Phyllis Chesler se remémore la deuxième vague du féminisme

Je n’aurais manqué pour rien au monde notre révolution féministe.

Phyllis Chesler, 11 oct. 2022

Je reste à jamais fidèle à ce moment qui m’a libérée de mon ancienne vie de jeune fille.

Version française d’un discours prononcé par l’écrivaine Phyllis Chesler lors de la conférence nationale de l’0rganisation Women’s Declaration International (WDI) USA le 24/9/22, republié sur 4W avec la permission de l’autrice.

Nous sommes aujourd’hui confrontées à la disparition totale de la femme, tant sur le plan linguistique qu’en tant que réalité biologique ; les droits fondés sur le sexe ont été supplantés par des droits attribués à l’identité de genre ; les féministes radicales qui remettent en question le phénomène transgenre sont discréditées, censurées et désinvitées des lieux de parole publique. Cela vient de m’arriver. Les espaces réservés aux femmes disparaissent. Les positions féministes radicales sur la violence masculine, la pornographie, la prostitution et la maternité de substitution sont maintenant considérées comme rétrogrades. À la fin des années 1960, nous avons aidé des femmes à obtenir des avortements « illégaux » – et, chose incroyable, nous pourrions avoir à le faire à nouveau.

Compte tenu de cette réalité, de ces pertes profondes, j’ai presque honte de décrire les jours optimistes de la deuxième vague. Mais c’est la réalité.

La chose la plus importante à vous dire est peut-être qu’il n’a pas été difficile pour nous d' »émerger », en tant que féministes, nous avions un créneau d’ouverture dans l’histoire. Presque tout ce que nous disions et faisions était considéré comme digne d’être publié. Toutefois, même si c’était une nouvelle expérience, cela ne signifiait pas que nous avions un réel pouvoir. Nous avons tiré la sonnette d’alarme, mais nous n’avons pas réussi à abolir le viol, l’inceste, le harcèlement sexuel, les coups portés aux femmes dans le couple ou la traite des êtres humains. Nous n’avons pas réussi à empêcher les femmes de perdre la garde de leurs enfants.

Nous, les pionnières, sommes apparues entre 1963 et 1973 et avons pris nos idées très au sérieux. Nous ne pensions pas toutes de la même manière. Nous étions des championnes de la division des cheveux en quatre et nos désaccords étaient mus par une passion brûlante.

La deuxième vague s’est composée de trois grands courants : en 1966, nous avons créé une organisation de défense des droits civils des femmes : la National Organization for Women, qui a intenté des recours collectifs et manifesté contre l’inégalité des femmes sur le plan juridique, reproductif, politique et économique.

Ensuite (à la fin des années 1960), nous avons organisé des piquets de grève, des défilés, des manifestations, des sièges d’institutions et, chose célèbre, des prises de possession de bureaux et d’immeubles ; nous nous sommes jointes à des groupes de conscientisation ; nous nous sommes renseignées sur les orgasmes ; nous avons organisé des forums de discussion ; nous avons créé des lignes d’assistance téléphonique et des refuges à l’intention des femmes violentées ; et nous sommes devenues lesbiennes.

Enfin, (et ce point est généralement sous-estimé), nous avons mis en œuvre des idées féministes au sein de nos professions et c’est ainsi qu’a débuté un processus de transformation qui se poursuit encore aujourd’hui.

Ce sont les trois puissants affluents de la deuxième vague. J’ai nagé dans les trois.

J’avais une vision tellement idéalisée des féministes que lorsque j’ai commencé à rencontrer des comportements incompréhensibles de « méchantes filles » parmi nous, j’ai (nous avons toutes) été stupéfaites, prises au dépourvu.

En l’absence du mouvement féministe, j’aurais eu une carrière mais pas nécessairement une vocation ; j’aurais quand même écrit mes livres, mais ils auraient eu un public beaucoup plus restreint et un impact bien moindre.

Il est essentiel de comprendre que la plupart d’entre nous ne savaient rien – absolument rien – de nos ancêtres féministes. Dans Women of Ideas and What Men Have Done to Them (1982), la divine érudite australienne Dale Spender a documenté la manière dont les travaux féministes les plus remarquables avaient été systématiquement occultés, encore et encore. Leurs écrits étaient brillants et enflammés – mais sont devenus inconnus de chaque génération successive.

