Le 29 mars 2019, sur TRIBUNA FEMINISTA.EPLURAL.COM 29/03/2019
AUTRICE : Teresa C. Ulloa Ziáurriz
Directrice de la Coalition régionale contre la traite des femmes et des filles en Amérique latine et dans les Caraïbes, AC (CATWLAC).
Depuis l’adoption du Protocole de Palerme en 2000, d’innombrables interprétations du sens de la traite des personnes ont été publiées, et bon nombre de ces interprétations erronées persistent dans les lois nationales contre la traite.
Et depuis lors, un certain nombre d’organisations internationales telles que l’Organisation internationale du Travail (OIT), le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP), l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), ONUSIDA, des organisations philanthropiques telles que les Open Societies fondées et présidées par le millionnaire George Soros, la McArthur Foundation, le Fondation Ford, etc., et des ONG telles qu’Amnesty International, Human Rights Watch, Free the Slaves et bien d’autres ont insisté, malgré les statistiques de l’UNODC, pour affirmer que la traite impliquait plus de victimes de travail forcé que de victimes d’exploitation sexuelle.
La vérité est que, d’une manière générale, ceux qui maintiennent cette position défendent également le prétendu « travail du sexe », et il est également vrai que les victimes d’exploitation sexuelle présentent des séquelles plus graves et plus difficiles à surmonter que celles de victimes du travail forcé et de la servitude. Il est clair que ces torts sont directement liés au sexe de la victime et au contexte dans lequel ils se sont développés.
Ce que l’on n’a pas compris, c’est qu’au bout du compte, la traite d’êtres humains est le mécanisme qui approvisionne le marché de l’exploitation; c’est pourquoi le Protocole de Palerme lui-même reconnaît que la traite est définie par le recrutement, le transport, le transfert, l’accueil et la réception d’une personne à des fins d’exploitation. Cela signifie que la traite prend fin dès que débute le type d’exploitation auquel la victime va être soumise et que l’on peut parler de traite même s’il n’y a pas eu d’exploitation, mais uniquement son intention.
La situation est si grave que l’OIT elle-même a encouragé l’Alliance 8.7 à appeler les gouvernements, les dirigeants syndicaux, les chefs d’entreprise, les organisations de la société civile et les organisations confessionnelles, le monde universitaire et les autres parties prenantes à un dialogue interactif visant à explorer les causes profondes du travail forcé, de l’esclavage moderne, de la traite des êtres humains et du travail des enfants, ainsi que les moyens de combattre ces phénomènes, dans le cadre du Programme 2030. C’est la même agence des Nations Unies qui a produit il y a quelques années un rapport intitulé « Le troisième secteur ou le secteur du divertissement », constitué des femmes en situation de prostitution; c’est aussi l’organisme des Nations Unies qui a reconnu la prostitution des enfants comme l’une des pires formes de « travail » des enfants.
Alors que les grands médias accréditent périodiquement le mythe que le « travail du sexe » n’est pas de la traite, ces enjeux sont refoulés sous le tapis, renforçant le mythe patriarcal selon lequel la prostitution est un moyen facile de gagner beaucoup d’argent. À ce jour, je n’ai jamais rencontré une seule prostituée riche. Ce déni culturel vise à stigmatiser les victimes de la traite et de l’exploitation sexuelle, ce qui entraîne généralement de la discrimination et de la violence à leur égard. Pire encore, on voit aujourd’hui une revendication abolitionniste de dépénalisation des femmes en situation de prostitution être transformée en revendication de décriminalisation totale de l’industrie du sexe; oui, celle des femmes en situation de prostitution, mais aussi celle des trafiquants et souteneurs, sous prétexte que cette décriminalisation totale créera des conditions de sécurité et d’autonomisation accrues des femmes contre leurs exploiteurs et facilitera l’identification des victimes de la traite. Pourtant, cela ne s’est pas produit tel que promis aux Pays-Bas, en Allemagne ou en Nouvelle-Zélande.
Dans ses écrits, le Programme des Nations unies pour le développement fait la différence entre le « travail du sexe » et la traite à des fins sexuelles, affirmant que l’on ne peut parler de traite qu’en cas d’absence de consentement, de contrainte ou de tromperie, ou lorsqu’elle implique une fille, un garçon ou un·e adolescent·e. Quant à moi, je ne peux m’expliquer pourquoi des agences des Nations Unies dérogent ainsi aux traités des droits de l’homme dans leurs programmes et leurs positions.
De plus, ce que nous ne pouvons pas nier, c’est qu’il existe aujourd’hui de nombreuses fondations et organisations philanthropiques qui se sont engagées à financer des groupes de « travailleuses du sexe », lesquels ont grandi sous la protection de milliardaires comme George Soros ou du Fonds des Nations Unies contre le sida (ONUSIDA). Ces groupes se développent et sont maintenant plus organisés, à tel point qu’ils ont acquis un rôle important auprès des Nations Unies et de ses agences, ainsi qu’auprès du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) lors de l’élaboration de la Recommandation générale sur la traite des femmes et des filles dans le contexte des migrations mondiales. Cette recommandation générale sur l’article 6 obligera, nous l’espérons, les États parties à « prendre toutes les mesures appropriées, y compris une législation, pour supprimer toutes les formes de traite des femmes et d’exploitation de la prostitution des femmes »[†]. Il est entendu que l’objectif de la présente Recommandation générale devrait être de fournir des orientations aux États parties à la Convention sur les mesures à prendre pour garantir le respect de leur obligation de respecter, protéger et réaliser les droits humains des femmes et des filles.
