Jusqu’à présent, les tribunaux canadiens ont été réticents à reconnaître aux personnes un droit systématique à s’engager dans l’activité commerciale ou économique de leur choix.
Autrice: Debra M. Haak
Publié en anglais dans The Ottawa Citizen, le 15 avril 2021
Ce texte est proposé en réponse à l’article d’opinion publié dans l’Ottawa Citizen du 8 avril « Sex workers’ rights aren’t yet protected under law“.
La Canadian Alliance for Sex Work Law Reform, ainsi que six individus, ont entamé une procédure de contestation de la constitutionnalité des lois canadiennes sur la prostitution criminelle.
Trois contestations constitutionnelles de trois de ces lois ont déjà fait l’objet de décisions en Ontario. Dans la première, les infractions contestées ont été jugées constitutionnelles. Dans les deux autres, les infractions ont été jugées inconstitutionnelles.
Cette affaire est différente. Dans ce recours, ce sont toutes les infractions pénales visant la prostitution adulte qui ont été contestées. Si elle est acceptée, cette affaire a le potentiel de décriminaliser complètement l’échange commercial de sexe au Canada.
Mais le Canada est-il constitutionnellement tenu d’avoir un marché légal du sexe ?
Lorsqu’il a adopté la Loi sur la protection des communautés et des personnes exploitées en 2014, le Parlement a rendu la prostitution illégale pour la première fois au Canada. L’obtention de services sexuels contre rémunération constitue désormais une infraction. Des infractions supplémentaires ont été adoptées pour empêcher les personnes de développer un intérêt économique dans la prostitution d’autrui.
La politique actuelle du Canada en matière de prostitution vise à réduire ou à éliminer le marché des services sexuels. Il s’agit d’une approche politique souvent qualifiée de « modèle nordique » et elle est similaire aux politiques et aux lois sur la prostitution actuellement en vigueur en Suède, en Norvège, en Islande, en Irlande, en France, en Irlande du Nord et en Israël.
En choisissant cette approche politique et en promulguant ces lois pénales, le gouvernement a souligné le lien entre la prostitution et la traite des personnes, et a décidé que le marché commercial du sexe ne pouvait être séparé en marchés volontaire et involontaire. En présentant le projet de loi C-36, le ministre de la Justice de l’époque, Peter MacKay, a cité le risque élevé de violence associé à la prostitution, soulignant qu’aucune approche politique ne pouvait rendre la prostitution sécuritaire.
Lorsque ces lois pénales ont été adoptées, le Parlement a reconnu l’impact disproportionné de la prostitution sur les femmes et les filles, en particulier les femmes et les filles autochtones. Il a également estimé qu’un marché commercial légal de services sexuels était incompatible avec l’égalité des sexes.
Dans la présente contestation constitutionnelle, les requérant.e.s soutiennent que les lois pénales visant la prostitution adulte violent les droits des travailleuses et travailleurs du sexe en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés en empêchant ces derniers de travailler de manière sûre et sécurisée. Ils affirment que les lois obligent les travailleurs et travailleuses du sexe à oeuvrer dans des endroits isolés. Ils disent que les lois les empêchent d’adopter des mesures qui favoriseraient leur sécurité, y compris la sélection préalable des clients, la communication des conditions de service et le travail en commun. Ils affirment également que les nouvelles lois renforcent la stigmatisation associée au travail du sexe.
Mais l’activité qui est rendue moins sûre par ces lois pénales est une activité commerciale que le Parlement a voulu éradiquer, au moins en partie parce qu’elle est dangereuse et parce qu’elle ne peut être rendue suffisamment sûre.
En contestant toutes les lois criminelles qui s’appliquent maintenant à la prostitution adulte au Canada, y compris celle qui rend la prostitution elle-même illégale, les demandeurs soutiennent effectivement qu’ils ont un droit constitutionnel de s’adonner à une activité commerciale particulière de façon particulière.
Jusqu’à présent, les tribunaux canadiens ont été réticents à reconnaître un droit protégé par la Constitution de se livrer à l’activité commerciale ou économique de son choix. La Cour suprême a expressément statué que la capacité de générer des revenus commerciaux par les moyens de son choix n’est pas un droit protégé par l’article 7 de la Charte.
Le régime législatif actuellement en place au Canada vise à réduire ou à éliminer le marché des services sexuels. Cela limite nécessairement la capacité de s’engager dans des activités économiques et commerciales au sein de ce marché. La reconnaissance des droits des travailleuses et travailleurs du sexe tels que revendiqués dans ce recours pourrait élargir la nature et la portée du droit à la sécurité de la personne garanti par la Charte pour y inclure le droit de participer légalement au marché des services sexuels. Est-ce là ce que veulent les Canadiennes et les Canadiens ?
Un mandat constitutionnel selon lequel le Canada autoriserait légalement un marché commercial du sexe est un sujet susceptible de préoccuper plusieurs Canadiennes et Canadiens. Des études récentes suggèrent que les Canadiens soutiennent la politique actuelle en matière de prostitution, y compris les lois pénales actuellement soumises à un recours constitutionnel. Par exemple, une enquête récente menée auprès de 227 étudiant.e.s de premier cycle à l’Université de Winnipeg a révélé que les répondant.e.s étaient globalement en désaccord avec l’idée que l’achat de services sexuels devrait être légal. Alors qu’une légère majorité d’hommes étaient d’accord pour légaliser la prostitution (56,7 %), les femmes ont exprimé leur désaccord (seulement 34,3 % ont estimé qu’il devrait être légal d’acheter des services sexuels). Une étude menée par Nanos Research l’été dernier a révélé que les Canadien.ne.s étaient cinq fois plus susceptibles de soutenir la législation actuelle que de s’y opposer.
