par Lundy Bancroft
TRADFEM n’avait pas encore publié de traduction d’analyses féministes ou simplement réalistes de la violence masculine contre une partenaire intime.
WHY DOES HE DO THAT?, du thérapeute étatsunien Lundy Bancroft, est un livre que plusieurs femmes ont salué comme une perspective réaliste sur la psychologie des agresseurs conjugaux. En voici le premier chapitre traduit, ainsi qu’une vidéo de 14:45 où l’auteur explique, en anglais, la stratégie des hommes violents dans les litiges de droit familial (garde d’enfants, inceste,vol de pensikons alimentaires, etc.) : https://www.youtube.com/watch?v=i4_6GJYYyx8
Source: WHY DOES HE DO THAT? de Lundy Bancroft (chapitre 1 : pp. 43-85 de l’original – https://www.docdroid.net/py03/why-does-he-do-that-pdf )
Chapitre 1 : Le Mystère
ÉCOUTEZ LES VOIX DE CES FEMMES :
« Il a une double personnalité. J’ai l’impression de vivre avec le Dr Jekyll et Mr Hyde.
Il ne veut pas réellement me faire mal. Il perd simplement le contrôle.
Le reste du monde le trouve merveilleux. Je ne sais pas ce qui, chez moi, le fait disjoncter.
Il est correct quand il est sobre. Mais lorsqu’il a bu, attention!
J’ai l’impression que rien de ce que je fais n’arrive à le contenter.
Il m’a fait peur à quelques reprises, mais il ne touche jamais aux enfants. C’est un père formidable.
Il me traite de noms dégoûtants et une heure plus tard, il veut faire l’amour. Je n’y comprends rien.
Il me joue dans la tête parfois.
Ce qu’il y a, c’est qu’il sait vraiment comment je fonctionne. »
Pourquoi fait-il cela?
Voilà les mots de femmes qui décrivent leur anxiété et leur conflit interne à propos de leur couple. Chacune d’entre elles sait que quelque chose va mal – très mal – mais elle n’arrive pas à mettre le doigt dessus. Chaque fois qu’elle pense avoir compris le fonctionnement de son partenaire, avoir compris ce qui le trouble, il se passe quelque chose de nouveau, quelque chose change. Les pièces du puzzle refusent de s’agencer.
Chacune de ces femmes tente de faire sens des hauts et des bas d’une relation qui est devenue comme un manège de foire. Écoutons le compte rendu de Christine :
« Lorsque j’ai rencontré Maurice pour la première fois, c’était l’homme dont j’avais rêvé. Cela semblait trop beau pour être vrai. Il était charmant, drôle, intelligent et surtout, il était moi. J’ai pu lui parler franchement de situations difficiles que j’avais vécues depuis quelques années et il a pris ma part au sujet de tout ça. Et il était toujours prêt à faire des choses – tout ce dont j’avais envie, il était d’accord. Notre première année ensemble a été merveilleuse.
Je ne pourrais dire exactement quand les choses ont commencé à changer. Il me semble que c’est à peu près lorsque nous avons aménagé ensemble. Il m’a d’abord dit qu’il avait besoin de plus d’espace. Je ne comprenais pas parce qu’il m’avait toujours semblé que c’était lui voulait toujours qu’on passe tout notre temps ensemble.
Puis il a commencé à me critiquer et à se plaindre plus souvent. Il disait que je parlais trop et que j’étais trop égocentrique. Je le suis peut-être – c’est vrai que je parle beaucoup. Mais au début, j’avais l’impression qu’il ne se fatiguait jamais de m’entendre parler de moi. Puis, il a commencé à dire que je ne faisais rien de ma vie. Je sais qu’il a beaucoup d’ambition et il a peut-être raison de dire que je devrais en avoir plus, mais je suis heureuse de ce que j’ai. Ensuite, il s’en est pris à ma taille. J’ai bientôt eu l’impression de me faire constamment dire que je devais faire plus d’exercice, que je ne surveillais pas assez mon alimentation. A dire vrai, ce sont ces propos-là qui m’ont fait le plus mal. Il donnait l’impression d’avoir de moins en moins souvent envie de faire l’amour et si c’était moi qui faisais les premiers pas, il n’y avait rien à faire.
Nous sommes encore ensemble, mais j’ai le sentiment qu’il va me quitter. Je semble tout simplement incapable de lui offrir ce qu’il veut. J’essaie, mais il croit que non. Et aujourd’hui, lorsqu’il est vraiment en colère ou frustré, il me dit des choses qui me démolissent. Il y a quelques jours, il a dit « Tu n’es qu’une sale paresseuse, qui ne cherche qu’à vivre aux crochets d’un homme, comme ta mère. » Je n’y comprends rien : je contribue pourtant beaucoup aux frais de notre ménage. Même si j’ai cessé de travailler depuis la naissance de notre bébé il y a deux ans, je me prépare à retourner sur le marché du travail. Je ne crois pas qu’il pensait ce qu’il a dit, mais…
Il dit que j’ai beaucoup changé, mais je ne suis pas toujours convaincue que c’est moi. Parfois, pendant quelques jours, il ressemble au gars dont je suis tombé amoureuse et mon espoir renaît; mais ensuite il retombe dans son insatisfaction à mon égard. C’est comme si je le faisais disjoncter d’une façon ou d’une autre, mais je ne sais pas ce que je fais d’incorrect. »
Christine est troublée par plusieurs questions. Qu’est-il arrivé à l’homme qu’elle a tant aimé? Pourquoi la dénigre-t-il constamment? Que peut-elle faire pour mettre fin à ses explosions? Pourquoi pense-t-elle que c’est elle qui a changé?
