Suzanne Moore a rencontré JK Rowling à propos d’une nouvelle ressource destinée aux femmes ayant vécu des agressions sexuelles

Un des textes le plus lus sur Internet aujourd’hui est apparemment cette interview dévoilant le plus récent projet féministe de la romancière JK Rowling, par la journaliste et blogueuse Suzanne Moore. Les « likes » et commentaires favorables se comptent déjà par milliers, alors que les antiféministes bouffent leurs chaussettes de frustration…

Lettres de Suzanne

Un entretien exclusif avec JK Rowling à propos de son nouveau projet

par Suzanne Moore

Lorsque J. K. Rowling vous dit qu’elle a quelque chose dans sa manche qu’elle veut vous montrer – un tout nouveau projet dont personne ne connaît l’existence – cela vaut la peine de prendre le train pour Édimbourg. Se lance-t-elle dans un tout nouveau genre ? Est-ce qu’elle abandonne l’écriture ? Est-ce qu’elle émigre ?   

Je n’en avais aucune idée.  

La Jo que je connais un peu possède à la fois une énorme présence publique et une vie privée bien protégée. Elle m’avait simplement dit qu’elle voulait s’asseoir et parler de féminisme en tête-à-tête, parce que nous ne l’avions jamais fait. Alors, autour d’un café et de biscuits, nous avons eu la conversation ci-dessous.   

« Causons un peu », m’a-t-elle dit, « puis je te montrerai ce que j’ai fait. »  

Depuis le moment où je l’avais entendue dire que nous vivions la période la plus misogyne de son existence, je me demandais ce qu’elle voulait dire, 

« Si vous m’aviez montré à 18 ans ce à quoi les jeunes filles auraient à faire face aujourd’hui – ce à quoi nous aurions toutes à affronter, mais particulièrement les jeunes filles – j’aurais été horrifiée. Parce qu’à 18 ans, on se dit que ça ne peut que s’améliorer, que l’on possède ces droits et qu’il y a toutes ces femmes extraordinaires qui font des analyses féministes, et que ça va changer, ça va vraiment changer. Quand j’aurai l’âge de ma mère, me disais-je, mes filles auront la vie tellement plus facile.   

« Mais maintenant, je pense que nous avons fait marche arrière. Je pense que nous vivons un cauchemar. »  

Elle s’est identifiée très tôt comme féministe. Enfant, même ?  

« Je dirais que oui, en effet. Et puis, à 18 ans, j’étais une féministe radicale à part entière. Je ressentais simplement un sentiment d’injustice à l’égard des femmes. La façon dont j’ai grandi était très traditionnelle. »  

Je lui dis que je n’ai réalisé que plus tard que j’étais féministe, parce que j’aimais trop le rouge à lèvres.   

« Je n’ai jamais cessé d’aimer le rouge à lèvres, répond-elle, mais le féminisme radical est une très vaste chapelle. Il y a des choses là-dedans avec lesquelles je ne suis pas d’accord. Je n’aime pas les idéologies, quelles qu’elles soient : je n’ai jamais rencontré d’idéologue qui ne supprimait pas un peu de vérité. »  

Il n’est pas permis de reconnaître, lui réponds-je, que les idéologies suppriment toujours la vérité.  

« Eh bien, je viens de le dire.  

« Mais tu as raison : tu choisis ta tribu, tu psalmodies les mantras, et tu défends tout jusqu’à la mort. Même si la logique doit être alambiquée. »  

J’envie les gens comme ça avec leur certitude, lui dis-je. C’est presque religieux.  

« Bien sûr, vous laissez votre cerveau à la porte.   

« J’ai beaucoup réfléchi à tout ça au cours de ces cinq, voire dix dernières années. Les anciennes définitions de la gauche et de la droite semblent s’être tellement estompées. J’ai l’impression que nous menons actuellement une guerre culturelle entre ce que je considère comme des fanatiques de l’autorité et des ultra-libéraux. Et ces catégories me semblent transcender l’ancien clivage gauche/droite. »  

Comme de nombreuses femmes, Rowling ne trouve pas de parti parlementaire à soutenir et ne sait pas pour qui voter. Rappelez-vous qu’il s’agit d’une femme qui a donné beaucoup d’argent au parti travailliste au fil des ans. Mais ce parti tergiverse aujourd’hui sur la clôture des enjeux de genre – et cette clôture est en train de s’effondrer.    

