par Julie Bindel, Quillette, 14 juin 2019
En sortant de l’université d’Édimbourg la semaine dernière, où je venais de prononcer un discours sur la façon dont les féministes devraient résister à la violence masculine, j’ai été attaquée par une « personne transgenre hurlante » (pour citer la manchette du quotidien The Scotsman). N’eût été trois vigoureux gardes de sécurité qui m’entouraient, j’aurais été battue à coups de poing.

Photo prise par Eleanor Hill à la Vancouver Dyke March du 4 août 2018
J’utilise habituellement des pronoms féminins pour désigner les hommes s’identifiant comme femmes, par mesure de politesse. Mais c’est une politesse que je n’aurai pas pour quelqu’un qui cherche à me blesser physiquement. Il s’agissait d’un homme et en particulier d’un misogyne qui était devenu notoire sous le pseudo Twitter de « TownTattle » (compte supprimé depuis). Il se disait profondément offensé qu’on m’ait permis de parler. C’est pour ça qu’il voulait me frapper : parce que j’étais une femme qui ouvrait la bouche.
L’événement auquel je venais de participer s’intitulait L’avenir des droits des femmes fondés sur le sexe. Il portait sur la menace que font peser sur les espaces et les organisations exclusivement réservés aux femmes certains activistes du genre (gender activists) qui cherchent à faire effacer toute distinction juridique dans le traitement des personnes de sexe masculin et féminin. Au cours de la période précédant l’événement, des transactivistes et leurs alliés, surtout des hommes dits conscientisés (woke dans l’argot populaire), avaient prétendu que ma conférence causerait un préjudice aux étudiants transgenres et que je fomenterais de la haine.
Avant de monter sur scène, les conférencières ont assisté à une séance d’information d’une heure donnée par l’équipe de sécurité de l’université. On nous a dit ce qui se passerait si la scène était prise d’assaut par des manifestants, ou s’il devenait nécessaire de quitter les lieux. Voilà ce que comporte aujourd’hui le fait de défendre publiquement les droits des femmes.
En arrivant sur les lieux, j’ai été accueillie par un groupe de protestataires qui hurlaient des slogans tels que « No TERFS on our turf ». Pour ceux qui sont dans la position enviable de ne pas être affectés par la campagne actuellement menée contre les droits des femmes, l’acronyme « TERF » signifie « féministe radicale transexclusionniste », une insulte misogyne maintenant couramment utilisée contre les femmes qui ne croient pas que les hommes peuvent simplement « s’auto-identifier » comme femmes aux fins, par exemple, d’accéder aux vestiaires des femmes, aux centres de crise pour viol et aux salles d’hôpital réservées aux femmes. Martina Navratilova, l’une des plus grandes héroïnes sportives de tous les temps, a récemment été conspuée par le mouvement anti-« TERF » parce qu’elle a osé critiquer le fait que des transgenres au corps masculin puissent concurrencer des athlètes au corps féminin. Il y a même des pressions pour accepter le bobard selon lequel les transfemmes ont des règles et ont besoin d’examens de frottis cervical.
La raison pour laquelle l’insulte « TERF » est devenue populaire est qu’elle donne aux misogynes un outil pour agresser et punir les féministes sans la stigmatisation associée à des épithètes aussi grossières que « chienne ». Ils peuvent encore prétendre être progressistes et, comme le dit Owen Jones, chroniqueur et « allié des trans » dans la presse britannique, se placer « du bon côté de l’histoire ». Le terme ne s’applique généralement qu’aux femmes, comme moi, dont les idéaux progressistes et féministes ne peuvent être sommairement rejetés comme un symptôme de la haine ou du sectarisme de la droite. Il est révélateur qu’il n’existe pas d’acronyme populaire ou de néologisme équivalent pour décrire les véritables détracteurs des transsexuels, tels que les fondamentalistes religieux et les intolérants homophobes.
L’une des manifestations les plus hideuses de ce mouvement est la popularisation de slogans et de mèmes comme « Punch TERFs », qui présentent la violence envers des femmes comme un passe-temps branché. Et cela a conduit à des incidents physiques de violence misogyne. En 2017, un transactiviste britannique dans la vingtaine, Tara Wolf, a violemment attaqué Maria MacLachlan, âgée de 60 ans, alors qu’elle se rendait à un meeting féministe. L’une des partisanes de Wolf, à qui Madame MacLachlan a demandé si elle trouvait normal qu’un homme l’ait frappée à coups de poing et de pied, a répondu : « Ce n’est pas un homme. T’es qu’une merde et je suis content qu’iel l’ait frappée. » (En effet, l’une des cartes de visite des extrémistes anti-« TERF » est un souci de protéger mieux les pronoms que les personnes.) Plus tôt cette année-là, des transactivistes avaient pris d’assaut l’ouverture d’une librairie féministe à Vancouver, accusant les organisatrices d’être non seulement des « TERF » mais aussi des « SWERF » (féministes radicales exclusionnaires des travailleurs du sexe) avant de détruire des livres, arracher des affiches et lancer du vin sur les murs. C’est avec tout cela à l’esprit que j’étais sur la défensive lorsque j’ai quitté l’Université d’Édimbourg la semaine dernière en compagnie de la professeure Rosa Freedman, une spécialiste des droits de la personne et ma collègue sur cette tribune. C’est là que j’ai été prise d’assaut par le militant haineux qui m’a hurlé : « T’es une putain de salope, une putain de TERF. »
Mon agresseur, « Town Tattle », était déjà tristement célèbre pour avoir menacé des féministes dans le passé. Pourtant, les journalistes qui couvrent de tels enjeux décrivent avec beaucoup de précaution les transactivistes qui se livrent à des attaques contre les femmes ou encouragent ces agressions. Parfois, ils suggèrent même que ces agresseurs ont été poussés à la violence. Dans mon cas, en fait, une grande partie de la couverture médiatique a porté sur une démission collective du comité LGBT+ de l’université, la veille de ma conférence, en signe de protestation.
