Claire Heuchan s’entretient avec Janice Raymond, autrice féministe lesbienne et universitaire, à propos de son nouveau livre Doublethink : A Feminist Challenge to Transgenderism.
9 janvier 2022, dans Lesbian and Gay News
Peu d’analystes politiques peuvent prétendre à la clairvoyance de Janice Raymond. Dans les années 1970, des décennies avant que le transgenrisme n’entre dans les mœurs, Raymond a prédit la médicalisation généralisée de l’identité de genre. Elle a également été l’une des premières à critiquer la maternité de substitution commerciale, prévoyant que les femmes pauvres risquaient d’être victimes d’un trafic reproductif pour répondre à la demande créée par les riches. Et pourtant, lorsque je lui demande ce que cela fait de faire partie d’une avant-garde féministe, la réponse de Raymond est modeste.
« Je ne me suis jamais considérée comme faisant partie d’une avant-garde, féministe ou autre », dit-elle. « Dans la foulée de l’écriture de The Transsexual Empire, il n’y a pas eu de forte opposition à ce que j’avais écrit et, en fait, le livre a été défendu dans l’un des principaux médias américains. »
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Publié en 1979, The Transsexual Empire (L’Empire transsexuel, Éd. du Seuil, 1981) développait la thèse de doctorat de Raymond au sujet d’une « identité de genre » qui renforçait les stéréotypes sexuels traditionnels. Plus de 40 ans plus tard, ce livre est célébré comme faisant partie du canon féministe radical. Mais il a également fait l’objet de vives critiques de la part de commentateurs transgenres. Carol Riddell affirme que The Transsexual Empire « a peut-être fait plus pour justifier et perpétuer [les préjugés anti-transsexuels] que n’importe quel autre livre jamais écrit ».
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D’autres féministes, soucieuses d’éviter d’être marquées du même sceau, ont condamné l’œuvre de Raymond. « Si une avant-garde signifie une position de précurseure, réfléchit-elle, alors les avant-gardes – à un moment donné – sont des positions solitaires. Surtout si le soutien fait défaut de la part de celles dont on pourrait attendre qu’il vienne. »
Raymond a fait face non seulement à des tentatives de sabotage de sa carrière d’universitaire, mais aussi à des menaces d’extrême violence. Pourtant, elle n’a jamais été déroutée. Et maintenant, Raymond est de retour avec Doublethink : A Feminist Challenge to Transgenderism.
Seul son emploi du temps chargé a empêché Raymond de revenir plus tôt sur l’épineux sujet du genre. « En tant que professeure d’université pendant 28 ans, puis en tant que codirectrice de la Coalition internationale contre la traite des femmes (CATW) pendant 13 ans, je n’ai pratiquement pas eu le temps d’écrire un livre », explique-t-elle. « À part une nouvelle introduction à L’Empire transsexuel, qui a été réédité (en anglais) 1994. »
Mais Raymond restait consciente de nouveaux développements, du passage du cadrage » transsexuel » au cadrage » transgenre « . « Des amis et des collègues m’envoyaient des articles pertinents sur le ‘nouveau’ phénomène du transgenre, et surtout sur l’augmentation du nombre de filles qui subissaient des hormones et des opérations chirurgicales. À mesure que je prenais conscience des courants impitoyables de l’autodéclaration des trans et de l’expansion du transgenrisme dans la médecine, l’éducation et la législation, je savais que je devais écrire à ce sujet. »
Les principes féministes lesbiens sont au cœur du travail de Raymond, ce qui n’est jamais plus clair que lorsqu’elle considère la vie des jeunes lesbiennes qui détransitionnent.
« Beaucoup de jeunes femmes disent à des lesbiennes plus âgées qu’elles n’avaient pas réalisé qu’elles pouvaient être des lesbiennes non conformes au genre plutôt que de vivre une transition », dit-elle. Comme solution à l’absence de modèles lesbiens positifs dans la vie des jeunes femmes, Raymond pense que nous devrions « créer autant de rassemblements intergénérationnels que possible ».
Les principes féministes lesbiens sont au cœur du travail de Raymond, ce qui n’est jamais plus clair que lorsqu’elle considère la vie des jeunes lesbiennes qui se transforment.
Raymond s’attache à souligner le travail existant pour combler le fossé générationnel entre les lesbiennes. Grâce au travail de la militante lesbienne Mary McClintock auprès des jeunes femmes, Mme Raymond a pris conscience de l’influence des plateformes de médias sociaux telles que TikTok et Tumblr sur la vie des jeunes femmes. Et elle appelle les femmes à « poster intentionnellement des messages positifs pour les lesbiennes ». Pour Raymond, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’une stratégie efficace. « Par exemple, me dit-elle, la féministe lesbienne Jen Rowray a plus de 75 000 followers et 1,3 million de « likes » pour ses posts sur TikTok. »
Le parcours de Raymond vers le féminisme lesbien me surprend autant que notre goût commun pour les TikToks (quoique, qui n’aime pas un peu Cowboy Jen ?). Ex-catholique moi-même, j’avais présumé que Raymond avait quitté le couvent des Sœurs de la Misérisorde pour devenir une féministe lesbienne. Mais elle s’empresse de me corriger sur ce point. « Je n’ai pas quitté la communauté pour embrasser le féminisme lesbien », déclare Raymond. J’étais déjà une féministe lesbienne et – contrairement aux stéréotypes négatifs de la vie au couvent – je vivais avec des femmes qui partageaient des amitiés particulières avec des femmes, un idéalisme commun et un respect pour l’intelligence des femmes… ».
Son conflit avec l’Église était dû à la misogynie de cette institution, « en particulier sa position sur l’avortement ». Au début des années 70, Raymond a témoigné lors de plusieurs audiences publiques dans l’affaire Roe v. Wade, prenant position contre celle de l’Église catholique. « Mon témoignage, bien sûr, a été publié dans les principaux journaux. Et on a tenté de me faire taire. C’était le coup de pouce dont j’avais besoin pour me dissocier. »
Tant l’Église que les militants des droits des transgenres ont œuvré pour faire taire Raymond, un fait qui ne lui échappe pas. Les passages les plus cinglants de Doublethink détaillent les efforts récents pour censurer les voix des femmes, et la violente misogynie qui les accompagne. Raymond conçoit son dernier ouvrage comme une intervention.
« Je veux que ce soit un signal d’alarme », dit-elle. « Je veux que Doublethink contribue à nous faire prendre conscience de l’emballement de l’idéologie transgenriste et de ses coûts, notamment ce qui est en jeu lorsque des hommes sont autorisés à participer à des compétitions sportives féminines et lorsque les parents ne sont pas informés des programmes scolaires qui confondent sexe et genre et qui peuvent faciliter le traitement hormonal d’un enfant sans le consentement de ses parents. Je veux que Doublethink soit lu par les lesbiennes et les féministes, mais aussi par le grand public. »
Doublethink : A Feminist Challenge to Transgenderism est maintenant disponible chez Spinifex Press et dans toutes les bonnes librairies. (La collective TRADFEM envisage de l’adapter en français.)
Claire Heuchan est une autrice, essayiste et féministe radicale noire. Elle tient le blog primé Sister Outrider: A Black Radical Feminism.
Lesbian and Gay News est une source alternative de nouvelles et d’opinions. Lesbian and Gay News s’inscrit dans une tradition historique de publications lesbiennes et gays britanniques telles que Gay News, qui a été publié de 1972 à 1983, et The Pink Paper, qui a été publié pendant 25 ans à partir de 1987.
Traduction : TRADFEM