par Pamela Paul, chroniqueuse d’opinion, New York Times, 3 juillet 2022
Il est peut-être logique que les femmes – ces créatures censées être dociles et agréables, qui se sacrifient pour tout et tout le monde – soient celles qui rassemblent en fin de compte notre pays polarisé.
Parce que l’extrême droite et ce qui se présente comme l’extrême gauche ont trouvé la seule chose sur laquelle elles peuvent s’entendre : Les femmes ne comptent pas.
La position de la droite sur cet enjeu est la plus connue, ce mouvement s’étant consacré agressivement à priver les femmes de leurs droits fondamentaux depuis des décennies. Grâce en partie à deux juges de la Cour suprême, contre qui ont été portées des accusations crédibles d’agressions sexuelles à l’égard de femmes, l’arrêt Roe v. Wade, ciblé par les forces misogynes depuis près de 50 ans, vient d’être impitoyablement annulé.
Ce qui est encore plus déconcertant, c’est qu’un contingent de gauche ultra-marginal s’est jeté dans la bataille avec son propre programme abolitionniste qui s’avère, peut-être involontairement, dangereusement efficace.
Il fut un temps où les organisations étudiantes et populaires défendaient vigoureusement la cause des femmes. Les droits des femmes étaient des droits humains et il fallait se battre pour eux. Bien que l’amendement sur l’égalité des droits n’ait jamais été ratifié aux USA, les juristes et les groupes de défense ont passé des années à travailler pour faire des femmes une classe protégée contre la discrimination.
Mais aujourd’hui, un certain nombre d’universitaires, d’ultra-progressistes, d’activistes transgenristes, d’organisations de défense des libertés civiques et d’organisations médicales travaillent dans le but opposé, soit priver les femmes de leur droits humains en les réduisant à un mélange de parties du corps et de stéréotypes de genre.
Comme l’a signalé en éditorial mon collègue Michael Powell, même le mot « femme » est devenu verboten. Auparavant, un terme communément utilisé pour désigner la moitié de la population mondiale, ce mot avait une signification spécifique liée à la génétique, la biologie, l’histoire, la politique et la culture. Ce n’est plus le cas. À sa place, on voit proliférer. aujourd’hui des euphémismes encombrants comme « personnes enceintes », « personnes ayant leurs règles » et « corps dotés d’un vagin »…
Le lobby Planned Parenthood, la version américaine du Planning familial, autrefois un défenseur acharné des droits des femmes, omet maintenant le mot « femmes » sur sa page d’accueil. L’organisation NARAL Pro-Choice America a eu recours à l’expression « les personnes qui accouchent » au lieu de « les femmes ». L’American Civil Liberties Union, défenderesse de longue date des droits des femmes, a tweeté le mois dernier son indignation face à l’annulation annoncée du célèbre arrêt Roe c. Wade comme une menace pour plusieurs groupes, soit « les Noirs, les indigènes et autres personnes de couleur, la communauté L.G.B.T.Q., les immigrants, les jeunes ».
Mais elle n’a pas mentionné dans ce protêt les personnes les plus menacées : les femmes. Voilà une façon bien amère de marquer le 50e anniversaire de la loi de droits civiques connue sous le nom de Title IX.
La noble intention qui sous-tend l’omission du mot « femmes » est de faire place au nombre relativement minime d’hommes disant s’identifier comme femmes (en anglais, transwomen) et de personnes s’identifiant comme non binaires qui conservent des aspects de la fonction biologique féminine et peuvent donc concevoir, donner naissance ou allaiter. Mais malgré cet esprit d’inclusion, le résultat a été de mettre les femmes à l’écart.
Les femmes, bien sûr, se sont montrées accommodantes. Elles ont accueilli ces hommes-identifiés-femmes dans leurs organisations. Elles ont appris que le fait de proposer un espace réservé aux femmes biologiques dans des situations où la présence d’hommes peut être menaçante ou inéquitable – les centres d’aide aux victimes de viol, les refuges pour les victimes de violence domestique, les sports de compétition, par exemple – était actuellement considéré par certains comme une forme d’exclusion. S’il y a d’autres personnes marginalisées pour lesquelles il faut se battre, on suppose que les femmes seront celles qui se plieront au programme politique de ces autres plutôt que de promouvoir le leur.
