Surmonter la dysphorie de genre

par Nicole Jones

22 mai 2020-

Illustration: Nicole Jones.

L’association de ces deux mots, « genre » et « dysphorie », est insidieuse et anti-féministe. Le genre, une construction hiérarchique comprise par les féministes comme oppressive, est intrinsèquement angoissant. Les femmes, et les filles en particulier, ont tout à fait raison de se sentir mal à l’aise avec le genre. Les femmes n’ont jamais eu pour responsabilité de s’y sentir à l’aise. C’est peut-être la raison pour laquelle les renvois de filles au Tavistock Gender Identity Development Service du Service britannique de la Santé (Service de développement de l’identité de genre (SDIG) ont augmenté de 5 337 % en moins d’une décennie.

En 2013, le terme « dysphorie de genre » a été ajouté au Manuel diagnostique DSM-5, remplaçant « trouble de l’identité de genre » dans les éditions précédentes. Dans cette édition, le terme de « genre » remplace presque entièrement le terme de « sexe », qui est maintenant dit qualifié d’ « assigné ». De même, dans la Onzième Classification Internationale des Maladies (CIM-11), l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a supprimé les références au « trouble » et a reclassé l' »incongruence de genre » comme relevant de la santé sexuelle, plutôt que de la maladie mentale. Ces révisions sont en partie dues aux démarches effectuées par des groupes de pression en faveur de la démédicalisation de la transition sexuelle et s’inscrivent dans une tendance plus large qui s’est traduite par une saisie des politiques (policy capture) et des pressions en faveur de nouvelles lois dans de nombreux pays. Grâce à de subtils changements linguistiques instaurés progressivement, la réalité de la transition en ce qui a trait à l’organisme a été occultée et aseptisée au fil du temps. De nombreuses personnes ne sont pas informées des risques de telles transitions et sont laissées sans soins de suivi appropriés. Ce n’est même qu’après leur transition que certaines personnes réalisent qu’il est impossible de changer réellement de sexe. Des changements de seuils ont créé une catégorie de plus en plus large dans laquelle beaucoup se retrouveront, ce qui ne peut qu’entraîner des excès de diagnostic et de traitement. Cela n’est pas surprenant, étant donné le marché lucratif qui entoure les transitions. L’ironie malheureuse au cœur de la « démédicalisation » du transgenrisme est une approche de plus en plus médicale dans laquelle la non-conformité est jugée traitable par des interventions chirurgicales et hormonales.

Lorsque je regarde ces chiffres de la clinique Tavistock, je me sens soulagée que ma conscience féministe m’ait donné la capacité de comprendre mes problèmes d’image corporelle avant qu’un médecin ne puisse m’orienter vers une transition. La « dysphorie de genre » ne faisait pas encore partie du vocabulaire des adolescents ; cependant, le climat qui a précédé cette « montée de l’acceptation » des jeunes transgenres était pétri d’homophobie. Il n’y avait pas de lesbiennes « visibles » à mon école secondaire et il n’y avait qu’une seule personne transgenre, qui, par coïncidence, était la seule personne ouvertement attirée par le même sexe que nous connaissions à l’époque. Le reste d’entre nous était présumé·es hétérosexuel·les et se présumaient comme tel·les. Aujourd’hui, de nombreuses transitionneuses déclarent qu’elles n’ont jamais envisagé la possibilité d’être lesbiennes et qu’elles se considéraient au départ comme des hommes hétérosexuels. Pour moi-même et de nombreuses jeunes femmes, la possibilité d’une relation avec une autre femme était totalement inconnue. La représentation médiatique des lesbiennes est généralement celle de femmes minces, féminines et conventionnellement attirantes qui ressemblent davantage à un fantasme masculin qu’à une quelconque réalité féminine. D’ailleurs, la plupart d’entre nous n’avaient jamais entendu parler du « mot en L ».

