Interview: « Pourquoi  j’intente un procès à l’organisme Survivors’ Network »

« Je pense que c’est une réaction plutôt saine que de se méfier des hommes. » Stephanie Keith/Getty Images

Les victimes de viols ont besoin d’espaces réservés aux femmes

PAR Hadley Freeman, sur Unherd.com, le 14 juillet 2022

Hadley Freeman est une rédactrice de l’équipe du Guardian. Elle a récemment été nommée chroniqueuse de l’année par la British Society of Magazine Editors. Son dernier livre, House of Glass, a été publié par 4th Estate en 2020. Son prochain ouvrage sera publié par 4th Estate en 2023.

La première fois que Sarah – un pseudonyme – a été agressée sexuellement, elle avait huit ans et un ami adulte de la famille l’a payée pour qu’elle lui fasse des choses qu’elle était trop jeune pour comprendre. Sa mère lui a demandé plus tard ce qui s’était passé, mais Sarah savait que sa mère était trop fragile émotionnellement pour affronter la vérité, alors elle a dit « Rien », et les agressions ont continué pendant des années.

Quand elle avait une vingtaine d’années, un homme de son groupe d’amis l’a frappée et violée alors qu’elle était à peine consciente. Mais lorsque Sarah en a informé ses amies, elles ont insisté sur le fait qu’il était un gentil garçon qui ne ferait pas ça. Elle s’est dit que ses amies ne pouvaient pas supporter la vérité, et elle a appris à dissimuler les crises de panique dont elle souffre depuis.

L’année dernière, lorsque Sarah est entrée dans son groupe hebdomadaire de soutien aux victimes de viol, à Brighton, et qu’elle a vu un homme assis dans la pièce, elle s’est sentie anxieuse – mais elle avait depuis longtemps perfectionné l’art de supprimer ses émotions pour s’adapter aux besoins des autres.

« Je me suis dit : ‘C’est bon, je ne parlerai pas cette semaine’, car je ne voulais pas parler de mon viol devant un homme. Mais l’animateur du groupe m’a demandé de parler, alors je l’ai fait, car je me sentais vraiment sous pression pour que cette personne se sente incluse. C’est tellement ancré chez les femmes de faire ce que l’on attend de toi », me dit-elle depuis sa maison à Brighton.

Mais cette fois, le corps de Sarah s’est rebellé. Elle a souffert d’une crise de panique dans le groupe, bien qu’elle soit restée jusqu’à la fin de la séance, car elle ne voulait pas provoquer de gêne.

« Quand on a subi des violences sexuelles, on en vient souvent à mettre de côté ses propres besoins et à  ne pas fixer de limites, et je ne comprenais pas pourquoi on me demandait de faire ça en thérapie », dit-elle. Devoir décrire les répercussions de son viol devant un homme, dit Sarah, « a ressemblé à une troisième attaque, et c’était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ». Auparavant, dans le groupe, elle et les autres femmes avaient parlé librement du sentiment d’entitrement des hommes au corps et aux espaces des femmes et avaient trouvé du réconfort dans leurs expériences communes. Plus maintenant. Après coup, elle a demandé à Survivors’ Network, l’organisation caritative de Brighton financée par le gouvernement pour les victimes de violences sexuelles placée en charge du groupe, s’il pouvait y avoir un groupe réservé aux femmes.

« Cela semblait une chose raisonnable à demander, parce qu’elles avaient un groupe pour les transfemmes, et un groupe trans-inclusif pour les femmes, donc deux groupes ouverts aux personnes nées hommes, mais aucun réservé aux femmes », dit-elle.

