La militante canadienne Heather Mason signe une préface à un nouveau rapport rédigé par Jo Phoenix, autrice et professeure de criminologie au Royaume-Uni*, que vient de publier l’Institut Macdonald-Laurier.
Selon elle, la décision d’inclure des hommes anatomiques qui s’identifient comme femmes dans une population de détenues crée une nouvelle couche de vulnérabilité pour un groupe déjà vulnérable.
OTTAWA, ON (6 février 2023) : Le Service correctionnel du Canada a adopté en 2017 une politique provisoire donnant aux délinquants de sexe différent, y compris ceux qui s’identifient comme transgenres, le choix d’indiquer où ils aimeraient être incarcérés – dans les prisons pour femmes ou dans les prisons pour hommes. Cette politique provisoire a finalement servi de base à la Directive du commissaire 100 : Délinquants sexuels (DC100), qui a été mise en œuvre en 2022 : elle redéfinit les prisons pour femmes comme des lieux où l’on incarcère en fonction de l’identité de genre et non du sexe.
Dans ce document de l’IML, intitulé Rights and wrongs : How gender self-identification policy places women at risk in prison, Mme Phoenix examine les effets de la DC100, arguant qu’elle met activement les femmes en danger, porte atteinte à leurs droits et désavantage de manière disproportionnée les femmes issues de minorités.
« Il n’existe aucune preuve substantielle à l’appui d’une politique de placement en prison qui permet aux prisonniers transgenres de choisir la prison dans laquelle ils purgeront leur peine », affirme Jo Phoenix. « Mais nous disposons d’un nombre croissant de cas spécifiques où des femmes ont été directement lésées par de telles politiques. »
Selon l’auteur, les infractions de nombreuses femmes qui se retrouvent dans le système de justice pénale ont lieu dans un contexte d’inégalités économiques (par rapport aux hommes), de taux de victimisation violente disproportionnés et de taux d’agression sexuelle extrêmement disproportionnés. Ainsi, la DC100 crée une nouvelle couche de vulnérabilité pour un groupe déjà vulnérable.
« Les femmes détenues qui sont retraumatisées par la présence d’individus de sexe masculin – en particulier dans des programmes de réadaptation qui peuvent très bien aborder la violence masculine – ne peuvent pas simplement partir et trouver un autre groupe auquel participer », écrit Mme Phoenix.
L’autrice conclut que le principal moteur du changement de la politique canadienne de placement dans les prisons n’était ni la preuve ni la nécessité légale, mais des considérations politiques. L’implication de ce rapport est que les législateurs et les décideurs canadiens doivent se demander si les prisons sont (ou devraient être) considérées comme des lieux où s’applique la clause d’exemption de bonne foi de la Loi canadienne sur les droits de l’homme.
« Demander à un groupe démographique déjà marginalisé de supporter le fardeau du risque, la possibilité d’un nouveau traumatisme et la perte de dignité et de vie privée afin de valider le sentiment d’identité et la subjectivité d’un nombre relativement faible d’individus constitue sans doute un équilibre déficient entre des droits concurrents », conclut Mme Phoenix.