D’autres femmes témoignent de situations très différentes de celle de Christine mais ressentent autant de confusion. Écoutons le récit de Barbara :
« François est plutôt réservé et timide. Mais il est super chou et je me suis amouraché de lui dès le premier jour où je l’ai vu. J’ai vraiment dû aller le chercher; il était difficile d’accès. Il nous arrivait de sortir et d’avoir des conversations fantastiques, et j’avais très hâte de le revoir. Mais trois semaines pouvaient s’écouler sans que j’aie de ses nouvelles; il me disait avoir été malade, ou que sa sœur était en ville, n’importe quel prétexte. À quelques reprises, il a même oublié nos rendez-vous.
Il s’est finalement ouvert à moi, pour me dire qu’il avait connu une expérience très pénible. On lui avait beaucoup joué dans le dos et des femmes lui avaient fait des choses assez méchantes. Il avait maintenant peur de l’intimité.
Il s’est réchauffé petit à petit, mais c’était vraiment moi qui prenais l’initiative. J’ai essayé de lui démontrer que je n’étais pas comme ses partenaires précédentes. Je ne flirte pas. Je ne fais pas étalage de mon corps à d’autres hommes. Ce n’est tout simplement pas mon style. Mais François ne voulait pas me croire. Il prétendait toujours que je faisais de l’œil à un autre homme assis plus loin ou que je détaillais quelqu’un qui passait devant nous. Cela me faisait de la peine pour lui de le sentir aussi insécure. Sa mère a trompé son père quand il était jeune, et j’imagine que cela ne l’a pas aidé.
J’avais hâte de me marier parce que j’imaginais que cela contribuerait à le rendre plus assuré que j’étais bien à lui, mais il hésitait beaucoup à s’engager. Lorsque nous nous sommes finalement épousés, il s’est montré plus confiant au début, puis sa jalousie a refait surface et elle dure depuis. Cela fait des années que je lui suggère de temps à autre d’aller consulter un thérapeute mais il se met alors très en colère et affirme qu’il n’a rien d’anormal.
Il y a quelques jours, nous avons été invités pour l’anniversaire d’un de ses amis et j’ai eu une conversation très intéressante avec le frère de cet ami. On ne faisait que parler, vraiment, le gars n’a même pas belle apparence. Et bien voilà que François voulait soudainement rentrer à la maison, disant qu’il avait très mal à la tête. Durant le trajet de retour, j’ai découvert que la vraie raison était qu’il était jaloux. Il s’est mis à me crier après, disant qu’il en avait assez de se voir humilié par moi devant les gens, de me voir « m’exhiber », etc. etc. Il donnait des coups de poing sur le tableau de bord et il m’a poussée à deux ou trois reprises contre la porte. À chaque fois que je disais que ce n’était pas vrai, il explosait de nouveau, alors j’ai cessé de le dire. Nos enfants étaient assis sur le siège arrière et cette scène les a terrifiés.
À mon âge, il est difficile d’imaginer le quitter. Cela semble tellement dur de tout reprendre à zéro. J’aimerais simplement qu’il aille chercher de l’aide. »
Barbara est aux prises avec des problèmes différents de ceux de Christine. Pourquoi François est-il incapable de lui faire confiance et pourquoi l’isole-t-il des autres? Pourquoi semble-t-il incapable de voir qu’il a un problème et de chercher de l’aide? Va-t-il la blesser gravement un jour? Sa propre vie pourra-t-elle s’améliorer un jour?
Au premier abord, Maurice et François ne se ressemblent en rien : L’un est jeune, populaire, énergique et impétueux; l’autre est réservé au plan social, passif et facilement blessé. François est parfois physiquement violent; Maurice ne l’est pas. Mais sont-ils aussi différents qu’ils le paraissent? Ou ont-ils, sous la surface, une même gamme de problèmes qui dirigent leurs comportements? Voilà quelques-unes des questions auxquelles nous trouverons des réponses dans les prochains chapitres.
Écoutons un dernier compte rendu, celui de Laure :
« Paul est un type fantastique. Nous nous sommes fréquentés durant six mois et maintenant nous vivons ensemble depuis plusieurs mois. Nous sommes fiancés. J’ai tellement de sympathie pour lui : son ex-femme l’a accusé d’avoir abusé d’elle et c’est une pure menterie. Il a commis une erreur, le fait de la tromper, et elle est déterminée à la lui faire payer. Elle ne recule devant rien. Elle va même aujourd’hui jusqu’à dire qu’il a été violent, en prétendant qu’il l’a giflée à quelques reprises et a brisé des objets lui appartenant. C’est ridicule! Cela fait plus d’un an que je suis avec lui et je peux vous assurer qu’il n’est absolument pas comme cela. Paul n’a jamais élevé la main contre moi. En fait, il a essayé de m’aider à mieux organiser ma vie et il a vraiment été une ressource pour moi. J’étais en piteux état quand je l’ai rencontré. J’étais déprimée et je buvais trop, mais je vais beaucoup mieux maintenant, grâce à lui. Je hais cette salope de l’accuser ainsi. Nous allons travailler ensemble lui et moi pour obtenir la garde des enfants parce que cette femme est un danger public. »
Laure se demande comment l’ex-femme de Paul peut accuser de violence un homme aussi merveilleux. Elle est tellement en colère qu’elle ne remarque pas plusieurs signaux de danger dans sa relation avec Paul.
Si Christine, Barbara et Laure prenaient le temps de comparer leurs vies, elles décideraient peut-être que leurs conjoints n’ont vraiment rien en commun. Leurs personnalités semblent différer en tous points, et leurs relations empruntent des voies très différentes. Pourtant Maurice, François et Paul ont beaucoup plus en commun qu’il ne paraît. Leurs sautes d’humeur, leurs excuses, leur perspective jaillissent toutes de la même source. Et ce sont tous les trois des agresseurs.