En dix ou quinze ans, les livres des meilleurs esprits de ma génération féministe étaient épuisés. En quinze ou vingt ans, les professeur.es d’université et leurs étudiant.es ont cessé d’être mis.es au courant de la plupart de nos travaux. Ils et elles ont tenu pour acquis, ou considéré comme désespérément démodés, les procès éreintants que nous avions intentés, nos écrits universitaires, nos écrits populaires et notre courageux militantisme – si tant est qu’ils et elles se souviennent de ce que nous avions fait.

Au cours de notre propre vie, nous sommes devenues l’équivalent de nos grands-mères suffragistes et avons partagé leur destin poussiéreux et oublié. Chaque génération de féministes a dû réinventer la roue. Certaines ont neutralisé, édulcoré et fait disparaître nos idées – et ont publié leurs propres écrits dans une langue incompréhensible, un mandarin pour universitaires.

La deuxième vague était la première fois de ma vie que je faisais l’expérience d’une solidarité féminine fondée sur des idées – et ce fut merveilleux.

Et pourtant : J’avais une vision tellement idéalisée des femmes féministes que lorsque j’ai commencé à rencontrer parmi nous des comportements incompréhensibles de « méchantes filles », j’ai été (nous avons toutes été) stupéfaite, prise au dépourvu.

Et, lorsque nous avons été calomniées, honnies par tous les gens que nous connaissions, et que notre histoire a été réécrite – nous n’avons pas eu de nom pour ce qui se passait.

Finalement, nous avons qualifié cette offensive de « trashing‘ (démolition) (ce sont Anselma Dell’Olio et Jo Freeman qui ont créé ce mot), et cette offensive a fait fuir beaucoup de bonnes féministes. Cela ne m’a jamais arrêtée – rien ne m’a jamais arrêtée – mais cela a fait des ravages.

Cela signifie que mon plus grand réconfort et ma plus grande force sont venus de l’accomplissement du travail lui-même – et du fait de savoir que ce travail a touché, changé et même sauvé la vie de nombreuses femmes.

J’ai été un soldat en guerre toute ma vie, je porte des cicatrices ; tous les guerriers en portent.

Il est inspirant de constater que nombre de nos idées et idéaux féministes occidentaux de la deuxième vague ont été adoptés, affinés et dépassés par des groupes de femmes du monde entier. Aujourd’hui, il y a des femmes sur tous les continents qui se battent pour abolir le viol conjugal, les coups portés aux femmes dans le couple, le fémicide, l' »hostilité envers Ève » (eve teasing) », le voilement forcé du visage, la violence basée sur l’honneur, les meurtres rituels, le mariage des enfants, la polygamie, les MGF, etc. Regardez les courageuses Iraniennes – comme je l’ai dit en 1971, nous aurions besoin d’une armée aérienne féministe et d’un continent féministe pour secourir ces manifestantes.

Plus récemment, pendant plus d’un an, j’ai fait partie d’un groupe d’activistes de partout dans le monde qui ont aidé à évacuer des femmes afghanes et qui ont organisé des livraisons de nourriture et de médicaments pour celles qui sont toujours piégées derrière les lignes talibanes. Ces actions s’inscrivent dans la continuité du militantisme de la deuxième vague.

Malgré tout, malgré tout ces reculs, je n’aurais pas manqué cette révolution, ni pour l’amour ni pour l’argent. Je reste à jamais fidèle à ce moment précis, à ce réveil collectif qui m’a libérée de mon ancienne vie de fille. Permettez-moi de paraphraser le discours le plus mémorable que Shakespeare ait mis sur les lèvres du roi Henry V :

« Celle qui survivra à ce jour, et rentrera sauf chez elle, se dressera de tout son haut quand on invoquera ce jour (…) Puis, retroussant sa manche, montrant ses cicatrices, elle dira :  »Ces blessures, je les ai reçues (…) . » Cette histoire, la femme l’apprendra à ses enfants à compter d’aujourd’hui jusqu’à la fin du monde, sans qu’on se souvienne de nous ; de nous, cette poignée, cette heureuse poignée de (soeurs), cette bande sororale ; car quiconque aujourd’hui verse avec moi son sang sera (ma soeur) : si (roturière) qu’elle soit, cette journée l’anoblira. Quant aux (gentilles femmes) qui sont dans leur lit à cette heure, elles se tiendront pour maudites de n’avoir pas été ici, et compteront pour rien leur valeur quand parlera quiconque aura combattu avec nous (…) ! »

Il existe trois règles :

La mesure de votre succès est la résistance que vous rencontrez. Embrassez-la.
Vous ne pouvez pas rester spectatrice sans être complice.
Nous n’avons pas besoin d’un simple lieu à soi. Nous avons besoin d’un très grand continent à soi.

Phyllis Chesler

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