Enfant, j’ai eu la chance d’être autorisée à m’habiller et à jouer comme je le voulais. Ma mère était enseignante dans un lycée à l’époque et a un jour été interpellée par des élèves qui lui ont demandé : « Pourquoi laissez-vous votre enfant s’habiller comme ça ?’ Elle a répondu qu’elle me laissait m’habiller comme je voulais. Malheureusement, de nombreux enfants vivent dans des foyers où ils n’ont pas droit aux coupes de cheveux, aux vêtements et aux jouets qu’ils et elles préfèrent. Il peut s’agir d’un refus catégorique, ou d’un découragement subtil ou de commentaires indirects lorsqu’ils ou elles ne se conforment pas aux normes. Avec le temps, l’enfant commence à développer un sentiment profond d’incohérence. C’est chez ces enfants que l’identification au transgenrisme est la plus profonde. Comme l’écrit Susie Orbach dans Bodies :

« Les enfants qui ont le sentiment de ne pas être aimé·es peuvent croire qu’il doit y avoir quelque chose de très mauvais en eux qui les rend inacceptables. Ce sentiment aigu d’être hors-normes les trouble et les blesse, mais ils et elles n’abandonnent pas pour autant leur désir d’amour et d’acceptation. Elles en désespèrent, certes. Elles s’en languissent et en ont peut-être peur. Mais leur quête d’amour et d’acceptation s’accompagnera d’une tentative de se transformer en quelqu’un qu’elles peuvent accepter. »

Les femmes souffrant de dysphorie luttent pour échapper à cette sensation lancinante de ne pas être à leur place. Lorsque nous nous habillons de manière féminine, ou que notre famille et nos pair·es nous y forcent, nous avons l’impression de nous mentir à nous-mêmes. Mais les vêtements que nous voulons porter ne nous « vont » pas. Conditionnées dès l’enfance à associer femme et féminité, nous avons l’impression d’être des femmes ratées. Cette situation est encore aggravée à l’arrivée de la puberté.

À cause de mon développement tardif, j’en suis venue à m’identifier si complètement à mon corps prépubère, presque asexué, que j’ai commencé à l’associer à une liberté oubliée. Soudain, je devais m’habiller en fonction de ma silhouette. Plus je devenais visiblement féminine, moins je jouissais de libertés. Tentant de jouer le rôle, j’ai commencé, à l’âge de la préadolescence, à rembourrer mon soutien-gorge rembourré (j’en portais même parfois deux), mais j’ai vite compris que je n’aimais ni la féminité ni l’attention des hommes. À l’âge de seize ans, j’ai failli acheter un bandeau de compression de ma poitrine, mais j’en ai été empêchée faute d’argent. En attendant, j’enroulais de fines écharpes autour de ma poitrine pour aplatir mes seins. Ces seins qui ne suffisaient pas à acquérir la féminité sont devenus superflus dans ma poursuite de la neutralité. J’ai développé une routine « manger/vomir » que je considérais sincèrement comme le chemin vers mon « moi authentique ». La vrai moi était mince et androgyne et le corps qui m’avait trahi n’était qu’un mensonge. J’interprétais maintenant ma féminité comme non seulement excessive mais aussi comme contraire à qui j’étais réellement.

Il existe un véritable sentiment de dépersonnalisation dans lequel les caractéristiques de votre corps ne sont pas ressenties comme les vôtres, mais comme représentatives de quelqu’un d’autre – qui ressemble généralement aux attentes des autres à votre égard. Vous devenez obsédée par l’idée d’associer des jugements de valeur à des détails intrinsèquement dénués de sens, qui s’accumulent dans votre esprit pour représenter la personnalité que vous rejetez. Le corps devient un lieu de responsabilité morale. Vous vous efforcez de devenir de moins en moins cette personne, mais comme il s’agit de dysphorie, les règles changent constamment. Le corps change peut-être, mais le système de valeurs demeure le même. La dysphorie se maintient.

De temps en temps, on vous rappelle la futilité de vos efforts. Il y a des limites à la capacité de discipliner de l’intérieur votre apparence. Tôt ou tard, on vous rappelle votre impuissance. Pour les personnes transgenres, cela se manifeste par le désir de déterminer le discours des autres, car l’utilisation de « pronoms préférés » communique aux dysphoriques le message que leurs efforts ne sont pas complètement vains. Plus ces efforts sont intenses, plus ces personnes ont à perdre, car les fondements mêmes de leur identité se sont structurés sur ce qui est, essentiellement, un mensonge. La dysphorie, illimitée et intangible, peut être quantifiée par des confirmations externes de sa validité, puisque la personne dysphorique ne la ressent jamais comme suffisante. Le déni doit être maintenu. C’est pourquoi on voit apparaître des communautés en ligne dédiées à la documentation de « l’itinéraire ». Pour les personnes atteintes de dysphorie, les vidéos et les blogs en ligne servent à maintenir et à intensifier le trouble. En s’entourant d’autres personnes comme elles, elles créent un « espace sûr » dans lequel les paroles invalidantes des adultes de leur vie ne peuvent plus les atteindre – des adultes qui s’investissent pour que vous deveniez la personne que vous avez rejetée.

