Théorie queer
“Débander la théorie queer”, un livre de Sheila Jeffreys
Audet Elaine, sur le site MULTITUDES
Unpacking Queer Politics, Cambridge UK, Polity Press, 2003.C’est dans un contexte d’expansion du courant queer dans les grandes capitales et au sein des universités qu’a été publié en 2003 l’essai critique de Sheila Jeffreys, professeure de science politique à l’Université de Melbourne en Australie, dont le titre Unpacking Queer Politics (1), pourrait se traduire littéralement par Débander la théorie queer. Dans les années 90, on a assisté au sein de la communauté lesbienne au phénomène du “packing”, nom donné au port d’un godemiché sous le pantalon afin de simuler l’existence d’un pénis. Cette pratique, note Jeffreys, révèle chez ses adeptes le culte de la virilité et l’abandon de la lutte féministe contre les rapports hiérarchiques de genre.Au départ, le terme “queer” (pédé) était une insulte homophobe. Le courant queer a repris par dérision l’appellation à son compte et regroupe celles et ceux qu’on a accusé-es de perversité, de déviance, les parias, les inclassables qui vivent dans les marges de l’identité sexuelle et de la normalité. On y retrouve des transsexuels, des bisexuels, des adeptes du sadomasochisme, du fétichisme, de l’automutilation corporelle, de la pédophilie.
Ce courant originaire des États-Unis a fait irruption partout dans les années 80-90. Au Québec, on se rappellera l’engouement pour les outrances de l’universitaire américaine Camille Paglia, les spectacles de la star porno Annie Sprinkle et le livre de Nathalie Collard et Pascale Navarro, Interdit aux femmes – Le féminisme et la censure de la pornographie qui se porte à la défense de la pornographie (2). Et, plus récemment, le livre d’Élisabeth Badinter, Fausse route (3) qui fait aussi la promotion de la libéralisation de la sexualité en dénonçant le ” nouvel ordre moral féministe “.
On voit apparaître un peu partout les bars fétichistes et sadomasochistes, la mode du cuir, des chaînes, du piercing et du tatouage, la vogue des drag queens, du transsexualisme, les automutilations publiques de groupes comme Jackass et le défilé de la fierté gay qui consacre la récupération commerciale du mouvement contestataire gay et lesbien des années 70.
En 1998, dans la mouvance du post-modernisme et du néolibéralisme dominant, un collectif sous la direction de Diane Lamoureux publie Les Limites de l’identité sexuelle (4), qui définit le queer comme une libération individualiste de toute forme d’identité contraignante et limitative. La même année, lors du congrès de l’ACFAS, Line Chamberland s’interroge, pour sa part, sur la remise en question par le courant queer de la base identitaire du mouvement lesbien et des perspectives féministes de résistance politique à la domination patriarcale.
Sheila Jeffreys, militante de la Coalition contre le trafic des femmes (CATW), a déjà publié, en 1993, The Lesbian Heresy (5), un essai qui dénonce l’emprise de l’industrie du sexe au sein de la communauté lesbienne, le sadomasochisme, la pornographie, les jouets sexuels désormais considérés comme parties intégrantes de la sexualité lesbienne. Elle y signale le regroupement sous l’appellation queer “de s/m, lesbiennes, gay, activistes pédophiles, tout autant que de libertaires socialistes et radicaux plus conventionnels” qui rejettent le lesbianisme “puritain et moraliste” comme une contrainte au même titre que l’hétérosexualité. Le modèle sadomasochiste mis de l’avant par le queer réaffirme, au nom de la libération sexuelle, la primauté du modèle patriarcal dominant/dominée. (…)
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