Un texte d’opinion de Lisa Selin Davis, autrice de TOMBOY : The Surprising History and Future of Girls Who Dare to Be Different.
Paru dans Newsweek, le 22 février 2022
En avril dernier, l’Arkansas est devenu le premier État à interdire ce que l’on appelle les « soins d’affirmation du genre », un protocole qui affirme l’identité transgenre d’un enfant et permet une transition médicale à l’aide de bloqueurs de puberté, d’hormones transsexuelles et, dans certains cas, de chirurgies comme des mastectomies ou des orchidectomies. L’American Civil Liberties Union (ACLU), qui poursuit maintenant l’État de l’Arkansas au nom de quatre jeunes transgenres, de leurs familles et de deux médecins, affirme que « les soins d’affirmation du genre sauvent la vie de nos clients » et que leur interdiction « va à l’encontre de la science et de la médecine ». Pas moins de 25 projets de loi de ce type ont été déposés, principalement dans des États contrôlés par des politiciens de droite.
De l’extérieur, il semble que les controverses autour des jeunes souffrant de dysphorie de genre – une détresse marquée par une incongruité entre le sexe biologique et l’identité de genre – soient politiques : la gauche se bat pour que les enfants dits trans obtiennent les soins dont ils ont besoin, et la droite veut interdire ces thérapies.
Mais lorsque la politique est mise de côté et que la science est examinée à la loupe, une image très différente apparaît – ou plutôt, il devient clair à quel point les données scientifiques sont confuses, à quel point il existe des différends sur la façon dont ces interventions médicales peuvent ou non sauver des vies. Si l’on évite une perspective partisane, il devient clair à quel point la sécurité et l’efficacité à long terme des interventions médicales sont ambiguës, et à quel point les préoccupations à leur sujet sont partagées et partisanes.
Malgré l’imprimatur de groupes comme l’American Academy of Pediatrics et des articles (dont certains ont été corrigés ou modifiés) affirmant les avantages évidents des soins d’affirmation du genre, il reste une « pénurie de preuves de qualité sur les résultats obtenus par les personnes présentant une dysphorie de genre », selon le Royal Australian and New Zealand College of Psychiatrists. « Il n’existe aucun consensus sur l’opportunité de recourir à ces interventions médicales précoces », indique un article paru dans le Journal of Adolescent Health.
Une revue des recherches existantes, assemblée par le National Institute for Health and Care Excellence du Royaume-Uni, a révélé qu’en termes d’image corporelle, d’impact psychosocial, de satisfaction à l’égard de la chirurgie et d’autres enjeux, « la qualité des preuves pour tous ces résultats a été évaluée comme ayant un très faible niveau de certitude ». La Finlande et la Suède ont largement cessé de fournir de telles interventions médicales aux jeunes s’identifiant comme trans, sauf dans le cadre d’études soigneusement contrôlées, non pas à cause de la politique, mais parce que parmi les succès, on trouve de résultats médiocres, comme des enfants atteints d’ostéoporose ou un nombre croissant de personnes qui « détransitionnent » après avoir vécu une transition médicale et l’avoir regretté.
Le 27 juillet 2021, un juge de Virginie a rejeté un procès contestant les directives de cet État sur les politiques relatives aux étudiants transgenres dans les écoles publiques, affirmant qu’elles n’avaient pas d’impact sur les droits religieux des jeunes.
Pendant ce temps, le taux de suicide élevé est probablement surévalué, en raison de ces éléments de preuve de faible qualité. Par exemple, certaines recherches suggérant un lien possible entre l’intervention médicale et la réduction de la suicidalité, citées dans la poursuite intentée par l’ACLU en Arkansas, proviennent d’un échantillon autosélectionné d’adultes qui s’identifient encore comme transgenres, excluant ceux qui ont eu de mauvais résultats et qui ne s’identifient plus ainsi. Les failles méthodologiques de cette étude ont été documentées et ses conclusions critiquées.
En réalité, selon un rapport du Gender Identity Development Service du Royaume-Uni, « le suicide est extrêmement rare chez les trans ». Une étude suédoise portant sur plus de 6 000 personnes dysphoriques de genre a détecté un taux de suicide limité à 0,6 %. Par ailleurs, les estimations plus élevées d’idées suicidaires et de tentatives de suicide sont similaires à celles des jeunes souffrant d’autres problèmes de santé mentale.
Personne ne doute que la population d’enfants diagnostiqués ou auto-diagnostiqués avec une dysphorie de genre a explosé, et que des enfants en souffrent. Mais cette population s’est radicalement transformée au cours des 15 dernières années dans tout le monde occidental. Il s’agissait autrefois d’un petit nombre d’enfants, principalement de jeunes garçons, souvent sans autres problèmes de santé mentale et souffrant de dysphorie permanente. Aujourd’hui, il s’agit d’une explosion de jeunes filles, principalement des adolescentes, qui font soudainement l’expérience de la dysphorie, souvent alors qu’elles sont aux prises avec d’autres graves problèmes de santé mentale.