La tragédie de la violence conjugale
La violence faite aux femmes dans le cadre de relations intimes touche un nombre incalculable de vies. Même en laissant de côté les situations de violence purement verbale ou mentale pour n’examiner que les agressions physiques, les statistiques sont terrifiantes : de 2 à 4 millions de femmes sont agressées chaque année par leur partenaire aux USA. Le Chef des services de santé des États-Unis a évalué que les attaques par les partenaires masculins sont la principale cause de blessures subies par les femmes de 15 à 44 ans. L’American Medical Association signale qu’une femme sur trois sera victime de la violence d’un partenaire ou d’un mari au cours de sa vie. Les répercussions affectives de la violence conjugale sont un facteur dans plus du quart des tentatives de suicide des femmes et sont une des principales causes de toxicomanie chez les femmes adultes. Les statistiques gouvernementales indiquent que de 1 500 à 2 000 femmes sont tuées chaque année aux USA par un partenaire ou un ex-partenaire, soit plus du tiers de l’ensemble des victimes féminines de meurtre, et que ces meurtres sont presque toujours l’aboutissement d’un long historique de violence, de menaces et de harcèlement criminel.
La violence faite aux femmes a également des répercussions dans la vie des enfants. Les spécialistes évaluent à cinq millions par année le nombre d’enfants états-uniens qui voient leur mère être agressée, une expérience qui peut les laisser traumatisés. Les enfants exposés à la violence domestique présentent des taux supérieurs de troubles de comportement et d’attention à l’école, d’agression, de toxicomanie, de dépression et de beaucoup d’autres indicateurs de détresse infantile. La violence faite aux femmes a été reconnue comme la cause d’environ un tiers des divorces chez les couples ayant des enfants et de la moitié des divorces où la garde des enfants est contestée.
Si alarmant que soit ce portrait, nous savons également que les agressions physiques ne sont qu’une partie des violences que peuvent vivre les femmes. Il y a des millions d’autres femmes qui n’ont jamais été battues mais qui vivent des agressions verbales répétées, de l’humiliation, de la contrainte sexuelle et d’autres formes de violence psychologique, qui s’accompagnent souvent d’exploitation économique. La cruauté mentale peut laisser des cicatrices aussi profondes et durables que les blessures de coups de poing ou de gifles, même si elles sont moins évidentes. En fait, même chez les femmes qui ont subi la violence physique d’un partenaire, plus de la moitié témoignent que la violence affective de l’homme est ce qui leur a fait le plus de tort.
Les différences entre l’auteur de violences verbales et le batteur de femme ne sont pas aussi marquées que ce que les gens croient. Le comportement de chacun de ces agresseurs procède des mêmes racines et est motivé par la même logique. Les hommes de ces deux catégories passent par le même processus de changement pour surmonter leurs tendances abusives – s’ils changent, ce qui est malheureusement assez rare. De plus, on voit souvent la distinction s’effacer : les auteurs de violences physiques agressent aussi leurs victimes verbalement. Les hommes qui pratiquent la cruauté mentale et la manipulation passent graduellement aussi à l’intimidation physique. Vous découvrirez dans ce livre toute une gamme d’hommes, allant de ceux qui n’ont jamais recours à la violence à ceux dont le comportement terrifie. Vous éprouverez sans doute de la surprise à constater tout ce que ces hommes ont en commun.
Une des entraves à reconnaître la maltraitance chronique dans les relations tient au fait que la plupart des hommes agresseurs ne ressemblent tout simplement pas à des hommes violents. Ils présentent beaucoup de qualités enviables, y compris des moments de tendresse, de générosité et d’humour, surtout au début d’une relation. Les amis d’un agresseur peuvent penser le plus grand bien de lui. Il peut avoir du succès dans son travail et ne consommer ni drogues, ni alcool. Il se peut qu’il ne corresponde tout simplement pas à l’image que se font les gens d’une personne cruelle ou intimidante. Donc, lorsqu’une femme a l’impression que son couple est en train de s’effondrer, il est peu probable qu’elle pense que c’est parce que son partenaire est peut-être un agresseur.
Pourtant, les symptômes de la violence sont là et la femme les voit habituellement : les critiques de plus en plus fréquentes, la générosité du début qui tourne de plus en plus à l’égoïsme, les explosions verbales lorsqu’il est irrité ou n’obtient pas ce qu’il veut. Ses griefs sont constamment tournés contre elle, comme si tout était de sa faute. Il se comporte de plus en plus comme s’il savait mieux qu’elle ce qui est bon pour elle. Et, dans beaucoup de couples, la femme éprouve un sentiment croissant de crainte ou d’intimidation. Mais elle voit aussi que son partenaire est un être humain qui peut parfois être attentionné et affectueux, et elle l’aime. Elle tient à comprendre pourquoi il se fâche autant, pour l’aider à sortir de ce pattern de montagnes russes. Elle se voit attirée dans les dédales de son monde à lui, cherchant des indices, déplaçant des pièces dans l’espoir de résoudre un difficile puzzle.
Les changements d’humeur de l’agresseur la laissent particulièrement perplexe. Il peut être une personne entièrement différente d’un jour à l’autre, ou même d’heure en heure. Parfois il est agressif et intimidant, la voix cassante, proférant des insultes et des sarcasmes. Lorsqu’il est dans ce mode, rien de ce qu’elle dit ne semble avoir d’effet sur lui, sinon de le rendre encore plus agressif. Ses arguments à elle n’ont aucun poids à ses yeux à lui: tout est de sa faute à elle. Il déforme ce qu’elle dit, la mettant sur la défensive. Et comme me l’ont dit un si grand nombre des partenaires de mes clients, «C’est comme si je n’étais bonne à rien.»