Selon la Loi britannique sur l’égalité, le sexe est une caractéristique protégée, ce qui signifie que la mise à disposition d’espaces non mixtes est légale lorsqu’elle constitue un moyen proportionné d’atteindre un objectif légitime. Mais dans une lettre consultée par UnHerd, Survivors’ Network a dit à Sarah qu’un groupe unisexe « serait problématique car nous ne faisons pas la police des genres (we do not police gender) ». Sarah a dû quitter le groupe où elle avait trouvé, pour la première fois de sa vie, soutien, aide et compréhension. Survivors’ Network lui a suggéré de suivre une thérapie individuelle, pour laquelle on lui a dit qu’il y avait une liste d’attente de deux ans, puis elle n’a plus rien entendu à ce sujet. Ils lui ont aussi suggéré de chercher de l’aide auprès « d’autres services de la ville », mais Survivors’ Network est le seul service de ce type dans tout le Sussex, et elle n’a pas pu trouver de groupe réservé aux femmes. Sarah poursuit maintenant l’organisation en justice pour discrimination sexuelle.

Le retour de bâton contre elle a été immense. En plus de la misogynie habituelle qui se produit chaque fois qu’une femme défend ses droits (« La salope qui intente ce procès [devrait être] obligée de payer tous les frais de justice et d’avocat », a écrit un charmant monsieur), des femmes très en vue sur Twitter l’ont mise au pilori, l’une d’entre elles écrivant : « Si elle se souciait autant des droits des femmes, elle ne poursuivrait pas un centre d’aide aux victimes de viols ». « Si les activistes anti-trans ont TELLEMENT d’argent et TELLEMENT de soutien et qu’elles ont TELLEMENT raison, pourquoi n’ont-elles pas créé leurs propres services ? » a tweeté quelqu’un d’autre, ignorant apparemment qu’en 2019, le plus ancien centre d’aide aux victimes de viol du Canada, Vancouver Rape Relief & Women’s Shelter, a essayé de rester réservé aux femmes, pour ensuite se voir retirer une subvention au nom de son refus des transfemmes.

Dans une certaine mesure, Sarah est d’accord avec ses détracteurs. « Cela semble absolument horrible de poursuivre un centre d’aide aux victimes de viol, et une partie de moi se demande : ‘Qu’est-ce que je fais ?’. Surtout que je suis la personne la plus anxieuse du monde et que l’anxiété est terrible depuis que tout cela a commencé. Je m’inquiète de la façon dont cela va affecter mes perspectives d’emploi, l’emploi de mon partenaire, tout », dit-elle.

C’est pour cette raison que son nom réel et tous les détails qui pourraient révéler sa véritable identité ont été déguisés. Alors pourquoi a-t-elle donné suite à cette affaire, étant donné les forces massées contre elle ? « Parce que toute cette situation est si incorrecte et que Survivors Network ne s’acquitte pas de sa fonction. On dit aux femmes de mettre de côté leurs émotions pour pouvoir obtenir accès à de l’aide. Je ne dis évidemment pas que les transfemmes ne devraient pas trouver du soutien des services d’aide aux victimes de viol, et c’est génial qu’il y ait des groupes mixtes pour les personnes qui se sentent à l’aise avec ça. Je ne veux pas du tout mettre fin à cela. Mais il devrait aussi y avoir des groupes non mixtes. C’est un service financé par le gouvernement. Nous méritons d’obtenir le soutien dont nous avons besoin. »

Survivors’ Network a refusé de faire de commentaire pour cet article mais m’a plutôt dirigée vers une déclaration affirmant leur engagement envers un féminisme trans-inclusif : « Les transfemmes sont des femmes et en tant que telles, elles sont les bienvenues dans les espaces réservés aux femmes. »

Jusqu’à ce jour dans son groupe de soutien aux victimes de viol, Sarah ne s’intéressait guère aux arguments sur l’idéologie du genre. « Il faudrait vivre sous une pierre pour ne pas savoir que des discussions avaient lieu en ligne et dans les médias, mais je n’étais pas si impliquée. Si on m’avait poussée, je me serais décrite comme une alliée. J’ai défilé à la Trans Pride et je considérais les transfemmes comme mes sœurs. Mais je supposais que les groupes d’aide aux victimes de viols étaient respectés et que personne n’essaierait de franchir cette limite. Cela me semble bien naïf aujourd’hui, » dit-elle.

