Ce texte va être publié en anglais dans l’édition d’octobre du magazine Harper’s.
TRADUCTION:
Nos institutions culturelles sont confrontées à un moment éprouvant. De puissantes manifestations en faveur de la justice raciale et sociale débouchent sur des demandes de réforme de la police qui n’ont que trop tardé, ainsi que sur des appels plus larges en faveur d’une plus grande égalité et d’une meilleure intégration dans notre société, notamment dans l’enseignement supérieur, le journalisme, la philanthropie et les arts. Mais cette prise en compte nécessaire a également intensifié un nouvel ensemble d’attitudes morales et d’engagements politiques qui tendent à affaiblir nos normes de débat ouvert et de tolérance des différences au profit d’une conformité idéologique. Alors que nous applaudissons la première tendance, nous élevons également nos voix contre la seconde. Les forces de l’illibéralisme gagnent du terrain partout dans le monde et ont un puissant allié en la personne de Donald Trump, qui représente une réelle menace pour la démocratie. Mais il ne faut pas laisser la résistance s’endurcir en une sorte de dogme ou de coercition – que les démagogues de droite exploitent déjà. L’inclusion démocratique que nous voulons ne peut être réalisée que si nous nous prononçons contre le climat d’intolérance qui s’est installé de tous côtés.
Le libre échange d’information et d’idées, qui est le moteur d’une société libérale, devient chaque jour plus restreint. Si nous nous y attendons de la part de la droite radicale, l’esprit de censure se répand également plus largement dans notre culture : une intolérance des opinions opposées, une tendance à manier la honte et l’ostracisme publics, et la tendance à dissoudre des questions politiques complexes dans une certitude morale aveuglante. Nous défendons la valeur d’un contre-discours solide et même caustique de toutes parts. Mais il n’est que trop fréquent aujourd’hui d’entendre des appels à des représailles rapides et sévères en réponse à des transgressions perçues de la parole et de la pensée. Plus troublant encore, les dirigeants institutionnels, dans un esprit de panique pour limiter les dégâts, infligent des punitions hâtives et disproportionnées au lieu d’envisager des réformes. Des éditeurs sont licenciés pour avoir publié des articles controversés, des livres sont retirés pour leur prétendue inauthenticité, des journalistes se voient interdire d’écrire sur certains sujets, des professeurs font l’objet d’une enquête pour avoir cité des œuvres littéraires en classe, un chercheur est licencié pour avoir fait circuler une étude universitaire évaluée par ses pairs et des responsables d’organisations se voient évincer pour ce qui sont parfois de simples erreurs de maladresse. Quels que soient les arguments qui entourent chaque incident particulier, le résultat a été de réduire constamment les limites de ce qui peut être dit sans la menace de représailles. Nous en payons déjà le prix par une aversion accrue pour le risque parmi les écrivains, les artistes et les journalistes qui craignent pour leur gagne-pain s’ils et elles s’écartent du consensus, ou même s’ils ne font pas preuve d’un zèle suffisant pour s’entendre.
Cette atmosphère étouffante finira par nuire aux causes les plus cruciales de notre époque. La restriction du débat, qu’elle soit le fait d’un gouvernement répressif ou d’une société intolérante, nuit invariablement à ceux qui manquent de pouvoir et réduit la capacité de chacun-e de participer à la vie démocratique. La façon de défaire les mauvaises idées est de les exposer, d’argumenter et de persuader, et non d’essayer de les réduire au silence ou de souhaiter qu’elles disparaissent. Nous refusons tout choix factice entre la justice et la liberté, qui ne peuvent exister l’une sans l’autre. En tant qu’écrivains, nous avons besoin d’une culture qui nous laisse de la place pour l’expérimentation, la prise de risques et même les erreurs. Nous devons préserver la possibilité d’un désaccord de bonne foi sans conséquences professionnelles désastreuses. Si nous ne défendons pas la valeur même dont dépend notre travail, nous ne devrions pas attendre du public ou de l’État qu’il la défende à notre place.