« Jonathan MacBride, qui était coprésident du réseau du personnel LGBT+ de l’université jusqu’à la démission de l’ensemble du comité cette semaine, a déploré que l’université ne les ait pas consultés avant d’approuver l’événement », a-t-on pu lire dans un compte rendu. M. MacBride s’est également plaint que l’université n’avait pas « émis de déclaration d’appui de son personnel et des étudiants transgenres ».
Dans une salve particulièrement absurde, MacBride a affirmé qu’« au lieu de nous soutenir, d’appuyer notre position, l’université a choisi de nous censurer ». Oui, il utilise le mot « censurer » pour décrire la décision de permettre à des femmes de parler du féminisme.
En fait, ces activistes avaient passé des semaines à essayer de faire annuler l’événement. « Nous sommes des membres du personnel de l’Université d’Édimbourg et de la communauté étudiante qui sommes préoccupés par la montée de la transphobie sur notre campus », ont déclaré certains dans une pétition. « Nous écrivons cette déclaration pour condamner sans équivoque la transphobie. L’annonce récente d’un événement transphobe sur les droits sexuels des femmes, organisé par la Moray House de l’Université d’Édimbourg le 5 juin, est inacceptable. Nous réclamons l’annulation immédiate de cet événement. » C’est tout à l’honneur de l’université d’avoir rejeté cette exigence, et même d’avoir demandé au personnes à l’origine de la campagne de mettre fin à leurs déclarations potentiellement diffamatoires au sujet des conférencières.
Le site LGBT+ Pink News, qui est souvent tellement misogyne dans ses politiques éditoriales que beaucoup de lesbiennes en parlent comme de Penis News, a diffusé un compte rendu de l’incident avec pour titre : « Julie Bindel a mégenré une transfemme qui, selon elle, l’a “physiquement attaquée”. » On s’est tellement moqué du biais de cette présentation – voir les commentaires sous ce tweet – que les rédacteurs se sont sentis obligés de le modifier pour en faire « La féministe radicale Julie Bindel prétend avoir été agressée physiquement par une transgenre ».
Mais ce n’était pas assez de me marginaliser. Pink News a également tenté de lâcher les chiens sur une députée britannique, Diane Abbott, une Noire qui a été victime de toutes sortes d’attaques racistes et sexistes effroyables en ligne. Quand elle a entendu parler de mon attaque, Abbott m’a tweeté, « Horrible. J’espère que tu es maintenant rétablie. » Cela a apparemment indisposé les rédacteurs de Pink News, qui y ont vu une preuve d’hérésie anti-trans, et ont tweeté – je vous le donne en mille – « Diane Abbott a demandé à Julie Bindel si elle allait bien. »
Pink News est un cas extrême. Mais on a même vu une grande partie des commentaires de la presse grand public et des médias sociaux sur cette question sembler plus soucieux d’éviter toute accusation de transphobie que de rendre compte d’une attaque contre une femme invitée à un événement visant à protéger les droits des femmes. (Une exception notable a été un compte rendu équitable et exact dans The Scotsman.) Sur Twitter, un certain nombre de commentateurs ont célébré le fait que j’avais failli écoper d’une bonne raclée, tout en, paradoxalement, minimisant l’incident parce que je n’avais pas vraiment été brutalisée. L’hypocrisie ici est plutôt évidente, puisque quiconque remet en question l’orthodoxie trans est régulièrement accusée de causer de la « violence réelle » s’il ou elle commet l’un des nombreux crimes contre la rectitude trans, tels que mégenrer quelqu’un ou faire allusion à sa véritable identité (deadnaming). Les personnes qui ont tenté de faire annuler l’événement de l’Université d’Édimbourg m’ont même accusée de « mettre des vies en danger » parce que je fais une distinction entre les transfemmes et les femmes de naissance.
Il y a un siècle, des suffragettes ont été battues et emprisonnées pour avoir fait valoir leurs droits en tant que femmes. Leurs agresseurs étaient des réactionnaires conservateurs qui détestaient l’idée que les femmes soient traitées sur un pied d’égalité. Il est choquant de voir ce même esprit de misogynie renaître sur le marché des idées par la porte dérobée d’une orthodoxie trans pseudo-progressiste. Beaucoup de libéraux, y compris des féministes et des lesbiennes, ont fait preuve de lâcheté en se retenant de dénoncer ce phénomène nocif, de peur d’être étiquetés « transphobes ». Il est temps que nous nous fassions toutes et tous entendre face à cette nouvelle menace pour les femmes.
Julie Bindel est une écrivaine (The Pimping of Prostitution) et militante basée au Royaume-Uni. En 1991, elle a cofondé le groupe Justice for Women, qui fournit une aide juridique aux femmes accusées d’avoir tué des conjoints violents. Elle sera au Canada dans quelques semaines. Suivez-la sur Twitter @bindelj et lisez ses autres textes traduits sur TRADFEM.
Traduction : TRADFEM