Mais, mais, mais… Peut-on reprocher à la communauté sororale de ressentir un brin de nervosité ? De grimacer devant la présomption d’un acquiescement à ces exigences ? De s’inquiéter des implications plus larges qui se profilent déjà ? De se demander quel genre de message nous envoyons aux jeunes filles sur le fait de se sentir bien dans leur corps, d’être fières de leur sexe et sur les perspectives de la féminité, après avoir essentiellement cédé à un nouveau retour de bâton antiféministe ?
Les femmes ne se sont pas battues aussi longtemps et aussi durement pour qu’on leur dise qu’elles ne pouvaient plus s’appeler des femmes. Il ne s’agit pas seulement d’une question de sémantique ; c’est aussi une question de préjudice moral, un affront à notre sens même de l’identité.
Il n’y a pas si longtemps – et à certains endroits, cette croyance persiste – les femmes étaient considérées comme une simple côte prélevée sur un Adam intégral. Considérer les femmes comme des entités à part entière, et non comme une simple collection de parties dérivées, était un élément important de la lutte pour l’égalité sexuelle.
Mais voilà que nous recommençons à fractionner les femmes en organes individuels. L’année dernière, la célèbre revue médicale britannique The Lancet s’est félicitée d’avoir publié un article sur les menstruations. Pourtant, au lieu de mentionner les êtres humains qui vivent cette activité biologique mensuelle, le titre placé en page couverture a parlé de « corps dotés de vagins ». C’est presque comme si les autres parties du corps féminin – utérus, ovaires ou même quelque chose de relativement neutre comme le cerveau – étaient sans importance. Le fait que ces choses aient tendance à être emballées dans un paquet humain ayant deux chromosomes sexuels X est apparemment sans importance.
Une femme pourrait être tentée de plaisanter en disant « Et nous alors, on compte pour tripette?… », mais dans cette atmosphère centrée sur les ,organes et largement dépourvue d’humour, il serait peut-être plus sage de ne pas le faire.
Les femmes qui expriment publiquement des émotions mitigées ou des opinions contraires sont souvent brutalement dénoncées pour avoir osé parler. (Il suffit de taper sur Google le mot « trans » associé aux noms de Martina Navratilova, J.K. Rowling ou Kathleen Stock pour constater la férocité de ces attaques.) Ces femmes risquent tous les jours leur emploi et leur sécurité personnelle. On les accuse d’être « transphobes » ou on les qualifie de « TERF », un terme péjoratif qui n’est peut-être pas familier à ceux qui n’ont jamais mis les pieds sur ce champ de bataille particulier. Abréviation de « trans-exclusionary radical feminist » (féministe radicale trans-exclusive), qui désignait à l’origine un sous-groupe du mouvement féministe britannique, le mot « TERF » constitue désormais une insulte adressée à toute femme, féministe ou non, qui persiste à croire que si les hommes-identifiés-femmes doivent être libres de vivre leur vie dans la dignité et le respect, ils ne sont tout de même pas identiques à celles qui sont nées femmes et ont vécu toute leur vie comme telles, avec tous les attributs biologiques, les attentes sociétales et culturelles, les réalités économiques et les problèmes de sécurité que cela implique.
Mais dans un monde où les identités de genre deviennent choisies, les femmes en tant que catégorie biologique n’existent plus. Certaines pourraient même appeler ce genre de chose un « effacement des femmes ».
Lorsqu’ils ne définissent pas les femmes par des parties du corps, les misogynes des deux pôles idéologiques semblent déterminés à réduire les femmes à des stéréotypes de genre rigides. La formule de droite, nous la connaissons bien : les femmes sont maternelles et domestiques – celles qui ressentent, qui donnent et qui « se sacrifient » continuellement aux intérêts des autres. Les nouveaux venus inattendus dans cette typologie rétrograde sont les prétendus progressistes de la gauche marginale. Conformément à une théorie du genre nouvellement imposée, ils proposent maintenant que les filles – lesbiennes ou hétéros – qui ne s’identifient pas d’abord comme féminines ne sont en quelque sorte pas des filles à part entière. Les cahiers d’exercices sur l’identité de genre créés par les groupes transgenristes pour être enseignés dans les écoles proposent aux enfants des diagrammes suggérant que certains styles ou comportements sont « masculins » et d’autres « féminins ».
N’avons-nous pas abandonné ces catégories étroites dans les années 70 ?