À d’autres moments, il semble blessé et perdu, affamé d’amour et en quête de quelqu’un pour prendre soin de lui. Lorsque cette facette de sa personnalité émerge, il semble ouvert et prêt à guérir. Il semble avoir baissé sa garde, sa rigidité extérieure s’efface et il peut ressembler à un enfant blessé, difficile et frustrant mais qu’on a envie d’aimer. En le regardant ainsi abattu, sa partenaire a peine à imaginer que l’agresseur qui est en lui pourrait reprendre le dessus. La bête qu’il devient à d’autres moments semble n’avoir aucun lien avec l’être tendre qu’elle voit maintenant devant elle.
Mais tôt ou tard, sa part d’ombre le reprend, comme si elle avait une vie autonome. Des semaines de paix ont pu s’écouler, mais elle se retrouve une fois de plus assiégée. Elle se torture alors l’esprit pour tenter de démêler les multiples facettes de son partenaire, jusqu’à en venir à se demander si ce n’est pas elle qui a un problème.
Et, ce qui n’arrange pas les choses, tout le monde à qui elle parle a une opinion différente de la nature de son problème à lui et de ce qu’elle est censée faire à son sujet. Son curé lui dira peut-être, « L’amour conquiert toutes les difficultés. Consacrez-lui tout votre cœur et il trouvera la Grâce divine. » Son thérapeute parle un autre langage, par exemple, « Il suscite de fortes réactions en vous parce qu’il vous rappelle votre père, et vous déclenchez chez lui des problèmes dans sa relation avec sa mère. Vous devez travailler tous les deux à ne pas vous provoquer l’un l’autre. » Une amie alcoolique en rétablissement lui dit, « Il est accro à la colère. Il te contrôle parce que ses propres peurs le terrifient. Il faut que tu le convainques de s’inscrire à un programme en douze étapes. » Son frère lui dira peut-être, « C’est un bon gars. Je sais qu’il perd parfois le contrôle avec toi – c’est vrai qu’il est irritable – mais tu n’es pas toujours un cadeau avec ta langue bien pendue. Il faut que vous trouviez une solution ensemble, pour le bien des enfants. » Enfin, pour ajouter à sa confusion croissante, elle peut entendre sa mère, l’institutrice de ses enfants ou sa meilleure amie lui dire : « Il est méchant et fou et il ne changera jamais. Tout ce qu’il veut, c’est de te faire du mal. Quitte-le maintenant avant qu’il fasse pire encore. »
Toutes ces personnes essaient de l’aider et elles parlent toutes du même homme violent. Mais aucune d’entre elles ne le voit de la même façon.
Du fait de vivre avec l’agresseur, la femme sait qu’il n’y a pas de réponses simples. Des amies lui disent, « Il est méchant ». Mais elle sait les nombreuses façons dont il lui a fait du bien. D’autres disent : « Il te traite comme cela parce qu’il sait qu’il peut le faire. Moi, je ne me laisserais jamais traiter de cette façon. » Mais elle sait que c’est lorsqu’elle lui tient tête avec le plus de fermeté qu’il se montre le plus colérique et intimidant. Lorsqu’elle ne se laisse pas faire, il le lui fait payer, tôt ou tard. Des proches lui disent, « Quitte-le. » Mais elle sait que les choses ne se feront pas aussi facilement. Il va promettre de changer. Il amènera des amies et des parents à le prendre en pitié et à exercer des pressions sur elle pour qu’elle lui accorde une autre chance. Il va devenir gravement déprimé, l’amenant à s’inquiéter de lui. Et, selon le genre d’homme violent qu’il est, elle peut savoir qu’il va devenir encore plus dangereux lorsqu’elle tentera de partir. Elle peut même avoir peur qu’il tente de lui enlever ses enfants, comme le font certains agresseurs.
Comment une femme violentée peut-elle se faire un portrait clair dans une telle confusion? Comment peut-elle trouver suffisamment de repères quant aux causes du problème de son conjoint pour décider quelle voie choisir? Elle fait face à certaines questions urgentes.
Cinq dilemmes
Les spécialistes de l’intervention auprès des hommes violents et contrôlants ont dû faire face aux mêmes questions dans leur travail. J’ai été codirecteur du tout premier programme de counseling pour hommes agresseurs aux États-Unis – et peut-être au monde. Lorsque j’ai commencé à offrir de tels programmes aux agresseurs il y a quinze ans, ceux-ci étaient tout aussi mystérieux pour moi que pour les femmes avec qui ils vivaient. Mes collègues et moi avons dû assembler un portrait à partir des mêmes indices étranges que Christine, Barbara et Laure. Plusieurs thèmes communs revenaient sans cesse nous confronter dans les récits de nos clients, dont ceux-ci :
Sa version à lui de la violence est complètement différente de la sienne à elle.
Daniel, un homme dans la trentaine, nous a fait le compte rendu suivant lorsqu’il s’est inscrit à notre groupe d’agresseurs :
« Ma femme Sandy et moi sommes ensemble depuis onze ans. Durant les premiers dix ans, nous avions un bon mariage et il n’y a jamais eu de problème, d’abus, de violence ou autre. C’était une fille fantastique. Puis, il y a environ un an, elle a commencé à se tenir avec cette salope d’Éléonore qui ne peut pas me pifer. Il y a des gens qui ne peuvent pas tolérer le bonheur des autres. Cette fille était célibataire et évidemment jalouse du mariage de Sandy; elle a donc décidé d’y mettre fin. Personne n’arrive à s’entendre avec Éléonore et, bien sûr, ses couples à elle ne durent jamais. J’ai tout simplement eu la malchance qu’elle rencontre ma femme.
