par Margaret Wetzel, sur le site de WOLF
« Lorsque les gens se rendent compte d’un écart entre leur vie actuelle et leur vie idéalisée, le fait de confronter directement cet écart conduirait à des émotions indésirables. Pour maintenir la croyance que la vie idéalisée est réalisable, les gens vont attribuer une signification symbolique à des articles disponibles à l’achat et traiter ces articles comme un pont entre le réel et l’idéal. »
Un adolescent autiste qui avait du mal à s’intégrer a cru que le fait de prendre des œstrogènes résoudrait ses difficultés de communication (de Vries et al., 2010). Une fille pensait qu’elle aurait plus d’amis et plus d’affection de la part de ses parents si elle était un garçon (Evans & Evans, 2021). Dans un documentaire intitulé I Want My Sex Back, un homme transidentifié du nom de Rene Jax a déclaré :
La principale étape a été de trouver un médecin qui me donne les hormones. Si je reçois… des hormones féminines, ma vie sera parfaite. Et ensuite vous pensez, « Eh bien, si seulement je pouvais rendre ma voix – ma voix masculine – plus aigüe, alors ça me rendra, vous savez, simplement heureux. » Et ensuite vous pensez, « La prochaine chose est, eh bien si je peux obtenir des implants mammaires c’est tout ce dont j’ai besoin. » Mais ce n’est jamais suffisant. Et finalement, si vous avez suivi la thérapie et que vous pouvez convaincre un médecin de commencer à vous opérer, vous y allez et vous procédez à un changement de sexe (Vorobey, 2018).
Dans toutes ces histoires, les personnes transidentifiées en sont venues à croire qu’en poursuivant une démarche d’hormones et de chirurgies, elles atteindront leur vie idéalisée. Cependant, bien que les hormones et les chirurgies auront un impact direct sur l’apparence des personnes, elles ne peuvent pas leur apprendre à communiquer, elles ne peuvent pas leur assurer des parents aimants, elles ne garantissent pas des amitiés saines et il leur est impossible d’offrir un sentiment de perfection durable. Par conséquent, les personnes qui recherchent ces opérations chirurgicales et ces hormones ont donné un sens à ces événements et à ces activités, même si ce sens ne peut pas être atteint à travers eux.
L’anthropologue canadien Grant McCracken (1988) a utilisé un concept appelé « déplacement de sens » pour explorer les comportements de consommation des États-uniens. Lorsque des gens remarquent un écart entre leur vie actuelle et leur vie idéalisée, le fait de confronter directement cet écart entraînerait des émotions indésirables. Pour maintenir la croyance que la vie idéalisée est réalisable, les gens vont attribuer une signification symbolique à des articles disponibles à l’achat et traiter ces articles comme un pont entre le réel et l’idéal.
Imaginez un homme célibataire qui aspire à une vie calme et à une femme aimante. Lorsqu’il voit une publicité pour un chalet entouré de rosiers, il imagine que son achat lui apporterait un sentiment de calme et correspondrait à son style de vie idéal. Dans son esprit, le cottage lui permettra d’accéder à sa vie idéale. Il économise et achète le chalet. Mais il n’est pas plus calme pour autant. Une épouse n’est pas apparue comme par magie. La signification symbolique qu’il a placée dans le cottage n’était pas vraiment là – c’était une signification déplacée. De nouveau confronté à cet écart après avoir obtenu la preuve que le cottage n’était pas un pont, il trouve un nouvel objet incarnant le sens déplacé – peut-être que l’installation d’un foyer entouré de guirlandes électriques lui apportera une satisfaction durable.
Pour être clair, tous les achats ne sont pas liés à un déplacement de sens. Si l’homme avait acheté une maison pour avoir un toit au-dessus de sa tête, il ne s’agirait pas d’un déplacement de sens, puisqu’une maison lui fournirait directement cette satisfaction – il ne s’agirait d’un déplacement de sens que lorsque l’article acheté est considéré comme le symbole d’une vie idéalisée qu’il a peu de chances d’offrir.