Dans une première préface de ce rapport, traduite ci-dessous, Heather Mason, ancienne prisonnière fédérale et défenderesse des femmes détenues, note : « Ce document aborde une question réelle qui aurait dû être abordée depuis longtemps et à laquelle les décideurs canadiens et le grand public doivent accorder plus d’attention. »
L’ancienne directrice de prison britannique Patricia Craven, qui a rédigé un second avant-propos, y écrit : « J’espère que ce rapport équilibré et mesuré (…) incitera enfin les décideurs à se poser des questions négligées depuis longtemps, à rassembler les données nécessaires et à mettre fin à l’impact néfaste de cette politique sur les femmes. »
En plus du rapport d’aujourd’hui, l’IML a également publié récemment un sondage sur le sujet des prisonniers transgenres, qui montre que 77 % des Canadiens croient qu’il est assez ou très important de maintenir le logement des prisonniers dans des établissements non mixtes, et que seulement 22 % croient que les détenus transgenres de sexe masculin devraient être logés avec des femmes. »
PDF du document entier : https://macdonaldlaurier.ca/wp-content/uploads/2023/02/20230117_Rights_and_wrongs_Phoenix_PAPER_FWeb.pdf
Résumé
Avant 2017, le Service correctionnel du Canada (SCC) effectuait le placement des délinquants et délinquantes conformément à leur sexe anatomique. Des exceptions étaient accordées pour les transfemmes au stade postopératoire (c’est-à-dire les hommes anatomiques ayant subi un traitement de conversion sexuelle), qui étaient incarcérés dans une prison pour femmes. Or, en 2017, le SCC adoptait provisoirement une politique en vertu de laquelle les personnes de diverses identités de genre pouvaient désigner la prison de leur choix – pour femmes ou pour hommes, conformément à leur identité et à leur expression de genre. Cette politique a servi de fondement à la Directive du commissaire 100 : Délinquants de diverses identités de genre (DC100) mise en œuvre en 2022.
La question reste ouverte de savoir si les délinquantes ont participé à l’élaboration de cette politique ou si l’on a tenu compte des tensions susceptibles de se produire – et avérées – du fait de la cohabitation de femmes vulnérables et d’hommes potentiellement violents se désignant comme femmes. La DC100 apparaît émaner d’une décision prise unilatéralement de peupler les prisons en accordant la priorité à l’identité et à l’expression de genre plutôt qu’au sexe, et dans ce contexte, de redéfinir unilatéralement le profil des prisons pour femmes afin d’en faire des lieux où l’on incarcère les personnes conformément à leur identité de genre et non pas à leur sexe anatomique.
Toujours est-il qu’aucune preuve scientifique ne permet de présager des répercussions du choix de la prison sur les transgenres ou, encore, du choix d’une prison pour femmes sur les transgenres qui sont anatomiquement des hommes. On dispose toutefois d’un nombre croissant d’exemples précis de femmes directement lésées par de telles politiques.
Il est arrivé plusieurs fois en Angleterre, au Pays de Galles et au Canada que des hommes transférés dans des prisons pour femmes aient commis des actes de violence sexuelle contre ces dernières ou aient agi de manière très inappropriée, semant la terreur dans leur milieu. En outre, il y a forcément une perte d’intimité et de dignité pour les détenues contraintes de partager des espaces souvent très intimes avec des hommes anatomiques se désignant comme femmes.
De nouveaux éléments de preuve indiquent que la politique canadienne met activement les femmes en danger, sape activement leurs droits et désavantage activement et exagérément les femmes membres des minorités. La ségrégation sexuelle est peut-être un héritage du passé, mais le maintien de sa pratique est fondé sur les différences observées entre la délinquance masculine et féminine et sur la reconnaissance des écarts entre les besoins, les vulnérabilités et la sécurité des femmes et des hommes.
La pauvreté, l’origine ethnique et l’expérience de victimisation sont les principaux moteurs de la criminalité féminine. La délinquance de nombreuses femmes aboutissant dans le système de justice pénale s’inscrit dans un contexte de salaires bas et de grande pauvreté (par rapport aux hommes), ainsi que de taux disproportionnellement élevés relativement à la victimisation avec violence et extrêmement disproportionnés relativement aux agressions sexuelles. La décision d’intégrer des hommes anatomiques se désignant comme femmes dans une population de détenues crée une nouvelle « couche » de vulnérabilité pour un groupe déjà vulnérable.
Comme on le conclut dans ce document, il n’existe pas d’élément probant à l’appui d’une politique permettant aux transgenres de désigner la prison de leur choix pour purger leur peine. Les détenues qui subissent un nouveau traumatisme en raison de leurs contacts avec des personnes au corps masculin – en particulier au sein des programmes de réinsertion où on débat parfois du traitement de la violence masculine – ne peuvent pas simplement les éviter en adhérant à un autre groupe. Assurer le bien-être et la sécurité de toutes les personnes incarcérées est l’une des principales tâches du SCC et l’une des principales responsabilités de l’effectif du système carcéral. On se demande donc comment les risques connus et potentiels liés à l’incarcération des hommes se désignant comme femmes dans des prisons pour femmes peuvent être acceptables.