Nous parlons de la misogynie pure et simple d’une grande partie de la gauche dogmatique, pour qui la question des droits des femmes demeure secondaire. « Ils sont tellement convaincus de leur supériorité morale ».   

Je m’interroge sur les parallèles entre l’antisémitisme et la misogynie chez ces militants : les deux groupes d’opposants à ces dérives ont le sentiment de ne pas être écoutés, et que personne ne s’en soucie.  

« C’est l’instrumentalisation du traumatisme, n’est-ce pas ? On vous dit que votre expérience vécue n’est pas importante. On ne nous permet littéralement pas de parler de notre vécu. C’est ‘trop de recherche d’attention; vous ne faites que jouer à la victime’. C’est en fait un langage d’agresseur. » 

Ce qui m’a le plus choquée, c’est d’où est venu le mouvement de ressac envers les droits des femmes. Dans les années 90, nous avons lu Susan Faludi, qui disait que cela viendrait de la droite évangélique. Mais ici, elle est venue de la gauche et de la politique identitaire.   

Rowling est d’accord : « La deuxième vague [de féminisme] a fait des progrès considérables, tout comme la première vague. Je n’aurais jamais été surprise qu’il y ait un retour de bâton massif, mais je ne me serais pas attendue à ce qu’il vienne de ce que j’aurais considéré comme ‘mon équipe' ».  

Qui, je me le demande, est « notre équipe » de nos jours ? Les femmes qui défendent les droits des femmes sont maintenant couramment qualifiées de « transphobes », un terme que nous détestons toutes les deux.  Comme elle le dit: 

« Je n’ai pas du tout de peur irrationnelle ou de haine envers les personnes trans – comme Dieu sait que je l’ai dit tant de fois. Mais si vous affirmez que ‘c’est de la haine’ de ne pas croire en une âme sexuée, alors nous ne pouvons pas avoir de discussion. Nous ne pouvons pas. Il n’y a nulle part où aller. La tactique de l’opposition a été de refuser tout débat, mais elle est en train de changer. »  

Cela a commencé à changer quand Rowling a dévoilé sa position, et des fissures apparaissent maintenant partout. « Les femmes deviennent beaucoup plus courageuses pour exprimer leurs opinions », estime-t-elle.  

Mais cela a un coût. Je reçois toujours autant de courriels et de lettres de femmes qui veulent simplement poser des questions : des assistantes pédagogiques qui ne voient pas d’inconvénient à ce que des petits garçons portent des robes, des endocrinologues qui n’ont plus le droit d’utiliser les mots « homme » et « femme ». Des femmes qui se sentent contraintes au silence par peur de perdre leur emploi en disant « ce qu’il ne faut pas dire ».  

C’est ce qui a poussé Rowling à prendre la parole. Il y a trois ans, elle a vu ce qui se passait et a compris : « Il va falloir que ce soit moi, n’est-ce pas ? Parce que je serai toujours capable de nourrir mes enfants, même si tout le monde boycotte mes livres pour le reste de ma vie. C’est un privilège phénoménal que d’être dans cette position. Je me considère comme l’une des personnes les plus chanceuses sur Terre. »  

Chanceuse ? Avec des menaces de mort qui pleuvent sur elle depuis tous les coins de la Twittersphère ?  

« Nous savons toutes, nous qui avons été dans l’œil du cyclone, que des tentatives sont toujours faites pour vous arrêter. Et ce qui est si intéressant, c’est que l’idée maîtresse de cette tentative de nous imposer le silence est de vous imposer un état de peur. »  

Pour nous deux, c’est la peur pour nos familles qui est la plus difficile à supporter.  

