Eliza Mondegreen a couvert le symposium montréalais de la World Professional Association for Transgender Health
Il y a beaucoup de choses à dire à ce sujet et je suis encore en train de laisser décanter mes impressions. Mais l’une des choses qui m’ont fascinée à la conférence de l’Association professionnelle mondiale pour la santé des transgenres (WPATH), tenue du 16 au 18 septembre au Hilton de Montréal,c’est à quel point on rend persuasif pour l’auditoire le sentiment que « vous progressez ». Le langage évolue sans cesse et vous êtes donc toujours « En Train d’Apprendre ». Les frontières de l’identité sont toujours en expansion. Tout peut toujours être rendu plus « inclusif ». Les techniques peuvent toujours être affinées.
Il est cependant facile de perdre de vue ce vers quoi on progresse : stériliser plus de jeunes, plus tôt, sous des prétextes de plus en plus minces, sans tenir compte des facteurs de comorbidité, malgré les preuves croissantes de la contagion sociale comme moteur de cette dynamique de transition de genre et des séquelles médicales comme résultat.
Il y a quelques années à peine, les chirurgiens ne savaient pas, par exemple, comment traiter le tissu pénien sous-développé chez les « individus désignés comme Assigned Male At Birth (AMAB) » soumis à un blocage précoce de la puberté. Mais nous savons maintenant comment assembler par tressage des chairs pour créer un faux vagin à partir de tissu prélevés du côlon, du scrotum et d’autres sites donateurs.
Il y a quelques années, les échelles que nous utilisions pour justifier les interventions médicales expérimentales sur des adolescents étaient très binaires, mais aujourd’hui, nous disposons d’échelles spécialement conçues pour les enfants dits « genderqueer » qui permettent aux adolescent·es de choisir parmi les 33 parties de leur corps à faire modifier chirurgicalement !
Il fut un temps où certain·es clinicien·nes se sentaient très mal à l’aise à l’idée de pratiquer des interventions chirurgicales visant à « annuler le sexe » (en coupant tout), mais ils ont ensuite Fait le Travail et ils traitent maintenant plus de patient·es que jamais !
Progresser au nom du progrès n’est-il pas un objectif enviable ?
Comme l’idéologie transgenriste est constamment en mouvement, même ses adeptes les plus dévoué·es doivent se hâter ou risquer de prendre dangereusement du retard. Ils et elles n’ont jamais la chance de reprendre leur souffle et de regarder longuement ce qu’ils soutiennent, et encore moins de le remettre en question.
J’ai, depuis mon enfance, l’ambition de comprendre comment des gens ordinaires se laissent entraîner dans des mouvements terribles et terrifiants. La réponse est généralement une variante de la conviction suivante : ces gens pensent qu’ils forment l’avant-garde audacieuse d’un nouvel avenir éclairé et que l’Histoire fermera les yeux sur les critiques de leurs idées.
Il est commode de penser que l’on est du Bon Côté de l’Histoire. Vos détracteurs deviennent des dinosaures contemporains, incapables de comprendre. Vous êtes peut-être incapable de comprendre, vous aussi, mais au moins vous avez la foi. Au moins, vous vous êtes donné·e à la cause.
Plus on avance – plus on charcute de patient·es, plus on fait taire de critiques – et plus il devient difficile de voir clairement notre destination. Mais elle doit être belle et juste parce que vous vous êtes sacrifié·e pour elle, que vous vous êtes identifié·e à elle et que vous êtes une Bonne Personne.
Toute la conférence de la WPATH s’adressait à cette bonne personne. Vous êtes une bonne personne parce que vous surmontez vos préjugés. Vous êtes une bonne personne parce que vous tenez tête à de mauvaises personnes (même si vous ne les comprenez pas et que nous refusons d’en parler avec elles car cela reviendrait à les laisser gagner).
Vous êtes une bonne personne parce que vous comprenez. Vous n’êtes pas un·e de ces réactionnaires qui rechignent à pratiquer des hystérectomies sur des adolescentes en difficulté. Vous affirmez que ce sont des soins qui sauvent des vies et qui respectent le genre. Tout bon médecin accepterait de les prodiguer. Vous ne ressentez plus l’horreur.
Vous savez que vous êtes une bonne personne parce que vous ne ressentez pas d’horreur mais de l’exaltation. Seules les mauvaises personnes sont horrifiées par de telles choses parce qu’elles ne Font pas le Travail.
L’aboutissement de cette éducation à être de Bons Alliés est une personne qui ne peut pas remettre en question ce qu’elle soutient parce qu’elle ne le voit pas, parce qu’elle n’a pas le langage pour formuler cette question, parce qu’elle n’a pas confiance en ses propres perceptions, parce qu’elle a « problématisé » tout critère sur lequel elle pourrait s’appuyer ou tout principe sur lequel elle pourrait insister. Elle regarde des horreurs réelles avec des yeux brillants d’enthousiasme parce qu’elle doit le faire.
Bien sûr, les mauvais sentiments ne disparaissent pas vraiment. L’horreur ne disparaît pas. Mais vous perdez le contact avec ses véritables sources. Vous la projetez sur les seules personnes contre lesquelles vous êtes autorisé·e – voire encouragé·e – à vous défouler : les personnes qui tentent de vous avertir que vous faites du mal.
Plus vous devez sublimer l’horreur, plus vos détracteurs doivent devenir horribles, même si la pire chose qu’ils disent est simplement : regardez, regardez ce que vous êtes en train de faire.
Eliza Mondegreen est une étudiante de troisième cycle qui se penche sur les enjeux de l’identité de genre. Son site Web est le https://elizamondegreen.substack.com/