Lettre ouverte à mon ami qui pense que les transfemmes sont des femmes

par Tanith Lloyd

Je t’ai récemment envoyé un article d’une lesbienne qui a travaillé à documenter l’homophobie au sein du militantisme trans. Toi, mon ami compatissant, patient et chaleureux, tu as répondu en m’écrivant : « Désolé, pas intéressé. » Tu m’as dit que tu ne voulais pas lire un texte appelant les transfemmes « des hommes ». Tu as dit que les transfemmes souffrent d’un « accident de naissance » – que ce sont des femmes « nées dans le mauvais corps ».

Voir que mon ami*, quelqu’un qui a des principes (et qui est un étudiant brillant doté d’un master) adopte délibérément une position aussi bizarre, antimatérialiste et anti-scientifique me préoccupe vraiment. Comment peut-on être « né dans le mauvais corps » ? On est son corps. Le concept d’être « né dans le mauvais corps » va au-delà des idées post-structuralistes sur le genre, pour échouer sur un terrain quasi religieux. Comment quelqu’un pourrait-il avoir une connaissance innée (et précédant tout vécu) de ce que signifie appartenir à l’autre sexe ? Qu’est-ce que cela peut bien impliquer ? Être un homme ou une femme fait référence à notre sexe génésique. Tout autre argument revient à affirmer qu’il existe des âmes sexuées.

Cependant, tu parles d’« identité sexuelle » : un sentiment inné d’être un homme ou une femme. Où se trouve la preuve d’une telle identité ? Comment la mesurer ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Même si l’on acceptait qu’une partie de notre cerveau puisse se trouver « mêlée » à un corps « incorrectement » sexué, pourquoi « l’identité sexuelle » l’emporterait-elle sur tous les autres indicateurs physiques qui définissent que l’on est un homme ou une femme ? Pourquoi notre impression subjective du soi l’emporterait-elle ainsi sur la réalité physique objective ? Le transgenrisme n’est pas un diagnostic médical. La dysphorie sexuelle est une condition psychologique caractérisée par une insatisfaction à l’égard de son corps sexué ou du rôle attribué à sa classe de sexe. L’explication scientifique de la dysphorie sexuelle est peu concluante, mais cette dernière est vraisemblablement causée par différents facteurs bio-psycho-sociaux, qui diffèrent pour chaque personne trans. Il n’a pas été prouvé que la dysphorie sexuelle a une « cause » particulière (p. ex., un « accident de naissance » conduisant à être « né dans le mauvais corps ») – il n’existe aucune norme définissant ce que veut dire « se sentir femme » ou « se sentir homme ».

Malgré cela, on donne actuellement aux enfants qui « s’identifient » à l’autre sexe des inhibiteurs de puberté et des hormones du sexe opposé. La médicalisation systématique des enfants non conformes au genre devrait être une pratique impensable. Les petites filles sont trop jeunes pour comprendre que vouloir avoir les cheveux courts, éprouver un béguin pour d’autres filles ou aimer le football ne font pas d’elles un garçon enfermé dans un corps de fille. Des études semblent indiquer que 80 % des enfants dysphoriques sexuels dépassent ce sentiment et en grandissant deviennent lesbiennes, gais ou bisexuel·le·s. Une des raisons pour lesquelles les lesbiennes plus âgées sont si remontées (et qualifiées de « TERFs ») est le fait de réaliser qu’elles risqueraient facilement d’être orientées vers un « changement de sexe » si leur enfance avait lieu aujourd’hui. Une des raisons pour lesquelles les mères sont si remontées est qu’elles connaissent bien les enfants et leurs humeurs variables.

Nous sommes censées croire simultanément que l’identité sexuelle est fixée autour de quatre ans (ce qui justifierait des interventions médicales sur les enfants), mais aussi que les personnes trans ne sont pas toutes aux prises avec une insatisfaction permanente face à leur « genre » (ce qui a pour effet d’élargir la catégorie « transgenre » au nom de « l’inclusivité »). Comment expliquer ce qu’on appelle maintenant les « identités fluides », « non binaires » ou « asexuées » ? Si le sexe a la possibilité d’être fluide, ou de changer au fil du temps, ou de ne même pas exister, quelle justification avons-nous pour apporter des changements permanents au corps d’un enfant ?