Lorsque Sarah a fait des recherches sur le groupe de soutien par les pairs de Survivors’ Network, elle a découvert qu’il était trans-inclusif. Elle a demandé à un évaluateur si le groupe auquel elle allait participer était exclusivement féminin et l’évaluateur a hésité avant de répondre que oui, c’était le cas; elle ne savait donc pas à quoi s’attendre. « Lorsque j’ai commencé à fréquenter le groupe, il était exclusivement féminin; j’ai donc supposé que Survivors’ Network avait un groupe pour les femmes et un groupe pour les transfemmes, et que c’est ainsi que l’organisme pouvait être inclusif mais aussi accueillir les femmes. C’est en partie pour cela que j’ai été si décontenancée de voir un homme au sein du groupe deux mois plus tard, dit-elle. Cet « homme » était un transfemme qui s’identifiait comme tel, mais, selon Sarah, rien n’indiquait qu’il était en transition sociale ou médicale : il ressemblait simplement à un homme.

La réaction au cas de Sarah a été « incroyablement révélatrice », dit-elle : « Les niveaux de colère et de vitriol exprimés contre moi, simplement parce que j’ai demandé un groupe de soutien non mixte aux victimes de viol… Je ne le comprends tout simplement pas. » Voir autant de femmes exprimer sur internet de l’empathie pour le possible sentiment d’exclusion de la personne transgenre plutôt que pour son propre traumatisme, c’est comme lorsque ses amies féminines refusèrent de croire que leur ami masculin l’avait violée parce qu’elles l’aimaient bien, dit Sarah. Tant de femmes se soucient plus des sentiments des hommes que des besoins des autres femmes.

Des débats sur les espaces non mixtes ont fait rage au cours de la dernière décennie alors que s’est imposée l’idéologie du genre – qui soutient que l’identité de genre d’une personne, soit ce qu’elle ressent intérieurement, est au moins aussi importante que son sexe biologique. Au cours des derniers mois, des organisations sportives, dont World Rugby et la FINA, la Fédération internationale de natation, ont interdit aux transfemmes de concourir contre des athlètes féminines, après des années de protestations de la part des militantes féministes et de plusieurs athlètes féminines. Mais le sport se déroule en public, ce qui signifie que les personnes extérieures peuvent voir que les femmes sont désavantagées physiquement de manière évidente par rapport aux personnes qui ont vécu une puberté masculine. Il est plus facile d’ignorer le problème lorsqu’il s’agit des prisons (où les transfemmes peuvent être incarcérées avec des détenues) ou des services de viol, car ils ne sont pas sous les feux des projecteurs et les gens ont tendance à s’intéresser moins aux détenues et aux victimes de viol qu’aux athlètes d’élite.

Depuis que Sarah a intenté sa poursuite, Survivors’ Network a confirmé sa position et en avril, a corédigé une lettre ouverte à l’Equality and Human Rights Commission (Commission britannique des Egalités et des Droits de l’Homme), la critiquant pour avoir affirmé que les espaces non mixtes sont légaux. Survivors’ Network a écrit qu’il est « très inhabituel pour les utilisateurs de services cisgenres de s’opposer à ce que des transfemmes se joignent à un groupe de soutien » ; l’EHRC, selon l’organisation, « considère les besoins des femmes cisgenre comme plus importants que les besoins de soutien des personnes trans ».

Hadley Freeman

Version originale : https://unherd.com/2022/07/why-im-suing-survivors-network/?  

Traduction: TRADFEM

Post-scriptum: On peut contribuer financièrement à ce recours à l’adresse suivante:

https://crowdjustice.com/case/help-sarahs-legal-challenge/?utm_source=backer_social&utm_campaign=help-sarahs-legal-challenge&utm_reference=9445ba4ebca51d24bafc882159fa11f3&utm_medium=Twitter&utm_content=post_pledge_page via @CrowdJustice

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