Après tout, le mouvement des femmes et le mouvement pour les droits des homosexuels ont tenté de libérer les sexes de la construction du genre, avec ses notions désuètes de masculinité et de féminité, afin d’accepter toutes les femmes telles qu’elles sont, qu’elles soient garçon manqué, fillette ou future gouine. Défaire tout cela, c’est sacrifier un terrain durement gagné pour les femmes – et pour les hommes aussi.
Ceux qui, à droite, se sentent menacés par l’égalité des femmes se sont toujours battus avec acharnement pour remettre les femmes à leur place. Ce qui est décourageant, c’est que certains membres de la frange de la gauche marginale se montrent aujourd’hui tout aussi méprisants, recourant à l’intimidation, aux menaces de violence, à la réprobation publique et à d’autres tactiques alarmistes lorsque les femmes tentent de réaffirmer ce droit. L’effet est de réduire la discussion sur les questions relatives aux femmes dans la sphère publique.
Mais les femmes ne sont pas l’ennemi ici. Considérez que dans le monde réel, la plupart des violences menées à l’encontre des hommes et des femmes trans sont commises par des hommes, mais que sur internet et dans les universités, la plupart des critiques lancées par cette nouvelle idéologie du genre semblent être dirigées contre des femmes.
C’est navrant. Et c’est contre-productif.
La tolérance pour un groupe ne doit pas nécessairement signifier l’intolérance pour un autre. Nous pouvons respecter les hommes-identifiés femmes sans fustiger les femmes qui soulignent que les femmes biologiques constituent toujours une catégorie à part entière – avec leurs besoins et leurs prérogatives spécifiques.
Si seulement les voix des femmes étaient couramment accueillies et respectées sur ces questions. Mais qu’ils soient Trumpistes ou traditionalistes, militants de la gauche marginale ou idéologues universitaires, les misogynes des deux extrêmes de l’échiquier politique semblent savourer tout autant les uns que les autres le pouvoir d’imposer le silence aux femmes.
Version originale: https://archive.ph/20220703203512/https://www.nytimes.com/2022/07/03/opinion/the-far-right-and-far-left-agree-on-one-thing-women-dont-count.html?
Traduction: TRADFEM
Il aurait été plus judicieux d’écrire ceci dans le titre /: pour éviter l’amalgame.
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Commentaire de Kara Dansky, affiché sur son site (karadansky.substack.com) le 25 octobre: « N’avons-nous pas abandonné ces catégories étroites dans les années 70 ? » a écrit Pamela Paul ci-dessus
Oui, nous le pensions. Malheureusement, l’industrie de l’abolition du sexe a tout ramené sous la forme de « l’identité de genre ».
Paul a récidivé. Le 23 octobre, elle a publié un autre article d’opinion dans le Times intitulé, tout simplement, « Let’s Say Gay ». Le cadrage est brillant. Son propos est de contester l’utilisation croissante du mot « queer » pour décrire les personnes lesbiennes, gays et bisexuelles. C’est un bon défi. Pas une seule des personnes lesbiennes, gays ou bisexuelles que je connais n’est à l’aise avec l’utilisation du mot « queer ». La plupart le considèrent comme une insulte déplorable et une menace voilée.
Il est également important de distinguer les mots « gay » et « lesbienne ». Paul cite Julia Diana Robertson qui a écrit :
« Mais ce ne sont pas seulement les personnes âgées qui se hérissent. Les médias grand public, et les médias grand public « L.G.B.T.Q. », traitent le mot « lesbienne » comme s’il s’agissait de la peste », note Julia Diana Robertson dans la publication lesbienne The Velvet Chronicle.
Et le cadrage est brillant. Lorsque les législateurs présentent des projets de loi visant à limiter la capacité des enseignants à parler de « l’identité de genre » en classe, beaucoup de gens décrient ces projets de loi comme des lois « Don’t Say Gay ». Mais ce n’est pas le cas. L’article de Paul est une réfutation implicite de cette présentation fallacieuse de ces lois.
Je suis, comme toutes les personnes lesbiennes, gays et bisexuelles que je connais, d’accord avec Paul. Lesbienne, gay et bisexuel sont des termes exacts qui traduisent l’attirance pour le même sexe. N’ayons pas peur de les utiliser.
Pendant un certain temps, le hashtag #LesbianNotQueer était en vogue sur Twitter.
L’article de Paul explique bien pourquoi.
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