« C’est pourquoi il est important que des femmes comme nous se lèvent – des personnes qui peuvent se permettre de prendre les coups. Et oui, cela a un coût. Nous avons toutes deux payé ce prix, et on nous dira toutes deux que nous avons été annulées par la ‘cancel culture’. Mais tu n’as pas cessé de t’exprimer… »  

Elle rit. « La seule fois où j’ai fait référence aux tentatives de m’annuler, les ventes de mes livres ont augmenté. Pourquoi est-ce que j’en ris ? Je n’arrive pas à croire que je dise cela. Mais il faut rire de ces personnes. Je ne me considère pas du tout comme ‘annulée’. »  

Nous rions, mais nous connaissons toutes deux des femmes qui ont perdu leur emploi, des lesbiennes à l’allure non féminine qui ont été mises en pièces en raison de leur tenue. Au lieu de célébrer la non-conformité de genre, on a l’impression que les stéréotypes de genre sont plus que jamais exacerbés.   

La position de Rowling, et le changement de statut public qu’elle a entraîné – passant de l’irréprochable impératrice de Poudlard à l’iconoclaste problématique et boudée – a dû affecter certaines de ses relations personnelles ? Et, oui, elle a perdu des proches qui peuvent lui envoyer des messages de soutien en privé mais qui, en public, ne la soutiendront pas (C’est aussi mon cas…). Par contre, elle a rencontré des femmes qui feront partie de sa vie pour toujours, même si elle ne partage pas leurs opinions sur des questions telles que l’indépendance de l’Écosse, par exemple.   

Nous sommes toutes deux au courant du maccarthysme envahissant, de l’effacement imposé au langage et de ceux qui ne sont que trop heureux de dénoncer les femmes qui pensent mal.   

« Qu’est-ce qu’un ‘espace sûr’ ? » demande-t-elle. « Pour moi, un espace sûr n’est pas un endroit où je dois utiliser uniquement les ‘termes corrects’ ou où je ne suis pas autorisée à parler de ma propre expérience de vie. Ou je ne suis pas autorisée à professer une croyance en la biologie. En quoi cela constitue-t-il un espace sûr pour moi ? Bien sûr que non, et ce n’est pas non plus un espace sûr pour beaucoup, beaucoup de femmes ».  

Lors de la recherche de son dernier livre, Jo a examiné les sites de médias sociaux comme Tumblr et Reddit. « Quelqu’un a dit un jour : « A quoi ressemblerait le roman Lord of the Flies s’il s’agissait de filles au lieu de garçons ? ». Et je l’ai vu. Certains contenus de ces plateformes sont choquants, pleins d’automutilation et de troubles mentaux évidents. 

Je lui dis qu’Instagram et Twitter me suffisent car je ne peux pas gérer la technologie. « Moi non plus, dit-elle Mais il faut dire que j’aime les filtres, surtout après une dure nuit. »  

« Certains salons de discussion m’ont tellement touchée que je suis retournée lire Christopher Lasch, qui a écrit une phrase magnifique sur la confusion entre l’autosurveillance anxieuse et l’autoexamen critique. »  

C’est la clé : cette redéfinition personnelle et cet étiquetage de soi qui font que le féminisme est devenu complètement individualiste et perd ainsi son pouvoir collectif.  

« C’est là que mon féminisme se sépare nettement du féminisme de la troisième vague, dit-elle. Je vois tellement de confusion entre féminité et condition féminine. Nous nous battions pour mettre fin à cette confusion, et les voilà qui, à mon avis, l’adoptent.   

« Les contradictions me rendent folle : on nous dit que le genre est naturel, inné et en même temps que c’est un choix, une performance. Ces assertions ne peuvent pas être toutes les deux vraies. Si c’est un choix, alors clairement ce n’est pas inné. »  

Nous parlons de l’Iran et de l’Afghanistan. Ma désillusion avec le type de féminisme actuellement à la mode est qu’il n’a pas la moindre portée mondiale.   