Cette salope a donc commencé à mettre dans la tête de Sandy toutes sortes de critiques à mon sujet, et à la tourner contre moi. Elle dit à Sandy que je ne prends pas soin d’elle, que je couche avec d’autres filles, toutes sortes de menteries. Et elle obtient ce qu’elle veut parce que maintenant, Sandy et moi avons commencé à avoir de terribles disputes. Nous ne nous entendons pas du tout depuis un an. Je dis à Sandy que je ne veux pas qu’elle voie cette fille et elle ne m’écoute pas. Elle cache son jeu et la voit dans mon dos. Et je ne veux rien vous cacher, je vais vous dire très franchement qu’à deux ou trois reprises cette année, j’ai craqué face à toutes ces accusations et ces cris et je lui ai donné quelques bonnes gifles. J’ai besoin d’aide. Je ne le nie pas. J’ai besoin d’apprendre à mieux contrôler mon stress. Je ne veux pas qu’elle me fasse arrêter. Je peux peut-être encore convaincre Sandy de ne pas mettre fin à une belle relation, parce qu’au train où vont les choses, nous ne serons plus ensemble dans six mois. »
J’ai pour politique de toujours interviewer la partenaire de chacun de mes clients aussitôt que possible après l’enrôlement de celui-ci au programme. J’ai rejoint Sandy par téléphone plusieurs jours plus tard et j’ai noté son propre compte rendu :
« Daniel était fantastique au début de nos fréquentations mais lorsque nous nous sommes mariés, quelque chose n’allait déjà plus. Il était passé du sentiment que j’étais parfaite au fait de me critiquer constamment et il devenait de très mauvaise humeur pour la moindre des choses. Je n’arrivais jamais à trouver comment le ramener à de meilleurs sentiments. Il m’a poussée pour la première fois quelques mois seulement après nos noces, et des explosions ont continué à deux ou trois reprises par année. Habituellement, il brisait quelque chose ou me montrait le poing, mais à quelques reprises, il m’a poussée ou giflée. Il y a eu des années où il n’a rien fait de tout ça et je croyais que cela n’arriverait plus, mais voilà que ça recommençait, cela arrivait comme des vagues. Et il ne cessait jamais, jamais de me dénigrer et de me dire quoi faire. Rien de ce que je faisais ne trouvait grâce à ses yeux.
De toute façon, il y a un an, je me suis fait une nouvelle amie, Éléonore. Elle a commencé à me dire que le comportement de Daniel était de la violence, même s’il ne m’avait jamais donné de coup de poing ou blessée, et que je n’avais rien fait pour mériter cela. Au début, je trouvais qu’elle exagérait, parce que j’ai connu des femmes qui en ont bavé pas mal plus que moi. Et Daniel peut se montrer vraiment gentil et attentionné au moment où on s’y attend le moins. Croyez-le ou non, nous avons vécu beaucoup de bon temps ensemble. En tout cas, Éléonore m’a pas mal ouvert les yeux. Alors j’ai commencé à tenir tête à Daniel au sujet de la façon dont il me parlait et je lui ai dit que je pensais à déménager quelque temps. Et ce qui est arrivé, c’est qu’il est devenu comme fou. Je vous assure que quelque chose a changé en lui. En huit mois, il m’a giflée deux fois du revers de la main; une autre fois, il m’a jetée par-dessus une chaise et le dos m’a décroché. J’ai donc fini par déménager. Je ne prévois pas retourner vivre avec lui pour le moment, mais j’imagine que cela dépend de s’il réussira au programme pour hommes violents. »
Remarquez le contraste entre ces récits. Daniel décrit les dix premières années de son mariage comme exemptes de violence, alors que Sandy se souvient d’un dénigrement et même d’agressions physiques durant ces années. Sandy dit qu’Éléonore l’aide et l’appuie, alors que Daniel voit celle-ci comme une corruptrice de Sandy qui la tourne contre lui. Daniel affirme qu’elle et lui sont encore ensemble alors qu’elle mentionne qu’ils sont déjà séparés. Chacun croit que l’autre a contracté un problème. Comment leurs perceptions peuvent-elles être si opposées? Au cours des prochains chapitres, nous allons explorer le mode de pensée des agresseurs pour tenter d’expliquer les graves distorsions du point de vue de Daniel.
Il devient fou de jalousie mais à d’autres moments, il semble complètement rationnel.
Lors d’une session de groupe, un jeune client nommé Marcel nous a décrit une confrontation avec sa partenaire survenue la semaine précédente :
« Ma femme et moi avions convenu de nous rencontrer à l’heure du lunch dans le hall d’entrée de l’édifice où elle travaille. J’attendais près des ascenseurs et lorsqu’elle en est sortie, j’ai vu qu’elle y avait été seule avec un type assez beau. Il avait un certain regard et elle aussi. Je ne pourrais réellement le décrire, mais je savais qu’il y avait quelque chose dans l’air. Je lui ai dit « Veux-tu bien me dire qu’est-ce que tu faisais là? », et elle a fait semblant de ne pas savoir ce dont je parlais. Cela m’a vraiment irrité et je pense bien que j’ai sauté les plombs. J’ai sans doute parlé un peu plus fort que je n’aurais dû. Mais j’étais en colère. Je lui ai dit : « Tu baisais avec ce type dans l’ascenseur, n’est-ce pas? N’essaie pas de me mentir, salope, je ne suis pas idiot. » Mais elle continuait à jouer les innocentes, disant qu’elle ne le connaissait même pas, ce qui est complètement faux. »
Marcel était extrêmement jaloux mas j’avais travaillé avec lui suffisamment longtemps pour savoir qu’il n’était pas fou. Il était lucide et logique dans le groupe, avait des antécédents de travail stables et des amitiés normales; il ne donnait aucun indice de vivre dans un monde de fantasmes et d’hallucinations. Il ne présentait vraiment aucun symptôme du genre de maladie mentale grave qui pourrait convaincre un homme que sa femme a des rapports sexuels dans un ascenseur, toute habillée, debout, entre les étages d’un immeuble à bureaux très achalandé. Marcel devait donc savoir que son accusation ne tenait pas. Et lorsque je l’ai confronté, il l’a admis.