Il ne fait guère de doute que les droits des femmes à des prisons séparées, à la sécurité, au bien-être, à la vie privée et à la dignité entrent en conflit avec les droits des transgenres. Exiger d’une population déjà marginalisée qu’elle supporte le poids du risque, de nouveaux traumatismes et une perte de dignité et d’intimité afin de valider l’identité ressentie et subjectivement vécue d’un nombre relativement petit de personnes pourrait engendrer un mauvais équilibre entre des droits concurrents, d’autant plus que rien ne prouve que de tels risques soient justifiés.
Introduction
Au Canada, au 21e siècle, il existe de nouvelles normes sociales concernant l’acceptabilité et la reconnaissance de l’identité sexuelle, de l’expression sexuelle et de la diversité des genres.
La Loi canadienne sur les droits de la personne étend les protections contre la discrimination fondée sur l’identité et l’expression sexuelles. Comment doit se comporter une agence comme Service Correctionnel du Canada (SCC) face à ces nouvelles normes ?
Avant-propos de Heather Mason
Les prisons ont été créées à l’origine comme des institutions masculines. Pour les femmes, d’autres prisons existent à l’extérieur sous la forme de la violence masculine, de la féminisation de la pauvreté, de la toxicomanie, et culminent dans ce que la population reconnaît comme étant ces grandes tours, ces clôtures barbelées et ces lieux de punition. Pour la plupart des femmes qui ont commis des crimes horribles, il y a eu des milliers de moments précédant ces crimes où les protections ont échoué et où leur sécurité n’est jamais advenue.
Les prisons tentent d’éliminer les compétences de survie qui nous ont conduites à la criminalisation en éliminant notre capacité à raisonner indépendamment ou à prendre des décisions. Elles visent à neutraliser notre capacité d’adaptation en lui substituant une conformité aveugle dans un environnement propice à de nouveaux sévices, tout en ne faisant rien pour remédier aux conditions externes qui nous ont conduites là en premier lieu. Dans de nombreux cas, certaines des seules protections dont nous avons bénéficié sont arrivées trop tard et en trop petit nombre. Pour certaines d’entre nous, cela signifie que les hommes violents présents dans nos vies peuvent être condamnés à nos côtés et emprisonnés loin de nous – et la honte de notre justice pénale et d’autres systèmes est que, pour nous, les femmes, il s’agit d’un petit sursis limité. Les prisons ne reflètent aucunement les intérêts des femmes.
De 2017 à 2018, j’ai été emprisonnée au pénitencier de Grand Valley. Là-bas, j’ai été témoin d’innombrables injustices, et aucune n’a été plus préoccupante que le transfèrement d’hommes biologiques dans nos unités. J’avais des amies à l’intérieur – des sœurs – et nous l’avons et nous avons vécu cette évolution ensemble. J’ai été quelque peu troublée lorsque j’ai commencé à entendre parler des expériences de mes amies, qui étaient confrontées à la violence et au harcèlement sexuel des détenus masculins transférés. Même après ma libération, les incidents qui m’ont été signalés n’ont fait qu’augmenter en nombre et en gravité.
Enfin, lors de la conférence nationale de l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry, j’ai vu des douzaines de soi-disant défenderesses de nos droits rejeter et humilier l’une de mes sœurs pour avoir parlé de son expérience de harcèlement sexuel à la prison de Grand Valley par un prédateur d’enfants reconnu, à la suite d’un de ces transfèrements masculins. Je n’étais plus perturbée, mais outrée. Elle ne fut pas seulement réduite au silence, mais censurée face à la perte du plus élémentaire et du seul répit offert par la prison – la séparation d’avec nos agresseurs.
À partir de ce moment, je suis devenue déterminée à sensibiliser le public à ce problème, parmi d’autres auxquels sont confrontées les femmes criminalisées.