Les communautés pro-anorexie étaient populaires sur des sites web comme Tumblr, où les filles téléchargeaient et rebloguaient des photos en noir et blanc de femmes minces, posant souvent de manière à contorsionner le corps pour donner l’impression de la forme corporelle désirée – des astuces que l’on apprend vite. Pour créer ou exagérer un « écart entre les cuisses », par exemple, vous pouviez tourner les talons vers l’extérieur et pencher vos épaules en avant. Le « creux des hanches » était obtenu en rendant votre ventre si concave que votre pantalon ou votre culotte s’étirait d’un os de la hanche à l’autre sans toucher la peau entre les deux, ce que la plupart ne pouvaient réaliser qu’en position allongée. Les épaules peuvent être poussées vers l’avant et vers l’intérieur pour mettre en valeur les os du cou. Dans ces forums, l’apparence de la perte de poids peut revêtir une importance presque égale à la perte de poids elle-même en tant que moyen de soulagement psychologique. Soigneusement organisé en signets, le bouton de blocage toujours à portée de main, le monde numérique offre aux dysphoriques un sentiment de contrôle qui fait défaut dans le monde extérieur. Cette imagerie côtoie des conseils sur les manières les plus efficaces de s’affamer.

Au sein de la communauté trans en ligne, l’utilisation familière de l’abréviation  « T » pour testostérone est troublante par sa ressemblance avec les abréviations « Ana » pour anorexie et « Mia » pour boulimie, souvent appelées « mon amie ». Ces cercles sont caractérisés par une autosurveillance implacable semblable, mais c’est le « passage » (le fait de passer pour quelqu’un de l’autre sexe) plutôt que se faire maigrir qui est au centre des préoccupations. L’avertissement des activistes transgenres, selon qui le passage ne fait pas partie intégrante de l’identité transgenre, est bien intentionné, mais il reste éloigné de la réalité de la dysphorie. Dans les vidéos et blogs populaires, les femmes « pré-T » sont encouragées à adopter un certain nombre de comportements obsessionnels d’autorégulation. Les vêtements à rayures sont censés leur donner l’impression d’être plus grandes, tandis que les chemises à motifs peuvent donner de la largeur aux épaules et détourner l’attention des hanches larges ; une coupe de cheveux anguleuse, plus courte sur les deux côtés, est considérée comme masculine, tout comme des sourcils épais et fournis, qui peuvent être tracés au stylo mais de préférence teints. La teinture peut également être utilisée pour assombrir le bas du visage, afin de donner l’impression d’une ombre de cinq heures. Il faut parler plus lentement et plus bas, avec moins de gestes. Marcher à grandes enjambées. Porter un « pack » qui simule le pénis. L’accessoire le plus souvent mentionné, bien sûr, est le bandeau de poitrine. De nombreuses apologistes de la façon sécuritaire de porter ce bandeau admettent n’avoir personnellement pas suivi ce conseil et déclarent avoir utilisé du ruban adhésif et des bandages, avoir porté des bandeaux trop petits ou avoir dormi avec. Lorsque votre objectif final est de vous débarrasser de vos seins, il est difficile de se soucier de ce qui leur arrive entre-temps. Une fois sous testostérone, une tendance populaire consiste à enregistrer la progression de votre voix à mesure qu’elle s’approfondit. La prise de « T » est répétée tant et plus, comme les photos de maigreur progressive que prennent les femmes pour enregistrer leur perte de poids.