Puisque même les agresseurs les plus jaloux ont une bonne maîtrise de la réalité, pourquoi lancent-ils des accusations en apparence aussi délirantes? Y a-t-il quelque chose qui leur plaît dans le fait de mimer la folie? Qu’est-ce que ce comportement leur rapporte? (Je réponds à ces questions au chapitre 3, où nous nous penchons sur le problème de la possessivité.)
Il réussit à amener les gens à prendre sa part contre elle.
Hervé a presque trente ans et s’est joint à mon groupe d’agresseurs tout en suivant une thérapie individuelle. Il m’a dit dès le premier jour qu’il se demandait s’il avait ou non un problème mais que sa compagne de longue date Ginette se préparait à rompre avec lui parce qu’elle le considérait comme un homme violent. Il a continué et décrivant des incidents où il avait insulté ou ignoré Ginette ou lui avait délibérément fait de la peine « pour lui montrer ce qu’il ressentait lorsqu’elle lui faisait mal ». Il a aussi admis l’avoir parfois humilié devant d’autres personnes, avoir flirté avec des femmes lorsqu’il était en colère contre elle et avoir récemment gâché quelques événements vraiment importants de sa vie en provoquant de gros affrontements. Il justifiait tous ces comportements au nom des façons dont il se disait blessé par elle.
Dans ma procédure routinière d’évaluation du cas d’Hervé, j’ai contacté sa thérapeute personnelle afin de comparer nos impressions. Il s’est avéré que cette thérapeute avait des opinions bien tranchées au sujet du cas :
THÉRAPEUTE : Je crois que c’est une grave erreur pour Hervé de s’inscrire à votre programme pour hommes violents. Il manque beaucoup d’estime de soi et croit tout le mal qu’on peut dire de lui. Si vous lui dites qu’il est un agresseur, cela ne servira qu’à le détruire encore plus. Sa partenaire le traite d’agresseur à toute occasion, pour ses propres raisons. Ginette a d’énormes problèmes au niveau du contrôle et elle souffre de névrose obsessionnelle-compulsive. Elle a besoin d’être traitée. Je crois que le fait d’inscrire Hervé à votre programme ne fait que lui donner ce qu’elle veut.
BANCROFT : Donc, vous avez fait du counseling de couple avec eux?
THÉRAPEUTE : Non, je vois Hervé sur une base individuelle.
BANCROFT : À combien de reprises l’avez-vous rencontrée, elle?
THÉRAPEUTE : Elle n’est jamais venue ici.
BANCROFT : Alors, vous devez avoir eu de longues conversations téléphoniques avec elle?
THÉRAPEUTE : Non, je ne lui ai jamais parlé.
BANCROFT : Vous ne lui avez jamais parlé? Vous avez assigné à Ginette un diagnostic clinique sur la seule base des descriptions qu’Hervé fait d’elle?
THÉRAPEUTE : Oui, mais vous devez comprendre que nous parlons d’un homme particulièrement lucide. Hervé m’a donné beaucoup de détails et il se montre perspicace et sensible.
BANCROFT : Pourtant il reconnaît exercer contre elle une violence psychologique grave, même s’il ne l’appelle pas ainsi. Un agresseur n’est pas une source fiable d’information au sujet de sa partenaire.
Ce qu’Hervé tirait de sa thérapie individuelle, c’était, malheureusement, un appui officiel à son déni et à sa perspective qui faisait de Ginette une malade mentale. Comment avait-il façonné l’opinion que se faisait sa thérapeute de sa partenaire pour amener celle-ci à cette attitude? Comment les agresseurs peuvent-ils être aussi habiles à recruter ainsi des allié-s, y compris des personnes ayant beaucoup de statut ou d’influence, et pourquoi le font-ils? (Ces questions sont le sujet du Chapitre 11, « Les agresseurs et leurs alliés ».)
À certaines occasions, il semble perdre le contrôle, mais d’autres comportements contrôlants semblent tout à fait délibérés chez lui.
Il y a plusieurs années, un jeune homme nommé Marc s’est présenté à l’un de mes groupes d’agresseurs. Lorsqu’un client se joint au programme, j’établis avec lui aussitôt que possible des objectifs de comportement. Je commence habituellement par lui demander, « Quelles sont les trois ou quatre principaux reproches que te fait ta partenaire? » La réponse de Marc a été :
« Une des choses qu’Hélène me reproche le plus est qu’elle me dit que je la néglige. Elle dit que je ne lui accorde jamais la priorité et que je veux toujours faire autre chose que d’être avec elle, ce qui lui donne l’impression de n’avoir aucune importance. J’aime avoir du temps à moi ou me détendre et écouter la télé. J’imagine que j’ai tendance à faire comme si elle n’était pas là. »
Sur la base de ce qu’il me disait, j’ai écrit près du début de Plan de comportement de Marc : « Passer plus de temps avec Hélène. Lui accorder une priorité plus élevée. »
J’ai éprouvé de la difficulté à rejoindre Hélène, mais après trois semaines, elle m’a finalement téléphoné avec un récit étonnant :
« Quelques semaines avant que Marc entame votre programme, je lui ai dit avoir besoin d’une interruption totale de la relation. Je n’en pouvais tout simplement plus, de ses cris et de son égoïsme. Il ne me laissait même pas dormir. Alors je ne voulais même plus lui parler pour quelque temps. J’avais besoin de prendre du recul pour me remettre sur pied. Je l’ai rassuré que ce n’en était pas fini de notre couple et que nous allions travailler à renouer dans quelques mois, après une pause.