Les féministes voient cette pratique comme étant fondée sur un essentialisme sexuel – un concept que tu reconnais et rejettes habituellement. Que penses-tu du livre de Jazz Jennings, I am Jazz, dont les premières lignes sont « Du plus loin que je me souvienne, ma couleur préférée était le rose » ? L’autrice continue en soutenant, « j’ai un cerveau de fille, mais un corps de garçon. Cela s’appelle être transgenre. » Ce livre est actuellement lu dans des écoles, avec l’objectif d’éduquer les enfants sur ce que signifie être trans.

Le cas de Jazz est intéressant, et il complique certainement les questions entourant le sexe et le genre – dans quelle mesure Jazz peut-elle être considérée comme « un homme » si on n lui a jamais permis de passer par la puberté masculine ? Comment pourrait-on raisonnablement s’attendre à ce que Jazz fréquente des vestiaires masculins ? Il nous faut avoir ces conversations. Mais Jazz représente un cas très rare, alors que l’expression « transgenre » est un terme générique inventé dans les années 90 comme fourre-tout pour divers types de vécu non conformes au genre. Ce qu’on appelait autrefois un « transsexuel » est maintenant appelé « transgenre ». Mais ceux qui étaient autrefois des « travestis » sont aussi appelés « transgenres ». Jazz Jennings et le fantaisiste Eddie Izzard revendiquent tous deux le statut de « femme », parce que le sens du mot « femme » a été étendu à « toute personne qui s’identifie comme femme » (ce qui m’exclut alors, semble-t-il). Où tracer la limite ? Être « trans » n’est plus caractérisé par le constat matériel d’une modification chirurgicale de son corps, mais tient maintenant à un sentiment de soi subjectif et immatériel. Est-ce que Danielle Muscato est une femme ? Qu’en est-il du transactiviste Alex Drummond, affilié à l’organisation StonewallUK ? Là encore, où tracer la limite ? Est-elle basée sur le fait de « passer pour une femme » ? Les femmes doivent-elles avoir une apparence précise ? Qu’en est-il de Jess Bradley, porte-parole trans de la National Union of Students, « suspendue » de son poste pour avoir, apparemment, exhibé en public son pénis en érection ? Est-ce là un crime féminin ? Devons-nous, en tant que société, accepter qu’il soit maintenant possible pour une femme d’exhiber son pénis en érection ? Pour aller plus loin : devons-nous maintenant accepter la possibilité qu’une femme en viole une autre avec son pénis ? Ceci est à tout le moins une énorme attaque contre la solidarité et la confiance des femmes entre elles. C’est peut-être une comparaison grossière, et je m’en excuse, mais pense à d’autres animaux : transplanter chirurgicalement les plumes d’un paon mâle sur un paon femelle rendrait-il cette dernière mâle ? Bien sûr que non. Est-ce que castrer un lion mâle et lui raser la crinière en ferait une lionne ? Bien sûr que non. Alors, pourquoi acceptons-nous qu’une intervention chirurgicale puisse changer le sexe d’êtres humains ?

Cela dit, des organisations comme StonewallUK nous disent que les personnes trans qui ne subissent aucune intervention chirurgicale sont tout de même, à tous les sens du mot, de l’autre sexe. C’est absurde. Quelle définition du mot « femme » inclut le seul sexe qu’elle n’est pas ? Le mammifère femelle se caractérise par la production de gamètes (ovules) qui peuvent être fécondés par des gamètes mâles (spermatozoïdes). Aucune femelle mammifère ne peut féconder des gamètes femelles. Aucun père n’est une femme. Aucun homme n’est une femme. Une femme est un être humain féminin adulte. Il nous faut reconnaître que toute définition est nécessairement exclusive.

