par Elaine Graham-Leigh
sur le web-magazine Counterfire, le 22 décembre 2022
Elaine Graham-Leigh soutient qu’il faut s’intéresser à un nouveau film controversé sur l’identité sexuelle, et non l’interdire, et qu’il a certaines choses importantes à nous apprendre.
Le film Adulte humaine femelle, réalisé par Deirdre O’Neill et Mike Wayne, a provoqué un tollé. Un premier lieu de projection du film à Nottingham (Angleterre) a été contraint de se désister au dernier moment. À l’université d’Édimbourg, lorsqu’une projection a été organisée par Academics for Academic Freedom, la section locale du syndicat University and College Union (UCU) a publié une déclaration affirmant que l’université devait interdire son visionnement en raison d’une motion de l’UCU datant de 2019 stipulant qu’aucune activité dont le contenu est « transphobe, biphobe, homophobe ou autrement préjudiciable à la sécurité et au bien-être du personnel LGBT+ » ne devrait être autorisée sur le campus.
L’administration de l’université n’a pas tenu compte de cet appel et n’a pas empêché la projection, mais des étudiants ont pris les choses en main et ont réussi à la bloquer. Comme l’a tweeté l’un des étudiants organisateurs, « la projection d’un film transphobe devait avoir lieu à l’université d’Édimbourg, nous avons décidé que cela ne se ferait pas. On ne peut pas répandre la haine et s’attendre à ne pas être contesté ».
Il est remarquable de constater, en visionnant ce film, à quel point on y trouve peu de choses qui méritent un tant soit peu cette réaction. À travers une série d’entretiens, le film raconte l’impact de l’auto-identification sexuelle sur divers espaces non mixtes destinés aux femmes, allant de certaines prisons aux soins de santé intime en passant par des activités sportives et des sites de rencontre pour lesbiennes. On y mentionne les salles de toilettes (une conférencière du lobby genriste Stonewall m’a récemment dit que toutes les féministes critiques du genre étaient obsédées par les toilettes). Mais, dans sa description de la lutte des pompières britanniques pour l’obtention de vestiaires féminins, où l’on a vu des pompiers uriner délibérément sur les sanitaires des toilettes des femmes, Lucy Masoud explique pourquoi les femmes peuvent raisonnablement penser que des toilettes réservées restent nécessaires. Certaines des personnes interrogées sont plus mesurées que d’autres et le film peut parfois être lourd (le graphique d’une charge de forces de police paramilitaire pour illustrer les lois norvégiennes sur l’idéologie genriste est peu subtil, par exemple), mais on cherche en vain quelque haine des personnes interviewées envers les transgenres.
La réaction au film est bien sûr liée à la manière dont est mené le débat sur l’idéologie de l’identité sexuelle. Le film documente cette controverse, avec de nombreux exemples de menaces violentes adressées en ligne à des femmes critiques du genre, et des images de manifestations réelles avec des banderoles appelant, entre autres, les transfemmes à prendre les armes. La séquence montrant deux hommes masqués en train d’insulter des femmes pendant que la police s’efforce de les retenir est troublante et n’est pas un cas isolé.
Tout aussi troublants sont les nombreux exemples de femmes qui ont soulevé cette controverse, perdant leur emploi et subissant de l’ostracisme à cause de cela. Shereen Benjamin, par exemple, universitaire à Édimbourg, raconte que les collègues qui lui parlent encore lui disent qu’ils la rencontreront en dehors du campus, mais qu’ils ne peuvent pas prendre le risque d’être vus avec elle en public. Lucy Masoud raconte qu’elle a été prise pour cible par les activistes du lobby trans Stonewall après son passage sur Radio 4. Le personnel de Stonewall a exigé une réunion avec son employeur de l’époque, la brigade des pompiers de Londres, pour que l’on « s’occupe d’elle » et l’a qualifiée de prédicatrice de haine dans des courriels internes. Joan Smith a perdu son poste de présidente indépendante du conseil du maire de Londres chargé de la lutte contre la violence à l’égard des femmes et des filles pour avoir fait part des préoccupations des organisations luttant contre cette violence concernant la disparition des espaces non mixtes.
Comme le dit dans le film la philosophe Jane Clare Jones, les femmes qui contestent l’idéologie de l’identité sexuelle se font souvent dire qu’elles exagèrent, que personne ne prétend, par exemple, qu’il n’y a pas de réalité matérielle au sexe biologique. Les allusions à ce déni de la réalité sont souvent présentées comme transphobes en soi, comme si l’on voulait pousser à l’absurde les arguments des transactivistes pour les tourner en ridicule.
Le film fournit des démentis convaincants à cette accusation, comme par exemple l’expérience de Jo Phoenix qui a été dénoncée dans une lettre ouverte par 360 de ses collègues de l’Open University pour avoir mis en place un forum universitaire afin d’examiner comment, où et pourquoi le sexe biologique devait être pris en compte. Un autre démenti à cet argument est la réaction accompagnant ce film lui-même.