Puis, quelques semaines plus tard, il m’a appelée et m’a dit s’être inscrit à un programme pour hommes violents. Il m’a dit que son conseiller voulait qu’il passe plus de temps avec moi et qu’il avait écrit cela sur sa feuille de route et que le programme lui disait que d’être avec moi faisait partie de la façon dont il devait chercher à résoudre ses problèmes. Je n’étais pas du tout prête à cela, mais en même temps je ne voulais pas nuire à son programme. J’ai donc recommencé à le voir. Je veux faire tout ce qui peut contribuer à son évolution. À dire la vérité, j’aurais apprécié un peu plus de temps de séparation, mais si c’est ce que recommande votre programme… »
Marc avait réussi à détourner le programme à ses propres fins. J’ai expliqué à Hélène ce qui s’était produit et je me suis excusé de la façon dont mon programme s’était ajouté aux nombreuses difficultés qu’elle éprouvait déjà avec Marc. Le niveau élevé de manipulation dont il avait fait usage n’est malheureusement pas inhabituel chez les hommes violents. Comment les agresseurs peuvent-ils être capables de tels calculs alors qu’à d’autres moments, ils semblent perdre la carte à tel point? Comment réconcilier ces attitudes? On en trouve l’explication au chapitre 2, où nous examinons les rationalisations dont se servent les hommes violents pour justifier leurs comportements.
Parfois il semble réellement changer, mais cela tend à disparaître
Carl était un homme de vingt-six ans qui avait été arrêté à plusieurs reprises pour violences conjugales et qui avait finalement passé quelques mois en prison. Lors d’une session de groupe, il m’a dit :
« Mon séjour en prison m’a ouvert les yeux. J’ai finalement compris que je devais cesser de blâmer les autres pour mes problèmes et plutôt me regarder en face. Les autres détenus m’ont dit la même chose : Si tu ne veux pas te retrouver ici, ouvres-toi les yeux et prends-toi en main. J’ai un sale tempérament et suis même un peu sadique à vrai dire, et il faut que je règle ça. Je ne veux pas me retrouver en dedans pour une raison ou l’autre. »
À la fin de chaque session, Carl disait des choses comme « Je peux voir que je dois vraiment améliorer mon attitude » et « J’ai appris beaucoup ce soir sur la façon dont des rationalisations m’empêchent de changer ». Un soir, il m’a regardé et m’a dit « Je suis vraiment heureux de vous avoir rencontré parce que si je n’entendais pas les choses que vous dites, je retournerais certainement derrière les barreaux. Vous m’aidez à garder la tête sur les épaules. »
J’ai contacté la copine de Carl, Peggy, et je lui ai demandé de me parler de l’historique du problème de violence de Carl. J’ai remarqué qu’elle semblait distraite et mal à l’aise. Soupçonnant fortement que Carl écoutait notre conversation, j’ai trouvé un prétexte pour y mettre fin. Mais la fois suivante où Carl est venu à mon groupe, j’ai laissé mon assistant prendre en charge la session et je suis sorti rappeler Peggy, afin de vérifier si elle se sentirait plus libre de s’exprimer. Cette fois, elle m’en a dit beaucoup plus long :
« Carl revient chaque semaine complètement furax de votre programme. Je suis terrifiée d’être à la maison les mercredis soirs. Il dit que de programme est complètement de la merde et qu’il n’aurait pas à se trouver là et se faire insulter par votre bande si je ne l’avais pas dénoncé à la police et que je sais que notre bataille ce soir-là était de ma faute de toute façon. Il dit détester particulièrement ce type qui s’appelle Lundy. Il y a quelques jours, je lui ai dit de cesser me blâmer pour le fait qu’il doit consulter et il m’a jetée contre le cadre de porte et m’a menacée de m’étrangler si je ne me taisais pas. Je devrais faire appel à la police, mais cette fois il prendrait deux ans de prison puisqu’il est en libération conditionnelle, et j’ai peur que ce serait suffisant pour qu’il me tue dès sa libération. »
Peggy a continué en me racontant la série de raclées qu’elle avait subies aux mains de Carl avant son incarcération; des yeux pochés, des meubles brisés, la fois où il lui avait maintenu un couteau sur la gorge. Il l’avait toujours blâmée pour chacune de ces attaques, qu’elle qu’en soit la brutalité ou la gravité des blessures de Peggy.
Après avoir parlé à Peggy, je suis revenu à la session de groupe, où Carl y allait de sa routine habituelle d’exploration personnelle et d’aveux de culpabilité. Je n’ai rien dit, bien sûr; s’il avait su que Peggy m’avait dit la vérité, celle-ci aurait couru un danger extraordinaire. Peu après cette soirée, j’ai signalé à son agent de libération conditionnelle qu’il n’était pas un candidat approprié à notre programme, sans en divulguer la raison véritable.
Carl créait l’illusion d’apprendre beaucoup de choses à chaque session, et ses commentaires suggéraient une réflexion sérieuse sur les enjeux en cause, y compris les effets de sa violence sur sa conjointe. Que se passait-il dans sa tête chaque semaine avant son retour à la maison? Comment un agresseur peut-il manifester une telle conscience de ses émotions et continuer à se comporter de façon aussi destructive? Et comment peut se produire un véritable changement? (Nous reviendrons à ces questions au chapitre 14, « Le processus de changement ».)
CE NE SONT LÀ QUE QUELQUES-UNES des nombreuses questions confondantes auxquelles doit faire face toute personne – la conjointe d’un homme violent, un ami, ou un professionnel – qui cherche des façons efficaces de réagir à des comportements d’agression. J’en suis venu à comprendre, de par mon expérience auprès de plus de deux mille agresseurs, que l’homme violent veut demeurer mystérieux. Pour échapper aux conséquences de son comportement et pour éviter de faire face à son problème, il a besoin de convaincre toutes celles et ceux qui l’entourent – y compris lui-même – que son comportement est illogique. Il a besoin que sa conjointe focalise sur tout sauf les raisons véritables de son comportement. Pour voir l’agresseur tel qu’il est vraiment, il est nécessaire d’écarter couche après couche de confusion, de messages contradictoires, et de tromperie. Comme quiconque éprouve un problème grave, les agresseurs travaillent à maintenir sous cape leur véritable personnalité.