Tout comme les jeunes femmes souffrant de troubles de l’alimentation tentent de se procurer des compléments alimentaires, des laxatifs et des appareils d’exercice à l’insu de leurs parents, les personnes transgenres peuvent trouver des moyens d’acheter en ligne des bandeaux et des hormones hors prescription. La fondation LGBT, financée par des fonds publics, propose même un « MORF Binder Scheme » permettant à des jeunes femmes de recevoir grauitement un bandeau, emballé de manière à ne pas révéler aux parents ce qu’il contient. L’organisation caritative britannique Mermaids a récemment fait la promotion d’une fonction sur son site web qui permet aux jeunes utilisatrices vivant chez leurs parents de cliquer sur un bouton et d’être rapidement dirigés vers un autre site pour déguiser leurs traces. La méfiance en vient à définir les relations d’enfants avec leurs parents, dont l’appréhension compréhensible à accepter l’apparition parfois rapide de cette nouvelle identité est qualifiée de « transphobie » par leurs pairs en ligne et par les activistes transgenres. Le parent qui a accepté l’enfant non conforme au genre dans le passé ne peut comprendre cette soudaine obsession de l’identité et de l’apparence. Le parent conservateur, quant à lui, agit probablement en fonction d’une homophobie inavouée, car l’enfant homosexuel représente une menace plus directe que l’enfant transgenre pour l’unité familiale nucléaire. Cette homophobie est camouflée par le vernis « progressiste » du mouvement transgenriste.

Le secret est l’une des caractéristiques de la dysphorie, car lorsque vous prononcez enfin les mots qui ont consumé votre pensée consciente pendant si longtemps, ils peuvent sembler irrationnels, vulgaires, voire mesquins. La désapprobation de votre famille vous confirme que vous et vos pairs en ligne êtes les seuls aptes à vous comprendre. Alors vous pouvez vous replier sur vous-même, vous retirer, refuser d’en parler. L’écart entre ce que vous êtes à vos propres yeux et ce que vous êtes pour les autres se transforme en gouffre. Celui ou celle qui est perçu·e comme l’instigatrice du conflit est contrainte de s’accommoder de l’émergence d’un critère strict dans ses interactions, s’il veut pouvoir interagir tout court. Les dîners de famille et les événements féministes peuvent devenir assez désagréables.

De nombreuses mères, qui peuvent comprendre le malaise de leur fille, ne parviennent pas à lui parler. Elles peuvent trébucher sur le langage, tenter de rassurer l’enfant en lui disant que ces sentiments disparaîtront avec l’âge, mais parler d’une « simple phase » peut déclencher des signaux d’alarme. La haine extrême du corps, contrairement à l’homosexualité, est une chose que l’on doit s’efforcer de dépasser. L’amalgame entre les deux questions est délibéré : on a conseillé aux militants transgenres de s’inspirer des anciennes luttes de libération, comme celle pour les droits des homosexuels, malgré les différences évidentes entre les deux. Malheureusement, la plupart des parents ne peuvent pas comprendre le sentiment de différence de leur enfant non conforme et s’en remettent donc entièrement aux conseils de soi-disant professionnels. Aux États-Unis, il est assez évident que ces professionnels ont tout à gagner d’un diagnostic exagéré, en récoltant des clients à vie. Au Royaume-Uni, l’influence politisée des groupes de pression financés par le gouvernement a créé un climat dans lequel le système plie sous la pression de la demande. La législation et les politiques visant à légitimer ce scandale ne peuvent pas être mises en place assez rapidement, on cherche ainsi à empêcher que les jeunes aient la chance de s’arrêter et de réfléchir.

En apprenant ma boulimie, mes proches ont tentéé de me consoler en me disant « mais les filles minces sont moches, les hommes aiment les filles bien roulées ! ». Pour moi, une femme gay au secret de  mon identité,  vous pouvez imaginer que cela a eu l’effet inverse de celui escompté. L’hétérosexualité et les attentes sexuées qui l’accompagnaient étaient les choses mêmes auxquelles j’essayais d’échapper. Tout d’abord, ces propos me « dénaturaient ». Je n’étais pas une de ces « filles bien roulées » que les hommes désiraient : J’étais un sujet, pas un objet. Pourtant, lorsque je cherchais ma taille de robe sur Google, des photos de mannequins « grande taille » ne portant rien de plus que leurs sous-vêtements apparaissaient à l’écran. Si j’avais cherché « lesbienne », on m’aurait présenté des images pornographiques de femmes minces et féminines aux ongles longs se violant mutuellement pour un spectateur masculin. Comme le montre le documentaire Hot Girls Wanted, dans le porno hétérosexuel, les femmes de petite taille sont classées dans la catégorie des adolescentes, tandis que les femmes au corps plus large sont désignées comme « MILF » (pour Mothers I’d Like to Fuck) – des rôles spécifiquement liés à leur relation avec la puberté et la fonction reproductive. Les jeunes femmes apprennent rapidement ce que signifie être une femme dans ce monde. Comme l’écrit Victoria Smith :

