par Janice Turner, THE TIMES, 10 novembre 2018
Quand l’auto-identification l’emporte sur la biologie, les hommes peuvent être des femmes, le blanc peut être noir, et l’âge ne sera plus qu’un chiffre comme un autre.
L’animateur télé néerlandais Émile Ratelband a 69 ans, mais il a l’impression d’être un « jeune Dieu » de 49 ans. Ses médecins reconnaissent qu’il a la constitution d’un homme beaucoup plus jeune.
Ratelband se bat donc devant les tribunaux néerlandais pour changer sa date de naissance légale de 1949 à 1969, afin de pouvoir obtenir une hypothèque, un meilleur emploi et, surtout, attirer davantage de jeunes femmes sur le réseau de rencontres Tinder.
Un homme qui s’identifie comme femme, affirme-t-il, peut obtenir un nouveau certificat de naissance de sexe féminin, alors pourquoi ne pourrait-il pas effacer 20 ans de son âge ?
Un tribunal a fait valoir que cela voudrait dire effacer une partie de la vie de M. Ratelband, mais est-ce si différent des personnes transgenres qui demandent que l’on ne fasse plus aucune mention de leur nom de naissance et de leur enfance ?
« Je suis ce que je dis être » est le slogan du transactivisme moderne. Nous devrions accepter inconditionnellement qu’un homme biologique soit une femme, que cette personne ait conservé ou non ses organes génitaux mâles ou effectivement entamé la moindre transition physique.
La seule condition requise pour son accès aux vestiaires, aux prisons, aux refuges, ou aux sports féminins, ainsi qu’aux bourses d’études ou aux postes réservés afin de contrer l’inégalité entre les sexes, devrait être sa parole.
Et si vous pouvez passer ainsi d’un sexe à l’autre, pourquoi ne pas le faire vers un autre groupe racial ? En Amérique, une femme blanche appelée Rachel Dolezal a été conspuée pour avoir prétendu être Noire.
Peu importe qu’elle affirme avoir des liens étroits avec ses quatre frères et sœurs d’adoption qui sont Noirs ou qu’elle ait lutté contre l’injustice raciale, Dolezal a été traitée comme une vile impostrice.
Plus récemment, Anthony Lennon, un Londonien d’origine blanche irlandaise qui a pris un deuxième prénom nigérian et dirige une compagnie de théâtre noire, a été condamné pour avoir accepté une subvention destinée aux artistes noirs ou appartenant à des minorités ethniques.
Le fait qu’il n’ait jamais caché ses origines, alors que son teint et sa structure osseuse faisaient que la société le « voyait » comme métissé, ne lui a pas épargné la colère de la communauté noire.
Pourtant, il n’y a pas d’argument logique et cohérent expliquant que l’identité ethnique soit fixe alors que le sexe est traité comme fluide.
Certains prétendent que l’appartenance à une ethnie est plus concrète puisqu’elle est héréditaire, mais cet argument fait fi des preuves scientifiques de la différence minime entre les ethnies.
C’est d’ailleurs le terrain idéologique des eugénistes et des architectes de l’apartheid. Et quel niveau d’ascendance donne droit à l’appartenance : la sénatrice américaine Elizabeth Warren est-elle vraiment Amérindienne parce que son test ADN a révélé une ascendance Cherokee ?
La biologie cellulaire apporte plus de soutien à la thèse d’Émile Ratelband selon laquelle quelques humains chanceux sont biologiquement plus jeunes que leur âge.
En attendant, il n’existe aucune preuve scientifique que l’identité sexuelle est innée, ni qu’une transfemme est « née dans le mauvais corps », avec un cerveau « rose » et non pas « bleu ».
Certains soutiennent que l’identité transgenre est « authentique », alors que l’identité transraciale ne l’est pas.
Mais quand l’identité est réduite à des sentiments intérieurs, subjectifs, qui peut affirmer que Rachel Dolezal ressent le fait d’être Noire moins profondément que Caitlyn Jenner, par exemple, ressent la féminité ?