Elliot Ackerman Saladin Ambar, Rutgers University Martin Amis Anne Applebaum Marie Arana, author Margaret Atwood John Banville Mia Bay, historian Louis Begley, writer Roger Berkowitz, Bard College Paul Berman, writer Sheri Berman, Barnard College Reginald Dwayne Betts, poet Neil Blair, agent David W. Blight, Yale University Jennifer Finney Boylan, author David Bromwich David Brooks, columnist Ian Buruma, Bard College Lea Carpenter Noam Chomsky, MIT (emeritus) Nicholas A. Christakis, Yale University Roger Cohen, writer Ambassador Frances D. Cook, ret. Drucilla Cornell, Founder, uBuntu Project Kamel Daoud Meghan Daum, writer Gerald Early, Washington University-St. Louis Jeffrey Eugenides, writer Dexter Filkins Federico Finchelstein, The New School Caitlin Flanagan Richard T. Ford, Stanford Law School Kmele Foster David Frum, journalist Francis Fukuyama, Stanford University Atul Gawande, Harvard University Todd Gitlin, Columbia University Kim Ghattas Malcolm Gladwell Michelle Goldberg, columnist Rebecca Goldstein, writer Anthony Grafton, Princeton University David Greenberg, Rutgers University Linda Greenhouse Rinne B. Groff, playwright Sarah Haider, activist Jonathan Haidt, NYU-Stern Roya Hakakian, writer Shadi Hamid, Brookings Institution Jeet Heer, The Nation Katie Herzog, podcast host Susannah Heschel, Dartmouth College Adam Hochschild, author Arlie Russell Hochschild, author Eva Hoffman, writer Coleman Hughes, writer/Manhattan Institute Hussein Ibish, Arab Gulf States Institute Michael Ignatieff Zaid Jilani, journalist Bill T. Jones, New York Live Arts Wendy Kaminer, writer Matthew Karp, Princeton University Garry Kasparov, Renew Democracy Initiative Daniel Kehlmann, writer Randall Kennedy Khaled Khalifa, writer Parag Khanna, author Laura Kipnis, Northwestern University Frances Kissling, Center for Health, Ethics, Social Policy Enrique Krauze, historian Anthony Kronman, Yale University Joy Ladin, Yeshiva University Nicholas Lemann, Columbia University Mark Lilla, Columbia University Susie Linfield, New York University Damon Linker, writer Dahlia Lithwick, Slate Steven Lukes, New York University John R. MacArthur, publisher, writer |
Susan Madrak, writer Phoebe Maltz Bovy, writer Greil Marcus Wynton Marsalis, Jazz at Lincoln Center Kati Marton, author Debra Mashek, scholar Deirdre McCloskey, University of Illinois at Chicago John McWhorter, Columbia University Uday Mehta, City University of New York Andrew Moravcsik, Princeton University Yascha Mounk, Persuasion Samuel Moyn, Yale University Meera Nanda, writer and teacher Cary Nelson, University of Illinois at Urbana-Champaign Olivia Nuzzi, New York Magazine Mark Oppenheimer, Yale University Dael Orlandersmith, writer/performer George Packer Nell Irvin Painter, Princeton University (emerita) Greg Pardlo, Rutgers University – Camden Orlando Patterson, Harvard University Steven Pinker, Harvard University Letty Cottin Pogrebin Katha Pollitt, writer Claire Bond Potter, The New School Taufiq Rahim, New America Foundation Zia Haider Rahman, writer Jennifer Ratner-Rosenhagen, University of Wisconsin Jonathan Rauch, Brookings Institution/The Atlantic Neil Roberts, political theorist Melvin Rogers, Brown University Kat Rosenfield, writer Loretta J. Ross, Smith College J.K. Rowling Salman Rushdie, New York University Karim Sadjadpour, Carnegie Endowment Daryl Michael Scott, Howard University Diana Senechal, teacher and writer Jennifer Senior, columnist Judith Shulevitz, writer Jesse Singal, journalist Anne-Marie Slaughter Andrew Solomon, writer Deborah Solomon, critic and biographer Allison Stanger, Middlebury College Paul Starr, American Prospect/Princeton University Wendell Steavenson, writer Gloria Steinem, writer and activist Nadine Strossen, New York Law School Ronald S. Sullivan Jr., Harvard Law School Kian Tajbakhsh, Columbia University Zephyr Teachout, Fordham University Cynthia Tucker, University of South Alabama Adaner Usmani, Harvard University Chloe Valdary Lucía Martínez Valdivia, Reed College Helen Vendler, Harvard University Judy B. Walzer Michael Walzer Eric K. Washington, historian Caroline Weber, historian Randi Weingarten, American Federation of Teachers Bari Weiss Sean Wilentz, Princeton University Garry Wills Thomas Chatterton Williams, writer Robert F. Worth, journalist and author Molly Worthen, University of North Carolina at Chapel Hill Matthew Yglesias Emily Yoffe, journalist Cathy Young, journalist Fareed Zakaria |
Les institutions d’appartenance des signataires ne figurent ici qu’à des fins d’identification.