Rowling répond : « Il y a eu un recul. J’ai l’impression que le féminisme dominant s’est orienté vers ce modèle très individualiste depuis un certain temps, probablement au cours des 20 dernières années. Cet argument prétend que tout choix fait par une femme est, par définition, un choix féministe, parce qu’il a été fait par une femme. Mais où est l’analyse des options limitées dont disposent certaines femmes ? Je me sens frustrée par ce que je considère comme une vision très élitiste. Si nous reformulons certaines expériences, voilà : nous avons redéfini le problème pour qu’il n’existe plus. J’ai l’impression que les jeux de langage ont pris la place d’un véritable militantisme. Allons-nous simplement nous asseoir, en sirotant du Chardonnay, et parler de tout cela avec la bonne terminologie ? Mais où est notre solidarité réelle avec ces femmes ?  

« Le discours que j’ai rencontré à certains endroits est qu’il n’y a pas d’expérience universelle de la féminité. Eh bien, il y a une expérience commune : c’est le fait d’être une femme. Mais si vous retirez cela de toute analyse sérieuse, tout s’écroule. J’ai été stupéfaite du nombre de femmes qui m’ont contactée en me disant : « Nous ne pouvons pas nous battre si ce n’est sur la base de notre classe de sexe ». Sans classe de sexe, pas de militantisme. »  

Le téléphone sonne. « Es-tu es prête à y aller ? » dit Jo. « Il y aura des sandwiches. »  

Hmm : sandwiches ou militantisme ? Le choix est difficile.   

On monte en voiture et on se rend dans une maison de ville à Edimbourg. Les moquettes sont en train d’être posées. L’odeur de la peinture fraîche est partout. C’est ce qu’elle voulait me montrer. 

C’est Beira’s Place.   

Il s’agit d’un nouveau service de soutien et de défense des droits des femmes qui ont subi des violences sexuelles, personnellement financé par J.K. Rowling, et qui ouvre ses portes aujourd’hui. Il a été mis en place pour répondre à un besoin non comblé des femmes survivantes pour un service qui sera réservé aux femmes, car il n’y en a pas actuellement dans la région.   

Je ressens une légère nervosité. Comment ont-elles réussi à garder tout cela secret ? Mais elles ont réussi ! Elles inaugurent le local aujourd’hui. Tout ce qui porte le nom de Rowling est destiné à attirer l’attention. Le fait que quelqu’un s’en prenne à un centre d’aide aux victimes de viol serait mal vu, mais la situation est telle en Écosse que des manifestants ont hurlé contre des femmes qui se rendaient au Parlement pour témoigner de leurs expériences d’agressions.  

L’unique centre anti-viol d’Edimbourg est actuellement déjà surchargé et quelque peu controversé. Sa position selon laquelle les survivantes ont besoin d’être rééduquées quant aux droits des transfemmes pour pouvoir se remettre de leur traumatisme ne convient pas à beaucoup de ses utilisatrices. L’idée que les survivantes qui ont des « croyances inacceptables » devraient voir leurs préjugés remis en question soulève la question de savoir à qui s’adresse ce service. 

Ce refoulement de l’opinion politique d’une femme à un moment de profond traumatisme et de crise serait-il inapproprié ? Est-ce éthique ? Professionnel ? De nombreuses survivantes ne se sentent pas à l’aise avec tout cela et demandent fréquemment à être soutenues par des femmes. Et uniquement par des femmes. Certaines peuvent même en venir à refuser pour cette raison des services offerts dans un contexte de mixité.

Cette situation, ainsi que le fait que la première ministre écossaise, Nicola Sturgeon, vient de faire adopter à la vapeur son projet de loi sur l’auto-identification sexuelle (en dépit d’une ferme intervention de Reem Alsalem, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la violence à l’égard des femmes et des filles), peuvent être considérés comme faisant partie du contexte actuel de ce nouveau centre. Mais il est évident que l’ouverture de cette ressource est planifiée depuis de nombreux mois.  

