peu que deux séances. Pendant ce temps, certains cliniciens homosexuels se demandaient si tout cela ne constituait pas une thérapie de conversion visant les enfants à tendance homosexuelle. Certains membres du personnel se sentaient sous surveillance ; ils et elles ressentaient des doutes quant aux traitements, mais étaient réticent-es à les exprimer de peur d’être accusé-es de transphobie. Affirmer que le sexe lui-même était une donnée immuable constituait clairement une hérésie.
Des voix isolées se sont tout de même fait entendre. Quelqu’un a fait sombrement référence au scandale de la clinique Mid Staffs, où des soins déficients avaient causé des centaines de décès. Sonia Appleby a dénoncé le scandale. Le Dr David Bell a dénoncé le scandale. Le silence a commencé à être levé. L’ex-patiente Keira Bell, qui s’était vue prescrire des agents bloqueurs par le SDIG à 16 ans et avait subi une double mastectomie à 20 ans avant de regretter ensuite sa transition, a intenté contre la Tavistock un recours en justice. Dans leur décision favorable à son recours, les juges de la High Court ont été formels quant au manque de suivi à long terme accordé aux patient-es et à l’absence d’intérêt pour les détransitionneurs.
Keira Bell, qui avait été orientée vers des bloqueurs de puberté, a intenté une action en justice contre la clinique Tavistock.
Le tribunal s’est dit surpris à plusieurs reprises que le SDIG ne puisse pas documenter le nombre et les âges des jeunes orienté-es vers des agents bloqueurs entre 2011 et 2020. On n’a pas rassemblé de données non plus sur le nombre de celles et ceux qui avaient reçu un diagnostic d’autisme ou qui avaient progressé vers la prise d’hormones de l’autre sexe. Les juges ont souligné « le caractère expérimental de ce traitement et l’impact profond qu’il a eu ».
Bien que ce jugement ait été infirmé en appel en 2021, l’image de la Tavistock avait été irrémédiablement endommagée. C’était presque comme si toute cette institution avait été détournée par l’explosion d’une idéologie politique hasardeuse. Les initié-es ont simplement parlé d’un climat de « folie ».
En tant que personne qui était au courant de ce dossier depuis des années, alors que des gens m’écrivaient pour demander à mon ancien journal d’enquêter à ce sujet, je pourrais dire que tout cela était dû au transactivisme. Mais ce n’était pas aussi simple.
Barnes documente un échec massif au niveau de l’institution et du leadership en matière de protection des droits des jeunes. Des employés subalternes n’ont pas osé affronter l’aveuglement de leurs gestionnaires. Certains des 10 000 enfants qui sont passés par le SDIG ont été aidés, c’est certain. Mais qu’en est-il des autres ? Ce livre incroyablement important montre que nous ne savons toujours pas combien d’entre eux ont été endommagés à vie.
J’aimerais que chaque institution et chaque politicien qui pontifie sur les questions de genre lise ce livre et pose la question de ce qui est arrivé à toutes ces filles et ces garçons perdus – et se demande pourquoi ils ont été complices.
L’Amérique du Nord se réveille également et des clinicien-nes prennent la parole. Il y aura beaucoup d’autres révélations de ce genre. L’invention de « l’enfant transgenre » a été intrinsèque à cette idéologie. Les adultes qui font ces choix personnels sont, comme je l’ai toujours dit, une autre affaire. Je continue à être choquée par l’homophobie qui sous-tend clairement tout ce dossier et je vais sans aucun doute réexaminer cette question.
Suzanne Moore
Traduction : TRADFEM
Version originale: https://www.telegraph.co.uk/books/what-to-read/time-think-review-book-tells-full-story-tavistocks-trans-scandal/ et
https://www.spectator.co.uk/article/how-did-the-tavistock-gender-scandal-unfold/?fbclid=IwAR3MaKu58Phwb5I2wmNA78BFw9dUdoZy85eG4BCdLOZQU6bNsWMZi70-d7U par Julie Bindel
et https://www.thetimes.co.uk/article/time-to-think-by-hannah-barnes-review-the-inside-story-of-the-collapse-of-the-tavistock-s-gender-clinic-z7wwj9rtw par Janice Turner