Opinion
Par Simone XX – 23 avril 2022
(Canada) Au cours de l’été 2021, le Parti libéral du Canada a présenté un projet de loi d’une ampleur inouïe, un projet qui menaçait la liberté d’expression et pénalisait injustement les femmes qui s’exprimaient contre l’idéologie transgenriste, fondée sur la notion d’une « identité de genre » innée.
Avec le déclenchement des élections fédérales l’automne dernier, ce projet de loi est mort au feuilleton. Malheureusement, il vient de refaire surface sous un nouveau nom : le projet de loi d’initiative privée C-261 [https://www.parl.ca/DocumentViewer/fr/44-1/projet-loi/C-261/premiere-lecture].
Le 28 mars 2022, ce projet de loi de 13 pages a été présenté à la Chambre des communes du Canada. Enfouies profondément dans le texte du projet de loi, les expressions « identité de genre et expression de genre » seraient maintenant ajoutées à la liste des caractéristiques protégées contre la propagande haineuse, les crimes haineux et les discours haineux en vertu du Code criminel du Canada et de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Adopter une telle loi pourrait avoir de graves conséquences sur la vie des Canadiennes et sur notre liberté d’expression.
Le résumé du projet de loi C-261 se lit comme suit :
« Le texte modifie le Code criminel pour créer un engagement de ne pas troubler l’ordre public se rapportant à la propagande haineuse et aux crimes haineux et pour y ajouter une définition de « haine » à l’égard de deux infractions de propagande haineuse. Il apporte également des modifications connexes à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
Il modifie aussi la Loi canadienne sur les droits de la personne pour énoncer que le fait de communiquer ou de faire communiquer un discours haineux au moyen d’Internet ou de tout autre mode de télécommunication dans un contexte où ce discours haineux est susceptible de fomenter la détestation ou la diffamation d’un individu ou d’un groupe d’individus sur le fondement d’un motif de distinction illicite constitue un acte discriminatoire. Il permet à la Commission canadienne des droits de la personne d’examiner les plaintes de discrimination à ce sujet et confère au Tribunal canadien des droits de la personne le pouvoir de trancher les plaintes et d’ordonner des mesures de réparation. »
Comme indiqué dans mon article intitulé « Gender Critical Feminism May Soon be Criminalized in Canada » [https://www.womenarehuman.com/gender-critical-feminism-soon-may-be-criminalized-in-canada/#_ftn3], publié par l’organisation Women Are Human à l’automne 2021, les féministes comme moi s’attendaient à revoir ce qui était à l’origine le projet de loi C-36, parrainé par l’honorable David Lametti du Parti libéral du Canada. Ce qui est intéressant maintenant, cependant, c’est comment le nouveau projet de loi a été introduit et par qui. Le projet de loi C-261 est parrainé par le député indépendant Kevin Vuong, qui représente la circonscription de Spadina-Fort-York, une partie du centre-ville de Toronto. Dans sa présentation du projet de loi, l’honorable M. Vuong n’a pas mentionné explicitement « l’identité ou l’expression de genre ». Au lieu de cela, il s’est entièrement concentré sur la nécessité de s’attaquer au racisme – un objectif que nous pouvons tous et toutes appuyer. L’honorable Vuong a dit : « Monsieur le Président, je suis heureux de présenter un projet de loi qui vise à lutter contre les incidents croissants de propagande haineuse et de crimes haineux et à faire de la communication de discours haineux par Internet une pratique discriminatoire. Le racisme demeure bien vivant au Canada, et il est particulièrement actif en ligne. Ce projet de loi modifierait également le Code criminel et la Loi canadienne sur les droits de la personne afin de mieux lutter contre les discours haineux en ligne. Je ne connais que trop bien les discours haineux et je peux donner des exemples où l’on m’a traité de « ch*nk » et invité à mourir. Ce projet de loi réduirait ces attaques infâmes contre les personnes qui subissent des insultes raciales, certaines sur une base presque quotidienne. » [iii]
La première lecture est passée sans discussion, comme le veut le protocole actuel. L’ensemble de la procédure a duré moins d’une minute et quatorze secondes [iv], y compris la présentation du député Vuong par le vice-président, et la procédure suivante, la présentation du projet de loi par M. Vuong lui-même, la planification de la deuxième lecture, et une brève interruption inaudible à laquelle le vice-président a répondu : « Est-ce que je vais trop vite ? »[v]
Oui, monsieur le vice-président, tout cela va beaucoup trop vite ! Nous parlons d’une législation qui a la capacité de ternir à jamais la vie de celles et ceux qui sont « soupçonnés » d’avoir l’intention de dire quelque chose de « haineux » sur les médias sociaux ou les médias d’information, y compris sur nos blogs personnels. Le vice-président a assigné la deuxième lecture de ce projet de loi à la prochaine séance de la Chambre des communes.