Dans sa déclaration sur la tentative de projection du film à Edinbourg, le réseau de solidarité entre le personnel et les étudiants de cette université a accusé « Adulte humaine femelle » d’épouser des points de vue intolérants, comme en témoignerait le fait de « nier de manière répétée les riches études et perspectives quotidiennes de ceux d’entre nous qui ne croient pas que le sexe doit être une catégorie cohérente et naturelle qui nous dit comment les gens doivent vivre leur vie ». L’importance du débat sur la nature et l’existence du sexe biologique a également été illustrée par Sarah Liu, présidente de la section locale de l’UCU et maître de conférences en sciences politiques à Édimbourg, qui a tweeté en réponse au film que la biologie est une construction sociale et que « nous voyons du sexisme, du racisme, de la discrimination fondée sur la capacité physique dans les manuels de biologie, ce qui signifie que rien n’est vraiment biologique/fixe, en particulier lorsque les sexes de certaines espèces peuvent changer ».
Sexe et genre
Aucune des personnes interviewées dans le film ne soutient que le sexe biologique d’une personne doit déterminer son comportement, bien au contraire. Une séparation claire est faite entre la réalité objective du sexe et la construction sociale du genre, définie ici comme les idées sociales sur la manière dont les hommes et les femmes doivent se comporter et illustrée par un homme qui regarde du sport tandis qu’une femme passe l’aspirateur autour de lui. Cette réalité objective du sexe est cependant affirmée sans excuses ni réserves. L’humanité est une espèce sexuellement dimorphe et, en dépit de la complexité et de l’existence de divers cas de développement anormal, il n’y a que deux sexes. Les individus de certaines espèces animales peuvent effectivement changer de sexe, mais les êtres humains n’en font pas partie. Le sexe biologique existe et le sexe n’est pas réparti sur un spectre.
Le fait que cette affirmation est qualifiée de « propager la haine », comme l’ont dit les étudiants, résume bien l’étrangeté de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Des femmes sont maltraitées, menacées, empêchées de se réunir, traitées de nazies, de négationnistes de l’Holocauste et de partisanes du génocide pour avoir répété ce qui, jusqu’à très récemment, était simplement un fait matériel de base. Il s’agit toujours d’un fait élémentaire et matériel.
La position des partisans de la notion d’identité sexuelle est qu’il ne peut y avoir aucun débat sur tout cela. Remettre en question n’importe quelle partie de leur idéologie est tenu pour si préjudiciable aux personnes transgenres que c’est en soi du sectarisme. Toute personne qui insiste pour mener ce débat nuit donc délibérément aux personnes transgenres et il serait légitime de l’empêcher de s’exprimer au motif que l’on ne doit concéder aucune tribune à des fascistes.
Cela assimile les féministes critiques des stéréotypes du genre à des fascistes, une position qui est tout simplement intenable. Il existe de nombreuses analyses différentes de l’oppression des femmes, tout comme de l’oppression des LGBT. Un certain nombre de femmes interviewées dans le film viennent de ce que j’appellerais une perspective féministe radicale, avec laquelle j’ai un certain nombre de désaccords profonds. Il s’agit toutefois d’une différence d’analyse, qui doit être traitée comme telle. Aucune de ces différences d’approche ne devrait justifier un boycottage. En effet, l’idée qu’un groupe opprimé pense qu’il est justifié d’essayer d’interdire l’expression d’un autre groupe opprimé nous indique qu’il y a un réel problème avec l’argument du « refus de tout débat ». Les menaces et les hyperboles documentées par le film, puis dirigées contre le film, ne peuvent être une manière acceptable pour le mouvement de se comporter, même sur une question – en particulier sur une question – qui est devenue personnelle pour de nombreuses personnes.
« Pas de tribune pour les fascistes » est une tactique spécifique qui est utile et appropriée contre les orateurs et les organisations d’extrême droite qui tentent de rendre leurs arguments respectables en s’appropriant des tribunes. De la même manière, nous essayons d’empêcher les fascistes de défiler dans nos quartiers parce que leurs manifestations sont délibérément conçues pour intimider les communautés qu’elles traversent.
Mais le refus de toute tribune n’est pas une tactique que nous devrions utiliser pour simplement exprimer notre mépris moral pour les personnes dont nous ne partageons pas les opinions. S’opposer à des femmes qui essaient de présenter un film n’est pas une argumentation politique.
Les organisations de gauche qui se sont associées à cette tentative de censure devraient être très claires quant aux dommages qu’elles causent. Elles pourraient se demander si une atmosphère de dénonciation frénétique a jamais été bénéfique pour les travailleurs, ou si elle a jamais protégé qui que ce soit contre l’oppression. Quand aux autres personnes, elles pourraient faire pire que de visionner ce film.
Version originale: https://www.counterfire.org/article/adult-human-female-review/
Traduction: TRADFEM
Vidéo du film (sous-titres français): https://www.youtube.com/watch?v=94HFMSm-JBo