L’objectification sexuelle des femmes les conduit à s’objectifier elles-mêmes et nuit à leur bien-être émotionnel

par Peter Koval, Elise Holland et Michelle Stratemeyer, publié dans The Conversation, le 23 juillet 2019

Que ressent une femme quand un homme la siffle de l’autre côté d’une rue ? Ou lorsqu’un collègue de travail mate rapidement son corps avant de la regarder dans les yeux ?

Ces exemples peuvent sembler relativement innocents à certains, mais nos recherches ont montré que ces comportements peuvent avoir des conséquences négatives pour le bien-être émotionnel des femmes.

Nous avons demandé à des femmes de noter tout incident d’objectification sexuelle sur une application pour portable, en plus de noter leurs sentiments plusieurs fois par jour pendant une semaine.

Lorsque les femmes vivaient des expériences d’objectification sexuelle, cela les amenait dans bien des cas à examiner minutieusement leur apparence physique, ce qui avait un impact négatif sur leur bien-être émotionnel.

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Un cycle d’objectification

Le processus par lequel l’objectification sexuelle est psychologiquement nuisible aux femmes a été décrit pour la première fois par les psychologues Barbara Fredrickson et Tomi-Ann Roberts au milieu des années 1990.

Selon cette théorie, lorsque les femmes sont traitées comme des objets, elles voient momentanément leur propre corps du point de vue de la personne qui les objectifie. En retour, elles deviennent plus préoccupées de leur apparence physique et de leur valeur sexuelle aux yeux des autres.

Ce processus d’« auto-objectification » amène les femmes à éprouver des sentiments désagréables comme la honte et l’anxiété. S’il se répète, il peut éventuellement entraîner des préjudices psychologiques à long terme.

Malgré des centaines d’études sur la psychologie de l’objectification sexuelle, des preuves convaincantes du processus décrit par Fredrickson et Roberts ont fait défaut jusqu’à présent.

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Lire aussi : Explication : que signifie le « regard masculin » et qu’en est-il d’un regard féminin ?

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Nous croyons que notre étude, menée avec des collègues aux États-Unis, est la première à démontrer que lorsque les femmes sont exposées à des événements sexuellement objectifiants dans leur vie quotidienne, elles deviennent plus préoccupées de leur apparence physique.

Cela conduit à un surcroît d’émotions négatives comme l’anxiété, la colère, la gêne et la honte.

Notre recherche

Nous avons demandé à 268 femmes de 18 à 46 ans de Melbourne et de St Louis (aux États-Unis) d’installer une nouvelle application sur leur téléphone portable.

Plusieurs fois par jour, l’application les a invitées à évaluer leurs émotions, à indiquer leur degré de préoccupation quant à leur apparence physique (une mesure de l’auto-objectification) et à préciser si elles avaient récemment été ciblées par un comportement d’objectification sexuelle, ou si elles avaient été témoins d’un tel traitement d’autres femmes.

L’utilisation de téléphones intelligents pour monitorer les expériences féminines quotidiennes d’objectification sexuelle présente plusieurs avantages par rapport aux autres approches utilisées dans la plupart des recherches antérieures sur l’objectification.

Bas de vignette : Nous avons demandé à des femmes de documenter durant une semaine tout incident d’objectification sexuelle dans une application pour téléphone intelligent. Image : shutterstock.com

D’abord, nous pouvons être sûrs d’avoir saisi des exemples « réels » d’objectivation sexuelle plutôt que des scénarios artificiels qui ne représentent peut-être pas la vie en dehors du laboratoire.

Deuxièmement, au lieu de nous fier à des souvenirs potentiellement peu fiables d’événements et de sentiments passés, enregistrés dans des enquêtes ou des journaux, le recours à des sondages fréquents par téléphone intelligent nous permet de recueillir des comptes rendus plus précis « en temps réel » de l’objectification sexuelle.

Enfin, l’échantillonnage répété des expériences quotidiennes des femmes nous a permis d’observer les processus psychologiques déclenchés par l’objectification sexuelle.

