Le projet de loi écossais sur la reconnaissance du sexe choisi aurait porté préjudice aux femmes

La reconnaissance des identités transgenres ne doit pas se faire au détriment des protections et des droits sexuels acquis de longue lutte par les femmes. Suite à un tollé généralisé, le gouvernement de Nicola Sturgeon a commencé à prendre ses distances de l’idée d’une auto-identification sexuelle inconditionnelle.

par Julie Bindel, journaliste, autrice et militante féministe

Publié sur Al Jazeera le 3 février 2023

La première ministre Nicola Sturgeon

Le Royaume-Uni est une fois de plus submergé par une guerre civile, et pour une fois, la question à l’origine du conflit n’est pas liée à la sortie de l’Union européenne. Cette fois, c’est une querelle acharnée entre le gouvernement du Parti national écossais (PNÉ) qui siège à Édimbourg et le gouvernement conservateur britannique au sujet d’un projet de loi écossais sur la réforme de l’identité sexuelle (gender) qui provoque des secousses dans l’ensemble des îles britanniques.

En décembre, les député-es du Parlement écossais ont voté l’adoption d’un Projet de loi sur la reconnaissance de l’identité sexuelle, par 86 voix contre 39, malgré une courageuse opposition des féministes et d’autres défenseurs des droits de la personne.

Ce projet de loi a dans les faits proposé un système d' »auto-identification » ou de simple « déclaration personnelle » à l’intention des personnes transgenres, qui remplacerait la législation actuelle exigeant qu’une personne transgenre de plus de 18 ans « prouve » qu’elle a « vécu dans son sexe acquis » pendant au moins deux ans et produise deux rapports médicaux – dont un signé par un médecin figurant sur une liste de médecins dûment qualifiés et expérimentés – pour changer légalement de sexe.

S’il n’avait pas été bloqué par le parlement britannique, le nouveau projet de loi aurait permis à toute personne âgée de plus de 16 ans, née ou vivant en Écosse, de changer de sexe légal, dans un délai aussi court que six mois et sans la moindre obligation d’obtenir un diagnostic officiel de dysphorie sexuelle.

Selon ce régime, si une personne de sexe masculin se déclarait de sexe féminin, elle pourrait demander un certificat de reconnaissance du sexe (CRS) et devenir, légalement et à toutes fins utiles, de sexe féminin. Dans la plupart des cas, cela lui permettrait un accès direct aux espaces et aux installations réservés aux femmes, comme les prisons, les salles d’hôpital, les refuges contre la violence conjugale et les centres d’aide aux victimes de viol. Ces personnes deviendraient également en mesure de postuler à des emplois réservés aux femmes en vertu de la Loi sur l’égalité britannique de 2010. En bref, s’il avait été codifié en loi, ce projet de loi aurait effectivement rendu nuls et non avenus des droits et mesures de protection sexospécifiques acquis de haute lutte par les femmes.

Les inquiétudes exprimées concernant l’impact probable de ce projet de loi sur les droits des femmes ont amené le gouvernement britannique à y faire opposition, en faisant valoir son conflit avec la Loi britannique sur l’égalité de sexes. Cette décision, qui marque la première fois que l’administration de Londres a invoqué une « ordonnance de l’article 35 » pour bloquer un texte de loi adopté par le Parlement écossais, a suscité la fureur des transactivistes et de plusieurs nationalistes écossais.

Ces nationalistes écossais demandent pourquoi une décision prise par des législateurs écossais en Écosse et qui ne concerne que les Écossais concerne le Parlement britannique. Cela le regarde-t-il vraiment ?

La réponse à leurs questions est en fait très simple : s’il était codifié en loi, ce projet de loi aurait un impact, non seulement en Écosse, mais dans tout le Royaume-Uni.

Environ 15 000 enfants âgés de plus de 16 ans nés en Écosse sont actuellement scolarisés en Angleterre et au Pays de Galles. En vertu de la nouvelle loi envisagée, n’importe lequel de ces enfants serait en mesure d’utiliser le système écossais pour changer légalement de sexe tout en demeurant à l’école. Cela obligerait toutes les autorités et institutions d’Angleterre – y compris leur école – à reconnaître automatiquement leur nouveau sexe. Il en irait de même pour toute personne écossaise titulaire d’un CRS qui se rendrait en Angleterre ou au Pays de Galles pour travailler, vivre ou recevoir des soins médicaux.