Nous entrons dans une pièce confortable, avec un feu de cheminée et des assiettes de sandwichs et de biscuits. Nous nous sentons dans un espace chaleureux et sûr. La pièce est remplie de femmes qui ont des dizaines d’années d’expérience dans le travail avec les femmes victimes de viols et de violences. Isabelle Kerr, PDG de Beira’s Place, affirme qu’il s’agit de crimes sexistes qui traversent toutes les classes, cultures et religions : « Des services efficaces de lutte contre la violence sexuelle doivent être indépendants, axés sur les besoins et fournir des services réactifs et centrés sur les femmes, sans subir la pression des programmes politiques actuels. »  

Beira’s Place n’est ni un refuge ni une halte-accueil. Au contraire, les femmes y arrivent, leurs besoins sont évalués, puis on les oriente vers des thérapies et des mesures d’aide appropriées pour elles. Et ce, gratuitement.   

La criminalité sexuelle en Écosse est en hausse depuis 1974. Jo Rowling parle de répondre à des besoins non satisfaits « Ayant moi-même survécu à une agression sexuelle, je sais combien il est important que les survivantes aient la possibilité de bénéficier de soins centrés sur les femmes et dispensés par des femmes à un moment aussi vulnérable. »  

Il y a clairement tant de besoins non satisfaits – les listes d’attente sont énormes pour les centres d’aide aux victimes de viols dans tout le Royaume-Uni. Le manque de financement est un problème majeur.  

Ce que Rowling a fait ici est étonnant. Non seulement a-t-elle acheté le bâtiment, mais elle finance l’ensemble du service. Ce n’est pas une association caritative. Beira’s Place ne dépendra pas des caprices des détenteurs du pouvoir politique. Bien que Rowling couvre les coûts de base, si des gens veulent soutenir le service, ils et elles peuvent éventuellement le faire à l’avenir en faisant des dons pour des extras tels que les frais de voyage ou de garde d’enfants des utilisatrices du service. Mais pour l’instant, ce n’est pas la priorité.  

L’histoire est simplement la suivante : elles augmentent la capacité quand et où elle est vraiment nécessaire. Elles offrent un choix. Beira’s Place ne propose pas de « rééducation ».  On ne porte aucun jugement.   

Comme l’explique Isabelle Kerr : « Vos opinions politiques n’ont aucune importance. Nous nous concentrons sur ce sur quoi vous êtes en mesure de vous concentrer. Ainsi, lorsqu’une femme arrive, nous lui posons toute une série de questions. Mais qu’elle réponde ou non à ces questions n’affectera pas le soutien qu’elle recevra. Elles peuvent donner autant ou aussi peu d’informations qu’elles le souhaitent. Elles viennent donc pour cette évaluation, puis nous prenons des dispositions pour qu’elles commencent à bénéficier d’un bloc de séances avec une travailleuse sociale désignée.   

« La première étape consiste à garantir leur sécurité. Il faut que quelqu’un se sente en sécurité dans cette pièce. Parce que si elle ne se sent pas en sécurité, elle ne sera jamais en mesure de commencer à révéler son traumatisme et à le surmonter. Et c’est là que débute son processus de rétablissement.   

« Mais nous veillons également à ce qu’elles soient en sécurité ailleurs. Parce que si elles ne sont en sécurité qu’ici, nous ne faisons pas notre travail. Elles peuvent avoir besoin d’un logement sûr, et il y a quelque chose que nous pouvons faire à ce sujet. C’est de cela qu’il s’agit dans notre activité de défense de leurs droits. »  

Peu importe que la femme se soit adressée à la police ou non. Peu importe qu’elle ait été violée une seule fois ou – comme c’est trop souvent le cas pour les femmes détenues – qu’elle ait subi des agressions toute sa vie.   

La directrice générale adjointe, Sue Domminney, parle également d’une approche pragmatique et flexible de la thérapie : thérapie de groupe pour certaines, travail corporel pour d’autres, voire thérapie cognitive comportementale. « Le modèle choisi est celui qui fonctionne pour cette femme-là ». Elles utiliseront certainement l’excellent livre de Judith Lewis Herman, Trauma and Recovery, et The Body Keeps the Score, de Bessel van der Kolk.  