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Ce que nous avons appris

Plus de 65 % des femmes de notre étude ont été personnellement ciblées par un comportement d’objectification sexuelle à au moins une reprise pendant la période de suivi. Cela comprenait le fait d’avoir été lorgnée, interpellée ou sifflée.

Nos conclusions sont conformes à la théorie de Fredrickson et Roberts : les femmes se sont dit préoccupées par leur apparence physique environ 40 % plus souvent si elles avaient été récemment ciblées par des comportements d’objectification sexuelle.

Il est important de noter que ces pics momentanés d’auto-objectification ont prédit des augmentations subséquentes d’émotions négatives chez ces femmes, en particulier des sentiments de honte et de gêne.

Même si ces augmentations étaient faibles, elles étaient prévisibles et semblent indirectement causées par l’exposition à des comportements d’objectification sexuelle.

Bas de vignette : Les femmes de notre étude ont été affectées par le fait d’avoir été témoins d’incidents de harcèlement sexuel, ainsi que par le fait d’en avoir vécu elles-mêmes. Image : shutterstock.com

Les femmes peuvent penser à leur apparence indépendamment d’une expérience d’objectification sexuelle. Fait intéressant : nous avons noté que lorsque les femmes s’auto-objectifient, elles se sentent parfois un peu plus heureuses et plus confiantes.

Donc, lorsque des femmes pensent à elles-mêmes de façon objectifiées, elles peuvent ressentir des émotions positives et négatives. Mais l’auto-objectification qui résulte de l’objectification par quelqu’un d’autre semble avoir un impact exclusivement négatif sur les émotions.

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Il est important de noter que dans nos résultats, l’expérience de l’objectification sexuelle en soi n’a pas entraîné directement de hausses des sentiments négatifs des femmes. Les effets néfastes de l’objectification sexuelle sont plutôt apparus lorsqu’elle amenait les femmes à s’auto-objectifier.

Voir d’autres femmes être objectifiées

Nos participantes ont déclaré avoir été témoins de l’objectification d’autres femmes en moyenne quatre fois au cours de la période de suivi d’une semaine.

Le fait d’être témoin de l’objectification d’autres femmes a également été suivi d’une augmentation prévisible (bien que plus faible) de l’auto-objectification, avec des conséquences négatives similaires en aval pour leur bien-être émotionnel.

Tout comme le tabagisme passif est nocif pour les personnes non fumeuses, l’exposition secondaire à l’objectification sexuelle peut réduire le bien-être émotionnel des femmes, même si elles sont rarement ou jamais objectifiées elles-mêmes.

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Dans l’ensemble, notre étude confirme les recherches antérieures montrant que l’objectification sexuelle des femmes demeure relativement courante.

Mais surtout, nous avons montré que ces expériences quotidiennes d’objectification ne sont pas aussi inoffensives qu’elles peuvent paraître. Bien que subtils, les effets émotionnels indirects du traitement objectifiant peuvent s’accumuler au fil du temps et entraîner des dommages psychologiques plus graves pour les femmes.

Cet article est copublié avec Pursuit.

Auteurs

  1. Peter Koval, Universitaire, École des sciences psychologiques de Melbourne, Université de Melbourne
  2. Elise Holland, Chercheure honoraire, Université de Melbourne
  3. Michelle Stratemeyer, Maître de conférences associée, École des sciences psychologiques, Université de Melbourne

Déclaration de divulgation

Peter Koval reçoit des fonds de l’Australian Research Council.

Elise Holland travaille pour Our Watch, la fondation nationale australienne pour la prévention de la violence contre les femmes et leurs enfants.

Michelle Stratemeyer ne travaille pas pour, ne consulte pas, ne possède pas d’actions ou ne reçoit pas de financement de toute entreprise ou organisation qui pourrait bénéficier de cet article, et n’a révélé aucune affiliation pertinente au-delà de sa nomination universitaire.

L’Université de Melbourne fournit un financement à titre de partenaire fondatrice de The Conversation AU.

Nous croyons à la libre circulation de l’information

Republiez nos articles gratuitement, en ligne ou en version imprimée, sous licence Creative Commons.

Version originale : https://theconversation.com/sexually-objectifying-women-leads-women-to-objectify-themselves-and-harms-emotional-well-being-120762

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