Le gouvernement britannique a rejeté en 2020 le principe d’une reconnaissance automatique du sexe choisi pour l’Angleterre et le Pays de Galles. En autorisant le projet de loi écossais sur la reconnaissance du sexe, il aurait introduit de manière détournée une telle auto-identification dans ces territoires.

Alors que les parlements britannique et écossais continuent de s’affronter sur le projet de loi sur la reconnaissance du sexe, les transactivistes des deux pays affirment que tout cet affrontement n’est qu’une attaque conservatrice contre les personnes transgenres. Ils affirment que le projet de loi écossais ne ferait rien d’autre que de permettre aux personnes transgenres d’éviter de passer par un « cauchemar bureaucratique » pour voir légalement reconnue leur « véritable identité ». Ils affirment que les personnes trans dépourvues de CRS peuvent déjà accéder à la plupart des espaces réservés aux femmes au Royaume-Uni en vertu de la législation existante, et que l’introduction d’un système d’auto-identification ne causerait donc aucun préjudice supplémentaire à quiconque. Ils soutiennent que les inquiétudes exprimées par de nombreuses femmes concernant les délinquants sexuels opportunistes qui pourraient profiter d’un régime d’auto-identification pour accéder facilement aux espaces réservés aux femmes ne sont rien d’autre qu’un appel déguisé à des sentiments « transphobes ».

Mais les femmes britanniques souffrent déjà du fait que des personnes de sexe masculin tentent d’accéder aux espaces réservés aux femmes, et donc aux femmes vulnérables, en disant s’identifier comme « femmes ». Et il est évident que l’acceptation en Écosse d’un régime systématique d’auto-identification exacerberait ce problème.

Prenons l’exemple de délinquants sexuels condamnés, de sexe masculin, qui disent maintenant s’identifier comme « femmes » et qui exigent de purger leur peine dans un pénitencier féminin.

En 2014, l’administration pénitentiaire écossaise, influencé par le groupe transactiviste Scottish Trans Alliance, a introduit une politique concernant l’identité sexuelle et la réassignation sexuelle, selon laquelle lorsqu’un individu vit en permanence selon un sexe autre que celui qui lui a été assigné à la naissance, « l’affectation à l’établissement devrait généralement refléter le nouveau sexe dans lequel il vit ».

Cette politique a déjà permis à des violeurs masculins condamnés d’être détenus dans des prisons pour femmes où ils peuvent continuer à nuire aux femmes. Adam Graham, qui se fait maintenant appeler « Isla Bryson », est l’un de ces violeurs.

Adam Graham, alias « Isla Bryson »

En Angleterre et au Pays de Galles, la politique pénitentiaire est différente – il n’existe aucune obligation de déplacer selon leurs souhaits les prisonniers qui se disent transgenres – et la plupart des transfemmes condamnés sont détenus dans des prisons pour hommes. Cependant, cela n’a pas empêché des prédateurs au corps masculin d’avoir accès à des prisons pour femmes en prétendant s’identifier comme « femmes ». En 2018, il a été révélé qu’un délinquant sexuel masculin qui s’identifie comme transfemme, « Karen White », a été placé dans une prison pour femmes en Angleterre et y a commis de nouveaux actes d’agression et de harcèlement sexuels pendant son séjour.

À la lumière de ces exemples, il est impossible d’affirmer qu’une législation sur l’auto-identification sexuelle comme celle proposée par le gouvernement du PNÉ ne serait pas détournée par des prédateurs masculins cherchant à exploiter le système et à porter préjudice à des femmes vulnérables.

Des personnes comme « Isla Bryson » et « Karen White » sont déjà placées dans des établissements pour femmes, au détriment de ces dernières. L’introduction d’un régime d’auto-identification, qui permettrait à tout homme de simplement se déclarer « femme » et d’être reconnu comme tel par la loi, ne ferait qu’aggraver le problème.