La philosophe féministe Rebecca Tuvel, dans un essai sur le transracialisme pour lequel elle s’est fait quasiment lyncher — comme on pouvait s’y attendre —, a soutenu que le changement d’identité se fait en deux étapes.
Tout d’abord, dans la façon dont la personne se voit ; deuxièmement, selon que la société vous accorde l’adhésion à part entière au groupe visé, avec tous les privilèges qui s’y rattachent.
Un non-juif qui ressent une grande allégeance envers la communauté juive devrait bien entendu être autorisé à suivre des cours de religion, mais un rabbin devrait également conserver le pouvoir de refuser sa conversion s’il le juge insuffisamment sincère.
Nous avons tous de multiples aspects de notre identité qui transcendent les circonstances de base de notre naissance.
Un ami Noir est un musicien classique et chef d’orchestre talentueux, même si des parents lui ont demandé, lorsqu’il était enfant : « Pourquoi joues-tu de la musique blanche ? »
Le DJ Tim Westwood, fils d’un évêque blanc, a soutenu la musique de rue noire pendant toute sa carrière.
Il y a des gens qui changent de religion ou de nationalité, ou qui se sentent exceptionnellement touchés par une culture, par des nourritures ou par une langue étrangères.
À moins que vous n’adhériez au concept pitoyable et trompeur de l’appropriation culturelle, le fait de vous donner une identité à partir de sources diverses est l’une des joies profondes de la vie.
Mais seules les personnes qui font la transition vers le sexe opposé estiment avoir droit à une adhésion automatique et à part entière.
Leur justification n’est pas basées sur la science ni sur quelque critère objectif, mais sur l’obscure idéologie postmoderne.
L’universitaire américaine Judith Butler a soutenu que le genre est une « performance » : vous êtes une femme parce que vous jouez le rôle d’une femme.
Le sexe biologique lui-même ne serait pas réel, mais une simple construction sociale. Ce raisonnement a gagné les campus libéraux occidentaux, jusqu’à devenir la norme dominante dans la sphère politique.
C’est la source de la conviction que les transfemmes devraient être considérées comme des femmes, non seulement au plan juridique, mais aussi au plan biologique.
Les théories de Butler sont maintenant devenues un tel dogme qu’affirmer qu’il existe deux sexes humains ou que le pénis est un organe masculin est maintenant tenu pour un discours haineux. (Et en écrivant cela, je m’expose au pire.)
À travers l’histoire, des gens se sont identifiés au sexe opposé, se sont travestis et ont subverti les rôles du genre.
Mais dans le Gender Recognition Act adopté au Royaume-Uni en 2004, les personnes transgenres ont été accréditées à part entière. Quiconque ayant obtenu un diagnostic de dysphorie de genre pouvait au bout de deux ans demander un nouvel acte de naissance.
Personne ne pensait qu’une personne transgenre pouvait réellement changer de sexe. Il s’agissait plutôt d’une fiction juridique visant à protéger, à juste titre, la vie privée d’un petit groupe vulnérable à toute exposition ou chantage.
Mais pendant ces 14 dernières années, la théorie butlérienne a pris le dessus. Désormais, les transactivistes exigent que toute personne qui se dit femme soit de ce fait en droit de recevoir un document attestant qu’elle est née biologiquement femme.
Il n’y a aucune raison logique pour qu’une telle pensée magique ne soit pas étendue à d’autres identités protégées par la législation sur l’égalité. Par exemple, pourquoi les personnes handicapées devraient-elles prouver leur statut au moyen de tests médicaux rigoureux ? Et pourquoi l’âge d’Émile Ratelband serait-il un chiffre inamovible alors que, dans son for intérieur, il se sent beaucoup plus jeune ?
Une politique inconditionnelle et incontrôlée basée sur l’axiome « Je suis ce que je dis être » devrait s’appliquer à tout le monde ou alors à personne.
Version originale : https://www.thetimes.co.uk/…/if-identity-politics-win-a-man…
Traduction : TRADFEM
Janice Turner est une journaliste primée du TIMES de Londres, qui a consacré plusieurs reportages aux enjeux actuels entourant l’identité sexuelle. On peut lire d’autres textes d’elle traduits sur le portail TRADFEM.