Comme certaines personnes trans-identifiées parlent des hormones et des opérations chirurgicales comme d’un moyen d’accéder à leur vie idéale, au-delà des changements cosmétiques directs, il semble probable que le déplacement de sens motive certaines personnes à « effectuer une transition« . Si c’est le cas, il y a de quoi s’inquiéter – le sens déplacé n’est pas atteint lorsque ces articles, comme les chirurgies ou les traitements hormonaux, sont achetés. La raison en est que le sens n’a jamais été là au départ ; il a été imaginé. De plus, les traitements hormonaux, qu’il s’agisse de bloqueurs de puberté ou d’hormones du sexe opposé, ont certains effets secondaires importants, et il n’existe pas d’opérations chirurgicales sans risque. Le fait de subir ces types de traitements pour tenter d’obtenir quelque chose qui ne peut réellement être atteint, semble horrible.
Pire encore, lorsque le sens n’est pas atteint, cela crée un besoin de déplacer continuellement le sens ailleurs. La citation de René Jax montre la progression de son désir d’hormones, puis de modification vocale et d’implants mammaires, et enfin, celui d’une vaginoplastie. Lorsqu’aucune des étapes précédentes de sa « transition » ne lui a apporté la vie qu’il souhaitait, il a continué à s’engager sur une voie médicale, croyant que la prochaine étape serait enfin la bonne. Pourtant, même après une vaginoplastie, le sens qu’il recherchait ne fut pas atteint :
« J’ai subi mon changement de sexe en 1990 et, au fond de moi, je ne pensais pas… Je pensais que ce serait comme toutes les autres choses que j’avais faites, mais j’espérais, j’espérais juste que cela me ferait me sentir complet. […] Le changement de sexe n’a pas résolu mon malaise. Les médecins qui sont honnêtes diront que la dysphorie sexuelle est toujours présente et que c’est parce que la confusion… commence par concerner votre anatomie, mais en réalité… c’est que vous ne vous aimez pas » (Vorobey, 2018).
Cette situation de déplacement de sens n’est pas exclusive aux hommes trans-identifiés. L’ouvrage Transing Our Children d’Erin Brewer et Maria Keffler nous présente l’histoire d’une femme qui en est venue à détransitionner :
Après avoir fait tout ce qu’elle pouvait imaginer, des hormones à la mastectomie, et jusqu’à une hystérectomie, elle a finalement réalisé que transitionner ne l’aidait pas. Cette prise de conscience a été troublante : « Et donc j’étais juste comme, wow, ok, c’est tout. C’est la fin de la route. C’était la dernière opération que j’allais subir. Alors qu’est-ce que je fais si je ne me fais pas opérer à nouveau ? Il n’y a plus rien à espérer. » (2021, 116).
La poursuite d’un sens déplacé dans le tunnel de la « transition » n’est pas un pari sûr pour les gens – les effets secondaires des hormones et des chirurgies s’accumulent. De plus, le temps passé en « transition » aurait pu être utilisé par les gens pour construire une vie meilleure d’une manière susceptible de créer le sens recherché.
La partie la plus sombre de cette aventure est peut-être celle où l’on arrive au bout du tunnel. Sans plus de traitements vers lesquels déplacer le sens, l’écart entre le réel et l’idéal sera confronté de plein fouet sans échappatoire facile. Comme l’ont noté Brewer et Keffler (2021), « Une fois qu’elle a réalisé que la transition n’était pas la réponse à ses sentiments pénibles, elle a dit : « La dépression m’a frappée très fort. Et je me suis dit, je ne suis toujours pas heureuse. Je ne suis toujours pas heureuse après tout ça. » »
Ce crash mental a également été observé par un homme trans-identifié, Blaire White (2019). Nous pouvons observer un déplacement de sens dans la situation qu’il décrit :
Donc, après avoir subi cette chirurgie [vaginoplastie], il est en fait très fréquent pour les gens d’avoir une dépression très, très profonde, une dépression qui les conduit à faire des choses qui sont évidemment indicibles […] Alors je me dis, ok alors peut-être que la vérité est que beaucoup de personnes transgenres voient « la chirurgie », « la grosse intervention », « la grande coupe » comme une sorte de réparation de leur vie. Ils en font le plus grand objectif de leur vie, comme s’ils l’avaient attendu toute leur vie, et quand ils l’obtiennent, ils réalisent : « Oh, je dois toujours payer mon loyer, je dois encore gérer cette mauvaise relation, j’ai encore ces problèmes avec ma famille, je n’ai toujours pas de carrière. » Je pense que les gens y accordent à ce point d’importance, comme si cela allait arranger leur vie, alors qu’en réalité, ce n’est pas le cas.