Des problèmes de protection peuvent se poser si une femme révèle qu’une personne de moins de 16 ans est en danger. Isabelle a manifestement dû faire face à cette situation à de nombreuses reprises. « Je vais directement voir la femme et lui dis que je dois alerter les autorités de protection de la jeunesse. Souvent, la femme veut que vous fassiez quelque chose parce qu’elle se sent impuissante ». 

Le C.A. de Beira’s Place. De g. à d. : Susan Smith, J.K. Rowling, Johann Lamont, Margaret McCartney, Rhona Hotchkiss. (Photo Nicole Jones)

Ces femmes luttent contre la violence masculine, et elles savent vraiment à quoi elles ont affaire. Kerr et Domminney ont à elles deux plus de trente ans d’expérience dans la gestion du centre Glasgow and Clyde Rape Crisis. Et Rowling a sélectionné une équipe de rêve comme directrices du conseil d’administration pour les soutenir : Rhona Hotchkiss, ancienne infirmière, directrice de prison et conseillère auprès du gouvernement écossais ; Johann Lamont, députée des partis travailliste et coopératif, et militante de longue date pour les droits des femmes ; le Dre Margaret McCartney, médecin généraliste, universitaire et communicatrice ; et Susan Smith, codirectrice de For Women Scotland, la plus grande organisation féministe de base au pays.  

Assise aux côtés de Kerr et Domminney, je ressens l’expertise et la compréhension des enjeux qui émanent de ces femmes. Le simple fait d’être dans cette pièce est incroyablement réconfortant. Il n’y a aucun enjeu qu’elles n’ont déjà reconnu et abordé. Elles sont, pour utiliser le jargon, parfaitement en phase avec les besoins des femmes.  

Je me sens dépassée par l’existence de personnes aussi extraordinaires.  

Rowling prend un sandwich « J’ai pris le BLT. Ça dérange quelqu’un ? »   

Elle s’assied et parle peu; je remarque qu’elle se contente d’écouter, mais c’est une femme qui a des ovaires d’acier. Pourquoi a-t-elle fait ça ?   

Elle se souvient avoir entendu sur le tard la phrase selon laquelle les femmes violées avaient besoin de « recadrer leur traumatisme ». Cela l’a vraiment interpellée: pourquoi, a-t-elle harangué son mari, lorsque vous êtes extrêmement traumatisée et que vous allez chercher du soutien quelque part, vos croyances devraient-elles entrer en ligne de compte ?  

« Je grimpais aux murs. Ce n’est pas une affaire politique pour moi ; c’est personnel. Et puis, au bout de deux jours, j’ai eu une illumination et je me suis dit : ‘Je n’ai pas besoin de faire les cent pas dans ma cuisine pour fulminer. Je peux vraiment faire quelque chose à ce sujet’. Et c’est comme ça que tout a commencé. Donc me voilà. »  

Et nous y voilà. À Beira’s Place, un service destiné aux femmes et géré par des femmes.    

Beira (prononcez By-ra) est la déesse écossaise de l’hiver. Elle règne sur la partie sombre de l’année et passe le relais à sa sœur Bride lorsque l’été revient. Beira représente la sagesse, le pouvoir et la régénération des femmes. Sa force perdure pendant les périodes difficiles, mais son mythe contient la promesse que ces temps ne dureront pas éternellement.  

Rowling a mis son argent là où est son cœur, et quel cœur elle a ! Quelle chose brillante, brillante, elle a fait.  

J’ai attendu d’être dans le train pour verser une larme. De joie, pas de chagrin.   

Ce n’est pas le moment le plus facile pour défendre les droits des femmes. Mais quand l’est-ce ?  

La belle citation de Camus m’est venue à l’esprit :  

« Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible… C’était lui qui pour finir m’avait empêché de désespérer. »  

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Je vous remercie.

Suzanne

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