En dehors du texte même du projet de loi C-261, l' »identité de genre » et l' »expression de genre » ne sont pas mentionnées. Et pourtant, elles sont là, faisant discrètement du stop sur le dos de l’antiracisme. Les notions indéfinies d’identité de genre et l’expression de genre ont déjà fait des progrès considérables en s’alliant aux droits des homosexuels et du féminisme. Ce qui est astucieux, c’est que toute personne qui conteste les nouveaux éléments visés par ce projet de loi pourrait plausiblement être considérée comme raciste. Rien n’est-il sacré pour les idéologues du genre ?!
Si « l’identité et l’expression de genre » doivent devenir des caractéristiques protégées par la Loi canadienne sur les droits de la personne, nous nous attendons à ce qu’elles soient présentées comme un projet de loi autonome, sans être dissimulées derrière les personnes qui ont mené de longues et dures batailles pour faire valoir ces droits sur la base de leurs propres mérites. Nous avons eu des décennies pour nous éduquer sur les questions d’homophobie, et des siècles de débats sur les enjeux du racisme et du sexisme. Nous sommes cependant loin d’avoir bénéficié de décennies de débat sur ces notions controversées d’identité et d’expression de genre. Et une grande partie de ce que nous avons appris à ce sujet a été occultée par les médias grand public. Au moins au Royaume-Uni, il existe au Parlement un débat ouvert, et souvent passionné, sur les projets de lois relatives à l’identité et à l’expression de genre avant leur adoption. Mais au Canada, on nous dit « Pas de débat ! »
D’après toutes les accolades apparentes, M. Vuong semble être un jeune homme intelligent et ambitieux. Il est donc difficile de présumer qu’il ne sait rien de la diffamation qui a réduit les femmes au silence de façon insistante et systématique au Canada et à l’étranger dans ce dossier. Compte tenu de ses capacités, nous devrions peut-être supposer qu’il connaît précisément l’ampleur dévastatrice que son projet de loi aura sur les Canadiennes, non seulement en nous exposant à des risques d’ingérence dans notre vie personnelle et professionnelle si nous osons contester les effets de l’idéologie genriste, mais aussi en vivant des effets néfastes sur notre santé psychologique et physique en raison du formidable stress que provoque cette offensive.
L’honorable M. Vuong ignore-t-il les effets néfastes des litiges vexatoires qui ont détruit les entreprises naissantes de plusieurs femmes sud-asiatiques dans la région du Lower Mainland de Vancouver lorsque le militant J. Yaniv a lancé 15 poursuites en matière de droits de la personne contre des immigrantes travaillant comme esthéticiennes, dont certaines étaient des mères célibataires travaillant à domicile, et dont beaucoup ont perdu leur entreprise pour avoir simplement refusé d’épiler le scrotum d’un homme biologique ? [vi] « Le jugement rendu dans cette affaire a également conclu que Yaniv avait eu une conduite inappropriée en induisant le tribunal en erreur, en étant mensonger et en adoptant un comportement d’extorsion et des attaques calomnieuses. » [vii]
Et ce n’était là qu’un des multiples exemples, de plus en plus nombreux, des effets néfastes que le projet de loi C-16, qui devait interdire toute discrimination fondée sur l’identité ou l’expression de genre, a déjà eus sur les Canadiennes. Il est douteux que les femmes mises en cause aient eu la moindre idée que leur vie serait bouleversée à cause de ce projet de loi, parce qu’elles ont refusé de manipuler le pénis d’un étranger. C’est précisément la raison pour laquelle nous dépendons de nos députées et députés pour évaluer de tels risques avant d’adopter une loi, surtout chez les personnes les plus marginalisées sur le plan intersectionnel. Et c’est pourquoi le Canada s’est engagé, auprès des Nations Unies, à administrer une analyse comparative entre les sexes, maintenant connue sous le nom d’analyse comparative entre les sexes plus (ACS+), à tous les projets de loi proposés au Parlement [viii]. M. Vuong est jeune et il lui manque l’expérience et la sagesse de savoir que les choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être en surface, que des projets de loi qui semblent inoffensifs, voire méritoires, peuvent avoir des conséquences néfastes et durables sur les femmes, les enfants, les immigrants et d’autres personnes. Les personnes trans et non binaires sont loin d’être les seules qui seraient affectées par l’ajout de « l’identité et l’expression de genre » à la Loi canadienne sur les droits de la personne.