Les soins dits « d’affirmation du genre » sont devenus le principal protocole promu par de nombreuses agences de santé, et le déplacement de sens n’est pas un concept qui y est communément abordé. Très peu de conseils ont été fournis sur la façon d’aider les personnes qui veulent vivre une « transition » en raison d’un déplacement de sens. Le meilleur guide pour les personnes à la recherche de plus d’informations est peut-être l’ouvrage d’Evans & Evans (2021) intitulé Gender Dysphoria. Dans cet ouvrage, les deux thérapeutes montrent comment les praticiens peuvent aider les personnes souffrant de « dysphorie sexuelle » à faire le tri dans les motifs sous-jacents de leur transition. Au fur et à mesure que ces motifs sous-jacents sont révélés, les personnes peuvent mieux comprendre si une « transition » est réellement nécessaire pour obtenir ce qu’ils et elles désirent. Dans les cas de déplacement de sens (ou de « phantasies » comme Evans & Evans décrivent ce concept), les personnes peuvent commencer à voir qu’elles n’ont pas besoin de « transitionner » pour se construire une vie solide. Elles peuvent également en venir à comprendre que « transitionner » ne résoudra pas les problèmes de leur vie. Des recherches indiquent que les personnes autistes éprouvent de la difficulté avec la pensée symbolique et favorisent les solutions qui semblent concrètes. Par conséquent, ce groupe démographique pourrait bénéficier encore plus de l’exploration du déplacement de sens avant d’envisager une « transition » (Wetzel, 2022). Nous avons besoin d’un avenir dans lequel les personnes qui ont du mal à accepter leur identité sexuelle sont encouragées à explorer les raisons plus profondes de leur combat, y compris les raisons pour lesquelles elles pensent que des traitements hormonaux et des chirurgies les aideront à obtenir des résultats intangibles comme le bonheur. Une telle évolution pourrait déboucher sur des traitements mieux informés pour les personnes qui s’interrogent sur leur identité, et leur donner une image plus réaliste de ce qui se passera lorsqu’elles seront « en transition ». Une telle évolution pourrait également aider ces personnes à améliorer leur santé mentale, en évitant la pente glissante de miser sur un parcours médical qui entraîne des changements irréparables dans leur corps.
Travaux cités:
Blaire White. (2019). Why I’m not getting ‘the surgery.’ [A video]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=z1ZWX5r_0MI.
Brewer, E., & Keffler, M. (2021b). Transing our children. Partners for Ethical Care.
de Vries, A. L., Noens, I. L., Cohen-Kettenis, P. T., van Berckelaer-Onnes, I. A., & Doreleijers, T. A. (2010). Autism spectrum disorders in gender dysphoric children and adolescents. Journal of autism and developmental disorders, 40(8), 930–936. https://doi.org/10.1007/s10803-010-0935-9.
Evans, S., & Evans, M. (2021) Gender dysphoria: A therapeutic model for working with children, adolescents and young adults. Phoenix Publishing House.
McCracken, G. D. (1988). Culture and consumption: New approaches to the symbolic character of consumer goods and activities. Indiana University Press.
Vorobey, A. (2018). I want my sex back: Transgender people who regretted changing sex (RT Documentary). [A video]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=eva-dgwiP40.
Wetzel, M. J. (2022). Picking Up the Pieces: Puzzling Through Autism in the wake of “Gender.” Kindle Direct Publishing.
Version originale: https://womensliberationfront.org/news/displaced-meaning-a-motive-for-transitioning
Traduction: Néli BUSCH pour TRADFEM