En essayant de briser les stéréotypes qui réduisent les femmes et les filles à des marchandises qui peuvent être achetées, vendues, louées, payées ou enlevées par la tromperie ou par la force, ces crimes représentent un vaste défi pour le système pénal patriarcal, en raison du problème d’extraterritorialité et des éléments de consentement et de violence dans une situation de vulnérabilité, et en raison du manque de droits légaux à protéger et de la difficulté de mettre l’identité des victimes à l’abri de toute divulgation.
Le même défi se pose pour cette recommandation générale à l’étude par le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, dans la mesure où:
-
Personne ne peut consentir à sa propre exploitation.
-
Il s’agit de crimes qui, de par leur nature, incluent le facteur d’extraterritorialité, à savoir le lieu d’origine, le lieu de transit et le lieu de destination. C’est pourquoi la recommandation devrait inclure que tout État partie devrait être habilité à poursuivre ces crimes.
-
Lors de l’élaboration de la recommandation, le Comité de la CEDAW devrait garder à l’espritque la dignité, la vie, l’intégrité et la sécurité sont des biens juridiques indisponibles, c’est-à-dire que le consentement ne peut être utilisé comme moyen de défense, car ces biens sont inhérents aux personnes et inalié
-
Il faut également tenir compte du fait que, dans les pays du Sud, la majorité des victimes sont démunies ou vivent dans l’extrême pauvreté, dans l’exclusion sociale et dans l’absence de possibilités ou qu’elles ont subi des agressions sexuelles alors qu’elles étaient filles et ont perdu leur valeur sur le marché du mariage. Cela signifie qu’en raison de leurs antécédents ou de leur contexte de vie, elles se trouvent dans une situation vulnérable et sont facilement capturées par les réseaux de traite et de prostitution. De nombreuses jeunes femmes indiennes vivant au Mexique, au Pérou, en Équateur, en Bolivie, au Brésil et dans d’autres pays deviennent des conjointes et des mères adolescentes qui sont emmenées à la frontière ou dans des lieux où la demande de prostituées est plus forte. La plupart des victimes mexicaines sauvées à New York sont d’origine indienne.
-
De même, il faut tenir compte, selon la définition même de l’article 3 du Protocole de Palerme, que le crime de traite des personnes est le moyen d’approvisionner les marchés nationaux et internationaux du sexe tarifé et que la prostitution est la forme d’exploitation visée par l’article 6 de la CEDAW.
-
Enfin, le Comité de la CEDAW doit tenir compte des différentes formes de contrôle de la vie et de la sexualité des femmes et des filles qu’impliquent la prostitution et d’autres formes d’exploitation sexuelle, telles que la toxicomanie, le fait d’utiliser les filles et les fils de femmes prostituées pour les maintenir sous le contrôle de leurs souteneurs, ainsi que le fait d’être soumises, avant leur exploitation, à une période que nous appelons de conditionnement, où elles subissent des viols particulièrement brutaux, des traitements cruels, inhumains et dégradants et que leur nom, leur identité et leur apparence sont modifiées.
La migration n’est pas la même chose que la traite des femmes et des filles, mais elle ne manque pas d’accroître leur vulnérabilité lorsque celles-ci voyagent dans des conditions de migration irrégulière. Le Comité ne peut en aucun cas accepter que des femmes migrent à des fins d’exploitation sexuelle, car cela est contraire aux dispositions de l’article 6 de la CEDAW. En tout état de cause, cela s’applique également pour les femmes déplacées par le crime organisé, les conflits armés internes et les catastrophes naturelles ou, comme dans de nombreux pays d’Amérique latine, par le contrôle des réseaux de crime organisé implantés sur le territoire des États parties, comme au Mexique, au Honduras et en Colombie, pour ne citer que quelques exemples.
Migrer à la recherche de meilleures conditions de vie pour les femmes et leurs enfants est un droit humain, et la traite des femmes est un crime visant à exploiter la prostitution ou d’autres formes d’exploitation sexuelle.
Voilà pourquoi je me suis demandé quels intérêts avaient des organisations philanthropiques à promouvoir et à encourager la reconnaissance de la prostitution en tant que « travail du sexe »?
________________________________________
[*] Directrice de la Coalition régionale contre la traite des femmes et des filles en Amérique latine et dans les Caraïbes (CATWLAC).
[†] Haut-Commissariat, Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes 3 (1979), https://www.ohchr.org/Documents/ProfessionalInterest/cedaw.pdf.
Traduction : TRADFEM