La déconstruction des femmes

Ne détournez pas la biologie pour cacher la nature du sexe.

Helen Saxby – dont c’est l’anniversaire aujourd’hui – signait hier dans le média The Critic une réflexion sur le statut de la ménopause et d’un projet de loi britannique qui entendait doter celle-ci d’un statut de caractéristique protégée, qui aurait tenté de compenser les difficultés que beaucoup de femmes vivent à cet égard. L’autrice situe cette proposition dans une tendance généralisée à « déconstruire » la condition des femmes et à présenter certaines avancées comme discriminatoires pour la gent masculine.

par Helen Saxby, The Critic, rubrique Artillery Row, 30 janvier 2023

La semaine dernière, le gouvernement britannique a rejeté une proposition visant à faire de la ménopause une caractéristique protégée contre toute plainte pour discrimination aux termes de la Loi britannique sur l’égalité des sexes. Un rapport du Women and Equalities Select Committee, déposé en juillet dernier au sujet du traitement de la ménopause dans le contexte de l’emploi, a identifié des facteurs significatifs qui militaient pour ajouter la ménopause à la liste des caractéristiques protégées contre ce genre de recours. La raison pour laquelle les ministres ont rejeté cette proposition était que son application aurait pu entraîner des conséquences imprévues comme une allégation de discrimination involontaire contre les hommes souffrant de problèmes de santé à long terme.

Je ne doute pas que cela puisse être un problème, et je suis heureux que la question ait été explorée en profondeur avant d’arriver à une conclusion. Cependant, j’ai d’autres raisons de rejeter cette proposition du comité : je la rejette, même si elle aurait déjà pu fonctionner à mon avantage. Dans sa forme actuelle, la Loi britannique sur l’égalité des sexes protège neuf caractéristiques distinctes contre des recours pour discrimination. On pourrait dire que deux des motifs protégés concernent déjà les femmes ménopausées, soit le sexe et l’âge. La ménopause n’affecte qu’un seul des deux sexes et ne concerne que les femmes d’un certain âge, de sorte que la législation existante pourrait bien être utilisée pour protéger contre des recours pour discrimination face à des mesures de protection de femmes ménopausées.

Mon objection porte davantage sur le fait de considérer la ménopause comme un processus biologique et de la catégoriser comme une caractéristique désincarnée, non associée à un être humain de sexe féminin. C’est ce que nous faisons déjà avec la grossesse et l’accouchement, bien sûr, qui constituent tous les deux des caractéristiques protégées contre de tels recours, et l’on pourrait soutenir que la présente question constitue un cas particulier de ces exceptions. Mais d’une manière générale, je pense que ce type de dissociation devrait être évité, pour l’excellente raison que nous vivons actuellement une époque où des processus biologiques et des parties du corps se voient actuellement scindés du socle humanisant que constitue « la femme » et fractionnés en entités singulières à un degré alarmant, sans qu’aucune de ces opérations ne profite aux femmes. Nous devons être attentifs à tout ce qui peut contribuer à cette dérive.

Des parties de notre corps sont désormais traitées comme des sortes d’anomalies bizarres flottant dans l’espace.

Des organisations telles que les associations de lutte contre le cancer hésitent de plus en plus à utiliser le mot « femme », lui préférant des expressions telles que « personnes ayant un col de l’utérus » (people with a cervix). Les fabricants de produits associés aux menstruations désignent les femmes et les jeunes filles comme des « saigneuses » (bleeders) et le National Health Service (NHS) parle de « personnes enceintes », de peur d’offenser quelqu’un par inadvertance en associant explicitement la grossesse aux femmes. Des parties de notre corps et des fonctions corporelles sont désormais traitées comme des sortes d’anomalies bizarres flottant dans l’espace, plutôt que d’être considérées comme des éléments intrinsèques de la condition féminine. L’administration sanitaire du comté de Jersey a récemment publié un tweet faisant la promotion de son service de dépistage du cancer du col de l’utérus, dans lequel il s’adressait à « tout homme transgenre, ou personne non conforme au genre ou assignée femme à la naissance, et ayant un col de l’utérus ». Les mots « homme » et « personne » demeurent donc autorisés, mais pas le mot « femme ». Par ailleurs, les personnes de sexe masculin sont encore systématiquement appelées « hommes » dans les publicités pour le cancer de la prostate, sans doute parce que ces personnes restent inexplicablement humaines même lorsque leur biologie leur fait défaut.

Cette scission de parties du corps et de fonctions corporelles de leurs propriétaires humaines contribue à une déshumanisation des femmes et des filles. Cela facilite l’exploitation. Cela a toujours été le cas dans le commerce du sexe, où les parties du corps sont louées et utilisées sans se soucier de l’humanité des femmes auxquelles elles appartiennent. Il en va de même pour la tendance actuelle à normaliser la maternité de substitution, où le mot « porteuse » (surrogate) est préféré à l’expression « mère porteuse » (surrogate mother), de peur que mentionner le lien entre un enfant et sa mère ne rappelle malencontreusement l’humanité de ces personnes.