Depuis lors, je me suis jointe à des militantes féministes au sujet des enjeux que constituent l’abolition de la prison pour les femmes, la fouille à nu, la ségrégation, le système de règlement de griefs et bien d’autres questions. Depuis 2021, je travaille comme chercheuse à temps partiel sous la direction d’une superviseure doctorale pour contribuer à l’analyse des impacts de la pandémie de COVID-19 sur les conditions de vie des femmes criminalisées.
Ce travail m’a permis de constater directement les conséquences dévastatrices que les politiques de pandémie ont eues sur les femmes incarcérées.
En 2019, j’ai commencé à documenter l’impact de la présence des mâles dans les prisons pour femmes, en parlant aux femmes nouvellement libérées et aux femmes incarcérées, afin de m’assurer que leurs voix ne soient pas réduites au silence. En collaboration avec d’autres défenderesses des droits, nous avons créé une enquête et recueilli des données auprès d’un éventail encore plus large de femmes sur ce qu’elles ont vécu pendant leur séjour en prison. Nous avons regroupé des statistiques et mis en évidence des exemples nuancés à partir des données que nous avons recueillies – ces données ont alimenté les articles que j’ai rédigés et les témoignages que j’ai fournis au Parlement.
Avec le soutien de l’Association canadienne pour les droits sexuels des femmes (caWsbar) et We The Females (WTF), j’ai organisé une série de manifestations sur le thème » Keep Prisons Single Sex » à Kitchener, en banlieue de la ville, devant la prison de Grand Valley. Depuis notre première manifestation en 2021, nous avons organisé 19 autres manifestations, dont deux jours de manifestations nationales.
Étant donné mon expérience personnelle et académique sur ce sujet, j’ai été particulièrement heureuse de lire l’article de Jo Phoenix sur le danger que représentent les détenus masculins qui s’identifient comme transgenres et leur transfèrement dans des prisons pour femmes. Le présent article traite d’un problème réel qui aurait dû être abordé depuis longtemps et auquel les décideurs canadiens doivent accorder plus d’attention. Comme le demande Mme Phoenix de manière poignante, « Assurer le bien-être, la sûreté et la sécurité des détenu-es est l’une des principales tâches du SCC [Service correctionnel du Canada] et l’une des principales responsabilités de tous ceux et celles qui travaillent dans le système carcéral. Alors pourquoi est-il acceptable de placer des hommes qui s’identifient comme des femmes dans des prisons de femmes ? »
Avec tout ce que j’ai appris de mon plaidoyer, de la recherche, de mes propres expériences, et de mes sœurs, je sais maintenant que les prisons ne sont pas des endroits pour les femmes. La première étape pour contrer les parcours qui amènent des femmes vers la prison doit être le droit et le devoir de s’attaquer à la violence systémique et masculine dans la vie des femmes, et nous ne pouvons pas résoudre les conditions chroniques de cette violence alors que les femmes sont confrontées à la violence aiguë liée aux transfèrements masculins : violence physique, contrôle coercitif, menaces, harcèlement sexuel, et viols. Nous ne pouvons pas traiter ce que nous ne reconnaissons pas. Nous devons donc écouter ce que les femmes nous disent, reconnaître leurs expériences, et agir en conséquence. Il n’y a pas d’autre moyen d’avancer sur le chemin de la justice, de la sécurité, et de l’équité.
Heather Mason est une ancienne détenue fédérale et une défenderesse des femmes incarcérées qui vit à Sarnia, en Ontario.
Traduction: TRADFEM et Institut Macdonald-Laurier.
Tous droits réservés à l’Institut Macdonald-Laurier.
Je ne comprend pas qu’avec toutes les études et les luttes féministe que l’identité de genre prime sur le sexe, c’est grave en maudit, même légalement l’identité de femme est reniée. Si on a un utérus, un vagin un clitoris et des seins c’est qu’on est une femme, si on s’habille en objet sexuel on est pas nécessairement une femme. Ça devraient être débattue devant les plus haut tribunaux des pays. Faut vraiment lutter contre les stéréotypes pornographique. Faire en sorte que l’on enseigne aux enfants ce que c’est d’être une femme et un homme sans entrer dans les stéréotype de genre.
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