En tant que fils de parents immigrés, réfugiés de la guerre du Vietnam, M. Vuong devrait avoir un certain niveau de compréhension et de compassion pour les femmes qui ont été la cible d’une discrimination racialisée, elles-mêmes accusées de discrimination, et de manière équivoque de « transphobie ».
Ce que les Canadiennes et les Canadiens trouveront le plus troublant dans ce projet de loi, c’est qu’il permettrait de déposer des plaintes auprès du Tribunal des droits de la personne sur la base d’une simple « crainte d’une infraction relative à la propagande haineuse ou aux crimes haineux » [ix]. Cela est compréhensible dans le contexte de la crainte que quelqu’un puisse commettre un acte de terrorisme, mais traiter le féminisme critique de l’idéologie du genre au même titre que le terrorisme est absolument répréhensible. Les femmes, comparativement aux hommes, sont le sexe non violent ; nous écrivons, nous parlons, nous créons, mais nous ne commettons pas de meurtres de masse. Mais le gouvernement canadien souhaite apparemment entraver notre capacité à nous exprimer pacifiquement.
Cette persécution est injuste et n’a pas sa place dans une démocratie civilisée.
Ajouter « l’identité et l’expression de genre » à la Loi canadienne sur les droits de la personne sans faire preuve d’une diligence raisonnable en s’informant auprès de celles qu’une telle loi affecterait le plus – les femmes – équivaut à ne pas inviter de personnes d’ascendance africaine à une conférence sur le racisme. Nous devons être entendues. Les femmes doivent avoir la liberté d’expression qui nous est garantie par la Charte des droits, nécessaire pour exprimer nos opinions et partager nos expériences et nos connaissances sur une idéologie qui constitue une menace existentielle pour les droits des femmes. Le féminisme est, en termes simples, la défense des meilleurs intérêts des femmes et des enfants. Imaginez être une personne de couleur qui essaie de combattre le racisme tout en vivant dans la crainte que tout ce qu’elle dit contre les racistes ou le racisme puisse être retourné contre elle. C’est précisément la position dans laquelle ce projet de loi placerait les femmes. Cette persécution est injuste et n’a pas sa place dans une démocratie civilisée.
M. Vuong a peut-être une certaine expérience du sentiment de persécution pour avoir simplement dit ou fait quelque chose qui était peut-être considéré comme normal il y a peu de temps. Lorsqu’il a d’abord lancé sa campagne électorale, il était pressenti pour être le candidat libéral, c’est-à-dire jusqu’à ce que l’on apprenne qu’il avait été accusé d’agression sexuelle. Ces allégations ont été faites par une femme qu’il fréquentait occasionnellement, et ces accusations étaient fondées sur un acte que M. Vuong a qualifié de « consensuel », même si la femme était endormie lorsque cela s’est produit. Bien que les accusations aient été abandonnées, ce litige pourrait lui avoir coûté sa carrière politique. Vuong, qui s’était initialement présenté sous la bannière du Parti libéral du Canada, a été abandonné par les libéraux lorsqu’ils ont appris l’existence des accusations non divulguées. « Lors d’un événement de campagne (…), le chef du NPD, Jagmeet Singh, a accusé Justin Trudeau d’avoir un « modèle de comportement qui a mis les femmes en danger » en ne prenant pas immédiatement ses distances de M. Vuong. »[x] Après avoir été évincé par les libéraux, Vuong a choisi de poursuivre sa campagne en se présentant comme indépendant. Cependant, il était trop tard pour changer son affiliation au parti sur les bulletins de vote et les milliers de voix qui avaient déjà été déposées par le courrier en raison de la situation de pandémie. [xi] Il n’a donc pas été surprenant qu’il remporte le bastion libéral du centre-ville de Toronto, où le candidat libéral précédent avait choisi de ne pas se présenter. Le NPD a si fermement pris position contre la présence de M. Vuong au Parlement qu’il a lancé une pétition pour le faire démissionner après qu’il ait remporté ce siège, soutenant qu’il était « inacceptable que les électeurs et électrices n’aient pas été au courant de la précédente accusation d’agression sexuelle contre Vuong avant de se rendre aux urnes ».[xii]
Les allégations d’agression sexuelle ont continué à perturber la vie de M. Vuong. « Après une enquête de plus de cinq mois, la Marine royale canadienne a accusé le sous-lieutenant Kevin Vuong, réserviste de la marine et député, d’avoir omis de divulguer qu’il avait été accusé au criminel d’agression sexuelle en 2019. » [xiii] Le ministère de la Défense nationale exige que tous les militaires divulguent toutes les accusations criminelles portées contre eux.
La diffamation a des effets considérables.