Ce tour de passe-passe imposé au langage relatif aux femmes et aux jeunes filles n’est pas chose nouvelle : en lisant la trousse d’information scolaire « trans-inclusive » créée par le lobby Brighton Allsorts en 2013, la première chose qui m’a frappée était la déshumanisation subtile des filles – pour mieux promouvoir les droits d’un autre groupe à leur encontre. Il a suffi d’éviter de parler de « jeunes filles ». Au lieu de cela, après une présentation sympathique des difficultés vécues par des jeunes désignés comme « trans » et de nombreux appels à défendre le caractère sacré de leur « identité de genre », on a appelé ces jeunes filles des « femelles cisgenres » (cisgender females). La raison en est claire. Le mot « filles » pourrait vous rappeler qu’il s’agit d’êtres humains, et votre sympathie pourrait vaciller.

Le mot « femelle » n’est pas offensant en soi, mais il s’agit d’une catégorie biologique qui englobe aussi bien les animaux que les êtres humains. Si nous devons nous distinguer des animaux, nous avons besoin des mots « femmes » et « filles ». Ce sont ces mots qui nous humanisent. Lorsque nous sommes déshumanisées, par l’utilisation d’un langage qui évite les mots humanisants et fait de nous une collection de parties et de fonctions corporelles, il est plus facile de nous enfumer et de nous priver de nos droits.

Deux députées du Parti national écossais ont manifesté en compagnie de transactivistes contre les féministes opposées à l’admission d’hommes transidentifiés dans des pénitenciers réservés aux femmes.

Je crois que c’est ce qui se passe à grande échelle en ce moment. Des politicien-nes intimident les femmes pour les amener à adopter leur point de vue sur ce que signifie être une femme dans ce monde et posent fièrement avec les activistes les plus violents et misogynes opposés aux droits des femmes (photo). Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces politicien-nes affichent une singulière absence de sympathie envers les droits des détenues. L’acronyme insultant « TERF » (pour Trans-Exclusive Radical Feminists) n’est que la tentative la plus visible de déshumaniser des femmes, mais c’est certainement un ajout puissant à leur arsenal. Les politicien-nes qui posent en face d’un placard appelant à la « décapitation des TERFs » ont évidemment perdu de vue leur humanité collective.

Le lobby transgenre mise dans une certaine mesure sur la réduction des femmes à un statut sous-humain.

Lorsqu’un violeur récidiviste condamné est traité avec plus de compréhension et de sympathie par notre système que les femmes qui expriment leurs inquiétudes face à la violence masculine à l’égard des détenues, quelque chose a vraiment mal tourné. Le lobby des transactivistes semble avoir gagné cette manche : ils se sont associés à nos vieux ennemis, les proxénètes et les pornographes, pour fractionner les femmes en parties utilisables afin d’apaiser une minuscule population d’hommes qui veulent être des femmes mais qui n’en ont pas la nature biologique. Ils nous ont refusé le droit à notre langue et à notre perception personnelle et ont influencé des hommes puissants (et certaines femmes) qui ont oublié que les femmes et les filles sont des êtres humains, et a fortiori que ces êtres humains ont des droits.

Je ne pense pas que les femmes ménopausées doivent faire l’objet d’une protection spécifique contre la discrimination, mais – et je n’ai jamais pensé devoir me battre pour protéger cela – la ménopause est à nous : elle appartient aux femmes ; c’est le résultat naturel d’être une femme et de vieillir. Il ne s’agit pas d’une catégorie flottante que n’importe qui peut revendiquer. Nous avons assisté, sans rien faire, au dépeçage de nos corps et à l’hypersexualisation et à la dé-sexualisation de notre biologie. Nous avons vu les personnes qui en profitent. Ces personnes ne sont pas des femmes et ne seront jamais des femmes.

Les voix qui ont été étouffées lors de la récente consultation sur la réforme écossaise de la Loi sur la reconnaissance du sexe étaient celles qui mettaient en garde contre les conséquences d’un effacement des distinctions entre les êtres humains et leur réalité biologique. Ce n’est pas une coïncidence s’il s’est agi principalement de voix de femmes : en scindant la biologie du mot qui fait de nous des êtres humains, on nous prive d’une partie de notre humanité. Le lobby transgenriste, tout comme le lobby de l’industrie du sexe avec lequel il est si étroitement aligné, s’appuie dans une certaine mesure sur la réduction des femmes à un statut sous-humain, de sorte qu’il devient plus facile de nous dépouiller de chacun de nos acquis qui a de la valeur.

Nous ne devrions pas donner à la ménopause un statut de caractéristique protégée en soi. Nous devrions plutôt penser à honorer véritablement la caractéristique protégée qu’est le sexe, avec toutes les implications que cela comporte pour la sécurité, la vie privée et la dignité des personnes. Nous devons nous souvenir de la raison pour laquelle cette caractéristique a été créée et rétablir le projet initial de défendre l’égalité des femmes, en tenant compte des limites de cette notion.

Helen Saxby

Version originale : https://thecritic.co.uk/The-deconstruction-of-women/?fbclid=IwAR3dmr7x-Gdolv5y9wDLqyi–sbHFZqmwO6ogNXEqLIp14_yi9zkIacTlns

Une réflexion sur “La déconstruction des femmes

  1. Et puis arriver à comprendre qu’une femme est cataloguée « personne à cervix » n’est pas donné à toutes : il faut avoir un certain capital social pour le savoir.
    Les étrangères non anglophones (ou non francophones pour l’expression « personne à utérus ») vont avoir des démarches compliquées par ce vocabulaire technique…
    Mais enfin ça n’est pas une surprise, c’est encore une fois la situation des femmes pauvres ou fragiles qui sera sacrifiée sur l’autel des ressentis bourgeois…

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