Une des façons dont l’agresseur évite de faire face à sa responsabilité est de vous convaincre que c’est vous qui êtes la cause de son comportement, ou du moins que vous en partagez la responsabilité. Mais la violence n’est pas le produit d’une mauvaise dynamique de couple et vous ne pouvez pas améliorer les choses en transformant votre propre comportement ou en tentant de mieux gérer votre conjoint. La violence est un problème qui revient entièrement à l’être violent.
Par des années d’intervention directe auprès d’agresseurs et de leurs conjointes, j’ai vu les forces réelles qui sous-tendent l’agresseur énigmatique émerger au grand jour, formant un portrait qui en est venu à faire sens pour moi. Les prochaines pages vous familiariseront avec les pièces d’un puzzle que j’ai vu s’assembler graduellement, y compris :
- Pourquoi les agresseurs sont charmants au début des relations de couple mais ne le restent pas longtemps
- Quels sont les premier signes qui peuvent vous avertir que vous êtes avec un homme agresseur ou contrôlant.
- Pourquoi ses humeurs changent en un tournemain.
- Ce qui se passe dans son esprit et comment ses pensées causent ses comportements.
- Quel rôle jouent – et ne jouent pas – l’alcool et les drogues dans la violence d’un conjoint.
- Pourquoi le fait de quitter un conjoint violent ne suffit pas toujours à résoudre le problème.
- Comment savoir si un agresseur change réellement – et que faire s’il ne le fait pas.
- Comment des proches, des parents et d’autres membres de la communauté peuvent contribuer à faire cesser la violence.
- Pourquoi beaucoup d’hommes violents semblent être malades mentaux – et pourquoi ils ne le sont habituellement pas.
Nous allons explorer sur trois niveaux des réponses à ces questions. Le premier de ces niveaux est la pensée de l’agresseur – ses attitudes et ses convictions – dans ses interactions quotidiennes. Le second niveau est son processus d’apprentissage, la façon dont sa pensée a commencé à se développer dès sa jeunesse. Et le troisième comprend les bénéfices qu’il tire du contrôle de sa conjointe, des bénéfices qui l’encouragent à recourir encore et encore su comportement violent. À mesure que nous dissiperons l’écran de fumée de l’homme violent en comprenant ces facteurs, vous découvrirez que la violence s’avère beaucoup moins mystérieuse qu’elle ne le semble au premier abord.
On trouve dans l’esprit de l’agresseur tout un monde de croyances, de perceptions et de réactions qui s’assemblent de façon étonnamment logique. Son comportement est sensé. Une façade d’irrationalité et de réactions explosives cache un être humain ayant un problème compréhensible – et résoluble. Mais il ne veut pas que vous compreniez cela.
L’agresseur suscite la confusion par nécessité. La seule façon dont il peut vous contrôler et vous intimider, recruter son entourage à prendre son parti, et continuer à échapper aux conséquences de ses actes, c’est de détourner l’attention de tout le monde. Quand le monde comprend la stratégie de l’agresseur, son pouvoir commence à s’estomper. Nous allons donc aller regarder derrière le masque de l’agresseur, au cœur même de son problème. Cet itinéraire est essentiel à la santé et au bien-être des femmes violentées et de leurs enfants car lorsque vous saisissez comment fonctionne l’esprit de votre conjoint, vous pouvez commencer à reprendre le contrôle de votre vie. Démasquer l’agresseur est aussi une façon de lui rendre service parce qu’il ne va pas affronter – et surmonter – son problème hautement destructif tant qu’il peut demeurer masqué. Plus nous comprendrons les agresseurs, plus nous pourrons créer des maisons et des relations qui seront des havres d’amour et de sécurité, comme elles devraient l’être. La paix commence réellement à domicile.
TRADUCTION: TRADFEM
La version originale de tout ce livre est accessible sans frais au https://www.docdroid.net/py03/why-does-he-do-that.pdf
TRADFEM a aussi publié les chapitres 2 et 15 de ce livre (hyperliens ci-dessous). Nous poursuivons la traduction de cet ouvrage et lui cherchons un éditeur en France.
Vos commentaires inscrits ci-dessous nous seront très utiles.
Bonjour, je souhaiterais poursuivre la traduction de ce livre pour en proposer une version complète pour les francophones, seriez vous d’accord pour que j’intègre les chapitres que vous avez déjà traduits, avec votre nom et référence à votre page?
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Oui bien sur. Bonne traduction ! L’auteur nous y encourage. Avez-vous une maison d’édition en perspective ?
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J’ai également commencé une traduction complète du livre (ça avance doucement) mais je n’ai pas réussi à joindre l’auteur pour pouvoir publier le produit final. Je compterai mettre cette traduction en libre accès sur un blog mais sans autorisation de l’auteur je risque des poursuites légales. Un conseil ?
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Nous avons communiqué ave Lundy Bancroft il y a quelques années et il nous a autorisé-e-s et encouragé-e-s à traduire ses textes.
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Bonjour, je suis en train de traduire son texte « Talking man to man about sexism », je vous mettrai le lien en commentaire quand il sera prêt. C’est super de voir son bouquin faire l’objet d’une traduction en français, car son analyse des mécaniques de la violence masculine est particulièrement percutante et édifiante.
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parfait !! avez-vous un site ou un blog de prévu pour le mettre en ligne ?
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