Après avoir défendu passionnément son projet de loi pendant des semaines, et même rejeté des propositions d’amendements qui auraient empêché les violeurs de s’identifier comme femmes avant de subir leur procès, la première ministre écossaise Nicola Sturgeon semble maintenant reconnaître le problème.

Lorsqu’on lui a demandé si « Isla Bryson » devait être considéré comme une femme, Mme Sturgeon a répondu : « Je pense que ce violeur devrait être considéré comme un violeur (« I think that rapist should be considered a rapist »). C’est ce que je pense. Cet individu a été condamné pour des viols et c’est donc la terminologie pertinente. Je ne vais pas entrer dans les circonstances individuelles de cet individu qui prétend être une femme parce que je n’ai pas assez d’informations à ce sujet. »

Il est clair que Mme Sturgeon se ménage à tout le moins une ouverture quant à la validité de la prétention de Bryson d’être une femme, et fait ainsi l’impasse sur la base même de son nouveau projet de loi, puisque l’essence de l’auto-identification est que si une personne déclare être une femme, elle en est une.

En outre, à la suite d’un tollé généralisé et d’avertissements émanant non seulement de féministes britanniques mais aussi d’autorités internationales, le gouvernement de Mme Sturgeon a commencé à prendre ses distances de l’idée d’une auto-identification inconditionnelle. Le violeur condamné « Isla Bryson » vient d’être transféré de l’établissement pour femmes où l’avait d’abord logé vers une prison pour hommes. Le ministre de la Justice du PNÉ a également annoncé une interdiction temporaire de loger dans les prisons pour femmes les délinquants sexuels condamnés (ainsi que ceux ayant tout antécédent de violence à l’égard des femmes). Le SPS procède actuellement à un examen de la gestion des détenus transgenres – mais ces mesures équivalent à trop peu, trop tard.

Le fait que les exigences de ces prédateurs sexuels aient pu devenir prioritaires sans égard à la sécurité et aux intérêts de femmes montre le peu de considération qu’éprouvent beaucoup de politiciens pour les femmes qui n’ont pas d’autre choix que de vivre sous la menace de leurs politiques dites « inclusives ».

Bien sûr, nous devrions tous et toutes soutenir les personnes transgenres et leurs demandes de vivre en sécurité en tant que citoyennes égales dans notre pays. Mais il est désastreux que des accommodements consentis aux transfemmes soient utilisés abusivement par des prédateurs au corps masculin pour porter préjudice à des femmes. Cela dénote un conflit de droits, et nous devons protéger les femmes menacées – et nous devons trouver un moyen de le faire sans permettre aux personnes transgenres d’être victimes de personnes intolérantes.

Quelle est donc la solution ?

Dans les années 1970, lorsque j’ai fait mon coming out en tant que jeune lesbienne, les personnes trans étaient mes amies et mes alliées naturelles. C’est ainsi que cela devrait être. Celles d’entre nous qui vivent en marge de la société et sont victimes de discrimination devraient se soutenir mutuellement. Dans cet affrontement sanglant, nous sommes toutes des victimes.

En fin de compte, puisque le fait de permettre à toute personne se prétendant transfemme d’accéder à des espaces non mixtes mène à un désastre assuré, nous devons collaborer à bâtir une troisième voie. Des féministes, dont je fais partie, ont proposé d’aider les transfemmes à mettre en place des services spécifiques au bénéfice des victimes de la violence masculine comme la violence conjugale, l’exploitation et les agressions sexuelles. Après tout, les services réservés aux femmes et conçus pour les protéger de la violence masculine ont été créés par des pionnières du mouvement de libération des femmes (au Royaume-Uni et aux États-Unis) dans les années 1960 et 1970, sans aucune aide ni financement des gouvernements. Il est peut-être temps que les personnes transgenres fassent de même. J’imagine que l’aide des organismes publics ne se fera pas attendre et que tout le monde, à l’exception des prédateurs sexuels opportunistes, saluera une telle initiative.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’autrice et ne reflètent pas nécessairement la position éditoriale d’Al Jazeera.

Julie Bindel

Julie Bindel est journaliste, auteur et militante féministe. Son plus récent livre, Feminism for Women : The Real Route to Liberation, a été publié par Constable, Robinson  en mai 2021.

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