Il n’existe pratiquement aucune recherche sur ces jeunes. Comme l’indique une étude, « on ne sait pratiquement rien de la dysphorie de genre à l’adolescence ». La plupart des recherches qui ont révélé des résultats psychologiques positifs du changement de sexe ont été menées ailleurs, par exemple, une étude sur des personnes plus âgées réalisée aux Pays-Bas, dont les propres partisans s’inquiètent de voir le reste du monde « adopter aveuglément » de telles recherches. Entre-temps, une autre étude a constaté une amélioration des problèmes comportementaux et émotionnels et du fonctionnement global, mais aucun changement au niveau de l’anxiété, de la colère ou – de manière significative – de la dysphorie de genre, la raison même du traitement.
Certaines études ont révélé que les interventions chirurgicales atténuent la dysphorie de genre et améliorent le fonctionnement psychologique. L’une d’entre elles a révélé qu’après la chirurgie, la dysphorie de genre « était atténuée et le fonctionnement psychologique s’était régulièrement amélioré » et que « le bien-être était similaire ou supérieur à celui des jeunes adultes du même âge issus de la population générale ». Une autre a constaté « une augmentation significative des niveaux de bien-être général et une diminution significative des niveaux de suicidalité », du moins à court terme. Comme en témoigne un adolescent trans dans le mémoire d’amicus curiae de l’ACLU, « Depuis que j’ai commencé ma transition il y a trois ans, je suis devenu plus social parce que je me sens chez moi dans mon corps. »
Mais les mémoires d’amicus curiae de l’autre partie citent des détransitionneuses, des jeunes femmes qui ont pris de la testostérone et se sont fait enlever les seins, convaincues – à tort – que cela atténuerait leur dysphorie. « Je ne peux inverser aucun des changements physiques, mentaux ou juridiques que j’ai subis », a déclaré l’une d’elles. « La transition était une solution très temporaire et superficielle pour un problème d’identité très complexe. »
C’est là l’essentiel : Il s’agit d’une question très complexe, ofrant très peu de données fiables. Personne ne sait combien d’enfants sont aidés par la transition et combien ont été lésés. Il n’y a pas de réglementation, pas de suivi à long terme, et personne n’assure de suivi.
Nous savons que des enquêtes sur les fabricants de bloqueurs de puberté viennent de commencer et que des parents, des désisteurs et des détransitionneurs s’organisent (dans des groupes comme GENSPECT) en partageant leurs récits, tout comme les parents d’enfants transitionnés heureux et les organisations qui les soutiennent ; mais seuls ces derniers sont pris en compte par la plupart des groupes médicaux et des médias grand public.
Certains des cliniciens les plus expérimentés du pays, y compris des trans eux-mêmes, tirent la sonnette d’alarme à propos des enfants dysphoriques de genre que l’on se hâte de médicamenter sans évaluation adéquate. Nombreux sont ceux qui s’expriment, non pas pour interdire ces soins, mais pour dénoncer l’approche fondée sur la seule « affirmation », qui est un véritable scandale au sein d’une pratique de la médecine et de la psychologie basée sur la science et l’enquête.
Alors que certains qualifient de haineux tout recours à des interdictions, celles-ci peuvent être une réaction réglementaire judicieuse face à une communauté médicale et de santé mentale qui refuse de s’autoréglementer.
Nous avons besoin d’un examen apolitique et rigoureux des preuves, ainsi que de recherches plus nombreuses et de meilleure qualité, comme cela s’est produit dans plusieurs pays européens, qui ont ensuite modifié leur approche du traitement des jeunes atteints de dysphorie de genre. Nous avons besoin que les communautés médicales et de santé mentale créent des politiques solides, justes et fondées sur des preuves, guidées non pas par l’idéologie mais par une réalité compliquée et sous-déclarée.
La politisation de cet enjeu, tant à gauche qu’à droite, doit cesser. Le combat ne doit pas être considéré comme pro- ou anti-trans, mais plutôt comme favorable à de bons soins de santé et de santé mentale pour l’ensemble des jeunes.
Lisa Selin Davis est l’autrice de TOMBOY : The Surprising History and Future of Girls Who Dare to Be Different. Elle a écrit pour le New York Times, le Washington Post, le Wall Street Journal, CNN et de nombreuses autres publications.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur.
Version originale : https://www.newsweek.com/what-both-sides-are-missing-about-science-gender-affirming-care-opinion-1681396?fbclid=IwAR3iiBLWynfmEiHo7r5vWQvREi3fSnJ_rZTMOQzbI_kiZuSUZlT8kT9ohRY
Traduction : TRADFEM