par Simone Andrea, survivante
Appelez ça comme vous voulez, c’est de la prostitution.
La dignité des hommes est une chose qu’ils prennent très au sérieux. La dignité, même et surtout en vertu de la loi (masculine), est fondée sur le concept de choix. Mais le concept masculin de la dignité est basé sur un statut dû à la structure de classe.
Ainsi, beaucoup de personnes qui disposent de peu de choix aiment prétende qu’elles ont le choix parce qu’il est lié au concept de dignité.
La rhétorique qui fait de la prostitution une industrie stigmatisante et humiliante pour les femmes prostituées a entièrement pour but de garantir que les hommes ne soient pas mal vus. Les hommes ne sont stigmatisés que par association et proximité avec la personne prostituée, plutôt que par leur création de notre condition et leur demande permanente de nos corps.
Ils nous utilisent parce que nous sommes là, et ils veulent se sentir dignes en le faisant.
Le grand public n’est pas conscient que ce sont les hommes qui nous mettent là. Il ne sait pas qui profite de notre présence dans cette condition. Il ne sait pas qui a créé la situation dans laquelle nous nous trouvons.
La rhétorique utilisée pour assainir la prostitution en l’appelant « autonomisante », « travail du sexe » et méritoire d’un statut de « dignité » existe entièrement pour que les hommes qui nous exploitent aient l’air de ne pas nous exploiter. Le lobby des proxénètes sait que la fonction première de l’expression « travail du sexe » est d’accroître et de bénéficier du commerce du sexe (c’est-à-dire du « droit » des hommes à nous acheter pour le sexe et d’en tirer profit).
Le grand public bien intentionné, qui utilise le terme « travail du sexe » dans l’espoir de ne pas paraître sectaire ou de ne pas nuire à notre « choix », contribue, en fait, à renforcer les droits et la dignité des proxénètes et des clients. C’est dans l’intérêt de la dignité masculine que la dignité devient inséparable du concept de « choix ». En termes de statu quo (masculin), la dignité est sous-tendue et mesurée par l’idée de choix. Il ne faudrait surtout pas que quelqu’un ait l’apparence de ne pas avoir de choix ! Ce qui est réellement dit lorsque nous utilisons le terme « travail du sexe », c’est que c’est la personne prostituée qui a le « choix ». N’est-ce pas commode ?
Pour cette raison (une parmi plusieurs), ce n’est pas à moi, ni à aucune autre personne prostituée, de faire la preuve que l’expression « travail de sexe » est un facteur de dignité, ou encore moins d’en être reconnaissant ou de l’endosser.
Ce n’est pas nous qui commettons les actes indignes qu’on nous inflige et, à ce titre. nous n’avons rien à prouver (ou dont nous montrer reconnaissantes) lorsque les médias ou le grand public utilisent l’expression « travail du sexe ». En fait, l’insinuation que nous bénéficions de cette reconnaissance est insultante; pire encore, elle occulte la question de savoir qui, exactement, commet les actes en question.
Nous sommes prostituées. Le mot est laid et viscéral. En un mot, il est véridique. C’est pourquoi les proxénètes et les clients ne veulent pas que nous l’utilisions, et c’est pourquoi le grand public ne veut peut-être pas l’entendre.
Nous ne devons aucune dignité aux proxénètes et aux clients. Nous ne devons pas non plus au grand public de l’aider à se sentir à l’aise ou mieux dans sa peau lorsque l’on parle de prostitution.
Si vous lisez ceci en tant que personne non prostituée, ou si vous utilisez le terme « travail du sexe », je vous demande de réfléchir à qui profite cet euphémisme. La plupart d’entre nous connaissons l’efficacité des « mots hypocrites », il suffit de penser à la facilité avec laquelle l’expression de « dommages collatéraux » s’est glissée dans le vocabulaire des fauteurs de guerre. Si nous sommes capables de comprendre ce détournement, nous pouvons faire preuve d’un peu d’esprit critique sur ce à quoi nous participons lorsque nous qualifions la prostitution de « travail ».
Cordialement,
Simone Andrea
Version originale: ‘Sex Work’: The Dignity of Men, Feb. 28, 2015 – https://sim345.wordpress.com/2015/02/28/sex-work-the-dignity-of-men/?fbclid=IwAR1j-vzhQSprXrGTWpyIgFS75nXBHpA0Lsxw1C7Tw9t5tU7Cj7ND_xLBXZE
Pour en savoir plus, lire Sarah DITUM, https://tradfem.wordpress.com/2021/05/03/de-limportance-de-ne-pas-relooker-la-prostitution-en-travail-du-sexe/
Traduit par TRADFEM à la demande d’une survivante québécoise.
Payer pour acheter du sexe n’est pas digne. Le stigmate doit changer de camp. Comme pour toutes les violences infligées à des femmes par des hommes.
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