« Une femme avec des hanches et des seins a un travail à faire, un rôle à jouer, tant sur le plan sexuel que reproductif. Je ne voulais pas de ce rôle. Il était plus facile de changer mon corps que de demander au monde de s’adapter à mon humanité. »

Le fossé immense qui sépare les femmes de la génération du millénaire des féministes radicales de la deuxième vague est en partie dû à cette conception de la féminité qui s’est formée en même temps que la montée de la pornographie et la diffusion d’images sur le Web. Ces images ont imprégné si profondément notre conception de nous-mêmes que, lorsque nous les rejetons, nous avons l’impression de n’avoir d’autre choix que de nous rejeter nous-mêmes. Lorsque les femmes plus âgées nous exhortent à embrasser notre corps de femme, elles parlent de la féminité telle qu’elles la connaissent. Des femmes qui se souviennent des jours de la libération des femmes. Des femmes qui n’ont pas passé leur adolescence à subir les moqueries des garçons et les discussions des filles qui ont toutes été élevées au porno. Il devient donc facile de rejeter leurs objectifs comme étant différents des nôtres. Elles en demandent trop. Le corps est le domaine des dysphoriques, qui croient qu’il peut être modelé à leur guise. L’acceptation de soi est considérée comme une capitulation devant des forces extérieures hostiles.

C’est là que l' »identité de genre » intervient en prétendant recoller les morceaux. L' »identité », en tant que rhétorique, propose une expérience individualisée, plutôt que collective, du genre. Elle fournit aux individus dysphoriques la chose même qu’ils recherchent : le contrôle. Les femmes lesbiennes et bisexuelles, dont la compréhension de leur sexualité est formée dans le contexte d’un patriarcat hétérosexuel, sont capables de remodeler leurs corps et leurs récits, étant psychologiquement immunisées par leur identité non-binaire ou de genre fluide. Les enfants malmenées par leur famille et leurs pairs en raison de leur non-conformité se voient offrir une chance d’échanger leurs sentiments d’impuissance. Par contre, les critiques féministes de cette pensée binaire sont présentées comme des tentatives d’imposer la binarité, quel que soit le degré de non-conformité de l’interlocutrice. La personne dysphorique présume que la voix dissidente contribue à son sentiment d’impuissance, car chaque fois qu’elle s’y rallie mentalement, dela valide son sentiment d’impuissance. Lorsque le corps devient vilipendé, celles qui le défendent s’allient à cet ennemi.

Le diagnostic de dysphorie exerce un pouvoir en ce sens que la jeune fille voit un adulte dire à son parent qu’il y a une « raison » à sa souffrance et ce qui suit constitue une permission d’y échapper. Cette permission, cependant, est conditionnelle. Les parents se précipitent pour acheter à leur « fils » les vêtements qu’il désire depuis des années. L’enfant est soudainement capable de porter des pantalons à l’école, mais il doit effectuer une transition sociale. Quelqu’un tient enfin tête à la brute, non pas pour lui dire que les filles peuvent jouer au football, mais pour la rassurer que la fille qui veut jouer est en fait un garçon. Les gens commencent à vous parler avec respect. L’étendue de la désapprobation de votre famille devient claire après la transition lorsqu’on vous explique avoir « toujours su » que quelque chose n’allait pas, était différent, ou que vous étiez « en fait » un garçon. Il y a très peu de motivation pour revenir en arrière. Les personnes qui souhaitent « détransitionner » peuvent être amenées à « décevoir » à nouveau leurs proches,  peut-être même plus profondément cette fois-ci. Le succès perçu des transitions est quelque chose que les féministes reconnaissent comme une solution individuelle à un problème collectif, résumée par Rebecca Reilly-Cooper en ces termes: « La solution n’est pas d’essayer de se glisser entre les barreaux de la cage tout en laissant le reste de la cage intact, et le reste de l’humanité féminine piégée à l’intérieur. »