Pourtant, en s’efforçant d’être plus « inclusives », des organisations britanniques comme Bloody Good Period et Cancer Research réduisent les femmes à leurs fonctions biologiques en imposant des termes comme, respectivement, « menstruateurs » et « toute personne ayant un col de l’utérus ».  L’utilisation d’expressions aussi réductrices est une déshumanisation claire et nette : les femelles d’autres animaux ont également un col de l’utérus et peuvent avoir des règles. L’acte d’« inclusion » le plus orwellien vient peut-être de l’organisme Healthline, qui dans son matériel d’éducation sexuelle appelle les vagins des « trous avant ». C’est clairement insultant et ridicule. Tu le sais. Pourtant, toute femme qui proteste contre l’effacement du mot « femme » en tant que catégorie significative se voit lancer l’épithète diffamatoire de « TERF ». Des femmes qui déclarent que « les femmes n’ont pas de pénis » font l’objet d’une enquête de police pour crime haineux. C’est une forme ridiculement grotesque d’injustice sexiste. En tant qu’homme de gauche, tu ne peux certainement pas défendre cette position.

Ces nouvelles idées sur le sexe affectent surtout des femmes ayant leurs propres espaces, listes électorales et mouvements. Ces ressources ont été créées non seulement pour promouvoir la solidarité et corriger des désavantages historiques, mais aussi pour les protéger contre la violence des hommes. L’apogée de l’absurde du militantisme genriste est que des délinquants sexuels de sexe masculin sont maintenant logés dans des prisons pour femmes sous prétexte qu’ils « s’identifient » en tant que femmes. Il me semble évident que l’on ne doit pas enfermer des délinquants sexuels avec des femmes privées de moyens de défense, mais, encore une fois, défendre cette position nous vaut d’être traitées de « TERF » (un terme que j’aimerais bien que tu cesses d’utiliser). Cela peut être une vérité désagréable à entendre, mais environ la moitié des prisonniers trans britanniques sont incarcérés pour des crimes sexuels (notamment de viol et de pédophilie). Dire cela n’est pas soutenir que toutes les transfemmes sont sexuellement violentes; c’est simplement souligner que ce chiffre représente plus du double des 19 % de crimes de violences sexuelles chez l’ensemble de la population carcérale. Pourquoi est-ce le cas ? Ce sont des questions que nous devons avoir le droit de poser, parmi beaucoup d’autres questions, dont celle-ci : pourquoi les cliniques d’identité sexuelle voient-elles des augmentations aussi spectaculaires chez les adolescentes souffrant de problèmes de santé mentale et d’autisme ? Pourtant, les événements organisés par des femmes pour discuter de ces questions sont systématiquement attaqués. Défends-tu ces contestations du droit démocratique des femmes à la liberté de parole et d’assemblée ?

Je sais que tu as beaucoup d’ami·e·s trans, dont plusieurs que je connais et j’aime beaucoup, moi aussi. Je comprends que tu les as vu·e·s en baver et que, bien sûr, tu voudrais les défendre. Comme dans toute position féministe, je n’attaque aucun homme en particulier et je ne nie pas leurs difficultés. J’essaie de souligner objectivement certains faits. Quelqu’un m’a dit qu’en adoptant une position critique à l’égard du genre, je considère les personnes transgenres comme étant « soit malades mentales soit immorales » et que c’est cruel et injuste. Je comprends leur point de vue, mais ce n’est pas là ma position. Cela me rappelle l’argument de CS Lewis selon lequel « Jésus était un lunatique, un menteur ou le Seigneur ». Comme CS Lewis, ce militant a oublié une autre possibilité : celle de se tromper tout simplement, et c’est à cette possibilité que je pense. Je crains que beaucoup de jeunes transgenres aient mal interprété leur dysphorie sexuelle comme étant la preuve qu’ils appartiennent littéralement à l’autre sexe. Mais leur dire « Les transfemmes sont des femmes » est une façon d’exprimer de la compassion, et non un reflet de la vérité.
tweet Danielle M

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*L’autrice écrit « my friend » sans préciser le sexe de cette personne.

photo tanithTanith Lloyd se définit comme une femme invalide vivant au Pays de Galles.

 

Version originale : https://medium.com/@tan.ith9/an-open-letter-to-my-friend-who-thinks-transwomen-are-women-491659de2efb

 

Traduction : TRADFEM

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