Debra M. Haak est boursière postdoctorale et professeure adjointe en droit à l’Université Queen’s.
ORIGINAL: “Is Canada constitutionally required to allow a commercial market for sex?”
Tous droits réservés à Debra M. Haak, 2021.
Traduction: TRADFEM
On ne peut que constater le positionnement imbécile de l’autrice de ce texte, lorsqu’elle qualifie les lois abolitionnistes de « criminelles ». Alors qu’elle constate que les Canadiennes sont majoritairement opposées à une « légalisation », tandis que les hommes, eux, y sont majoritairement favorables. Malgré cette observation intéressante, le texte est un plaidoyer pour que le système canadien renie la dignité humaine de sa population féminine.
Je m’interroge sur les déterminismes sociaux qui ont conduit une femme à pondre un texte pareil.
« L’obtention de services sexuels contre rémunération constitue désormais une infraction. Des infractions supplémentaires ont été adoptées pour empêcher les personnes de développer un intérêt économique dans la prostitution d’autrui. »
Tout cela revient à dire que seuls les clients et les proxos sont criminalisés. Qui cela gêne-t-il, que des criminels sont criminalisés ? Ils mériteraient bien pire que les peines prévues, vu les conséquences de leurs actes, et pas seulement pour les personnes prostituées. Que pense la petite fille de son avenir, quand elle voit en allant à l’école le matin, en rentrant le soir, de pauvres femmes habillées en clown du sexe, maquillées à outrance, en équilibre précaire sur des chaussures de torture, une mini-jupe volant au vent glacé, qu’elle la voit sourire aux loques humaines qui se traînent devant elles, ou essayant de repousser un homme aviné et puant son vomi, tandis qu’un homme surveille sa « marchandise » à trois pas de là ? Qu’il vérifie qu’elle n’est pas trop « sélective » ? La loi est déjà bien assez douce. Comment penser une seconde que la prostitution est un travail ?
Et comment être à ce point dénué d’esprit logique, et oublier que si c’est un travail, il sera un jour susceptible d’être proposé à toute femme qui viendra demander de l’aide aux organismes chargés du chômage, sous peine de perdre ses allocations ? Qui peut soutenir, sans hypocrisie, que cette situation serait acceptée socialement ? Personne. Donc il faut en tirer les conséquences : ça n’est pas un travail.
« Dans la présente contestation constitutionnelle, les requérant.e.s soutiennent que les lois pénales visant la prostitution adulte violent les droits des travailleuses et travailleurs du sexe en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés en empêchant ces derniers de travailler de manière sûre et sécurisée »
Quelle logique, qui permettrait de plaider jusqu’au rétablissement de l’esclavage : l’esclave de maison, la bonne philippine, poussée par ses « employeurs » à demander en justice (volontairement, évidemment), que l’esclavage soit autorisé, sous le nom « travail gratuit sans démission possible ». Suivant la logique des proxo, cela lui permettra de ne pas avoir à dissimuler son activité gratuite (mais toujours ses bleus, sa faim, et les sévices), et ainsi de devenir une esclave qui exerce « de manière sûre et sécurisée ». Ce sera, nul n’en doute, une considérable avancée. Pour ses « employeurs », bien sûr.
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Je ne suis pas certain que « Mercredi » a compris que Madame Haak S’OPPOSE au projet de faire déclarer inconstitutionnelles les lois PÉNALES (et non criminelles) interdisant l’achat de sexe ou le fait de tirer profit de la prostitution d’autrui. Si oui, sa critique de l’éditorial de Mme Haak – qui n’a rien d' »imbécile » – témoigne d’une confusion regrettable.
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Effectivement. Je constate que la traduction de l’article a été modifiée depuis hier, date de l’envoi de mon message, et cette nouvelle version me paraît beaucoup plus claire.
Le terme utilisé dans la première version de la traduction (en ligne au 17/04) pour qualifier la législation canadienne abolitionniste était celui de « lois criminelles » (« lois pénales » dans la traduction en ligne au 18/04). Ce terme s’interprétait possiblement comme une condamnation morale de la législation en question. Car ce mot de « criminel » renvoie certes au champ pénal, mais dans l’usage commun il désigne plus souvent une chose condamnable.
(https://www.cnrtl.fr/lexicographie/criminel, sens A.)
J’ai lu la version originelle de l’article en ayant à l’esprit l’usage commun du terme, et non l’usage technique issu du vocabulaire juridique. Là est la confusion.
Le terme de « lois pénales », qui remplace l’expression « lois criminelles », rend à mon sens l’article univoque. Mon premier commentaire est donc bien inadapté au contenu de l’éditorial, considérant cette nouvelle traduction.
Merci de votre travail de traduction. J’espère que mon erreur d’interprétation aura au moins servi à ce que d’autres lectrices ou lecteurs ne comprennent pas, eux aussi, l’article de travers.
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Merci de ce correctif.
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