Je ne doute pas que les bloqueurs de puberté auraient soulagé ma détresse d’être entrée dans une puberté féminine, tout comme je ne doutais pas que vomir après mes repas me ferait me sentir mieux. Lorsque je vomissais, je pleurais à chaudes larmes. J’avais appris, grâce aux blogs et à ma propre expérience, ce qu’il ne fallait pas manger, ce qui était douloureux à vomir. Ce qui est difficile à comprendre pour les autres, c’est qu’aussi horrible que cela ait été, c’était tellement plus facile à supporter que l’état d’esprit qui précédait, temporairement reporté jusqu’au prochain repas. Les femmes qui portent des bandeaux ont des récits similaires de douleur physique comme secondaire à la douleur psychologique, comme la plupart des personnes qui s’automutilent. Lorsque les féministes parlent de jeunes femmes qui « mutilent » leur corps, ces jeunes font la sourde oreille. Le problème n’est pas que les jeunes femmes ne comprennent pas ce qu’elles font lorsqu’elles optent pour une double mastectomie, c’est que, comme lorsque je vomissais, c’est l’alternative qui est ressentie comme une défiguration.

Voilà la condition mentale de la jeune dysphorique. Il incombe alors à la famille, aux ami·es et à la société d’intervenir pour contrer cette automutilation. De minimiser et de prévenir dans le but de restaurer éventuellement un sentiment de bien-être dans le corps. Les conservateurs du genre ne veulent pas que leurs enfants non-conformes ou homosexuel·les se sentent à l’aise dans leur corps. Ils préfèrent, par le biais d’une intervention médicale, se sentir à l’aise d’un point de vue idéologique. De façon presque tragique, la société partage avec les dysphoriques l’état d’esprit qui justifie le mal comme un mal nécessaire. Pourtant, des études ont démontré que les idées suicidaires, les tentatives de suicide et la dépression augmentent après une réassignation sexuelle. De plus en plus de transsexuel·les témoignent avoir été victimes de malversations médicales. Il est de plus en plus évident que la transition médicale est la fausse promesse qui maintient les femmes suspendues à des décennies d’agonie.

Je n’ai pas la solution pour surmonter la dysphorie de genre. Je presse toujours mes seins à plat contre ma poitrine lorsque je me regarde dans le miroir. Lorsque je prends du poids, c’est un rappel terrifiant de ma féminité. Lorsque je monte des escaliers en courant, je dois me tenir la poitrine, car la sensation est insupportable. Il m’a fallu beaucoup de temps pour être capable d’écouter des enregistrements de ma voix. Tout ce que je sais, c’est que malgré tout cela, les choses s’améliorent. Je me sens moins dépassée. La découverte de ma sexualité et la prise de conscience que le corps des femmes était une cause de célébration, et non de mépris, m’a libérée de la majorité de mon désespoir. J’ai découvert que je suis une coureuse d’endurance et une cycliste compétente – ce que je n’aurais jamais su si j’avais acheté ce bandeau à seize ans. Ce qui a aidé ma dysphorie, c’est de faire des choses qui m’ont encouragé à me sentir dans mon corps plutôt que d’en être un simple témoin. Les bandeaux, comme le corset, encouragent les femmes à être passives et les privent de la possibilité de découvrir les capacités de leur corps. Pour paraphraser Germaine Greer : si elle n’enlève jamais son bandeau, comment saura-t-elle jamais jusqu’où elle pourrait marcher ou à quelle vitesse elle pourrait courir ?

Version originale : https://satiricole.medium.com/overcoming-gender-dysphoria-922b20861f4 

Traduction: TRADFEM

2 réflexions sur “Surmonter la dysphorie de genre

  1. J’ai trouvé cet article excellent, un des meilleurs que j’ai lu sur ces questions. Il est troublant que la terme « dysphorie de genre » soit un diagnsotic psychiatriquer qui est venu remplacer le « trouble de l’identité de genre » dans le DSM ! Personne n’en parle du côté des militant-e-s transféministes ni même dans les critiques de la psychiatrie.

    Cette phrase m’a également beaucoup marquée:
    « Lorsque les féministes parlent de jeunes femmes qui « mutilent » leur corps, ces jeunes font la sourde oreille. Le problème n’est pas que les jeunes femmes ne comprennent pas ce qu’elles font lorsqu’elles optent pour une double mastectomie, c’est que, comme lorsque je vomissais, c’est l’alternative qui est ressentie comme une défiguration. »

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