La diffamation a des effets considérables. Les féministes ont été vilipendées tout au long de l’histoire. Vous vous souvenez peut-être de l’époque horrifiante des bûchers où l’on a brûlé les femmes qualifiées de sorcières, par exemple. Et dans l’histoire récente, lors de la première vague du féminisme, les femmes qui se sont battues pour le droit de vote étaient appelées « suffragettes », un terme qui n’était pas aussi chaleureux à l’époque qu’aujourd’hui. La deuxième vague de féminisme a été définie par les femmes qui se battaient pour l’égalité et la libération des rôles stéréotypés de genre ; elles étaient étiquetées « femmes libérales », ce qui, là encore, se voulait une insulte. Les féministes de la troisième vague ont lancé le mouvement « MeToo », qui a donné naissance au masculinisme, alors que les « incels » et des misogynes ont lancé leur propre contre-mouvement, qui est toujours virulent aujourd’hui.
Entre-temps, il y a celles d’entre nous qui voient maintenant la misogynie inhérente au mouvement de l’idéologie genriste ; on nous traite de « TERF », une insulte délibérée signifiant Trans Exclusionary Radical Feminists. Ce que nous sommes en fait, ce sont tout simplement des féministes, plaçant les meilleurs intérêts des femmes au-dessus de ceux des hommes dans notre politique, tout comme le féminisme a été créé pour le faire. Cela ne devrait pas être considéré comme un crime.

Ce ne peut être une coïncidence que quelqu’un siégeant en tant qu’indépendant, qui s’était initialement présenté en tant que libéral, ait parrainé la réplique d’un projet de loi écrit et précédemment parrainé par le Parti libéral du Canada. De toute évidence, bien qu’il ait été évincé par les libéraux quelques jours seulement avant les élections, l’honorable Kevin Vuong collabore toujours avec eux. La question est la suivante : qui est à l’origine de ce projet de loi C-216 ? Vuong essaie-t-il de s’attirer les faveurs des libéraux pour revenir dans leur camp, ou les libéraux utilisent-ils Vuong comme un pion politique ? Et pourquoi l’un des libéraux n’a-t-il pas parrainé lui-même ce projet de loi ?! Cela donne certainement l’effet d’une malversation par le biais d’un projet de loi d’initiative privée. Lors d’une conférence de presse suivant la révélation de l’accusation d’agression sexuelle portée contre Vuong, le premier ministre Justin Trudeau a déclaré : « Nous sommes un parti qui prend toujours au sérieux toute allégation ou tout signalement de harcèlement sexuel ou d’intimidation ou d’agression ; cela a été clair dès le début. »[xiv] Si c’est vrai, alors pourquoi les libéraux ne prennent-ils pas au sérieux l’intimidation, le harcèlement, les menaces, le doxing, les viols commis en prison, les cas de censure de féministes, et plus encore, qui ont lieu sous le couvert et la protection de « l’identité et de l’expression de genre » au Canada depuis 5 ans ! Et pourquoi font-ils tout ce qu’ils peuvent, y compris la mise en œuvre proposée de la Loi sur la radiodiffusion qui donnera au gouvernement le contrôle du contenu canadien sur Internet, pour réduire encore plus au silence les femmes canadiennes ? ! Quand le gouvernement libéral admettra-t-il simplement que celles d’entre nous qui appartiennent au sexe féminin ne sont que des dommages collatéraux de droits réclamés pour des hommes ?
– Simone XX
Traduction: TRADFEM
Références : [iii] https://www.ourcommons.ca/DocumentViewer/en/44-1/house/sitting-47/hansard#Int-11590646 [iv] https://www.ourcommons.ca/DocumentViewer/en/44-1/house/sitting-47/hansard#Int-11590646
[v]
https://parlvu.parl.gc.ca/Harmony/en/PowerBrowser/PowerBrowserV2/20220328/-1/36727?gefdesc=&startposition=20220328152152 (15:21) [vi] https://nationalpost.com/news/trans-activist-jessica-yaniv-files-second-lawsuit-against-3-beauticians-after-losing-human-rights-suit-to-them-in-2019
[vii]
https://www.cbc.ca/news/canada/british-columbia/transgender-woman-human-rights-waxing-1.5330807 [viii] https://women-gender-equality.canada.ca/en/gender-based-analysis-plus.html [ix] https://www.parl.ca/DocumentViewer/en/44-1/bill/C-261/first-reading [x] https://www.cbc.ca/news/politics/kevin-vuong-liberal-spadina-fort-york-1.6181154 [xi] https : Pour en savoir plus : https://www.womenarehuman.com/gender-identity-and-expression-stow-away-on-resurfacing-anti-racism-bill/?fbclid=IwAR0pqtRrHyQ2UMC-fi-58yIpmB3HmKsTTN04TQidnJASBNTF7pn9Kfmo1qs