
Au Canada, Meghan Murphy a témoigné en commission parlementaire des dangers de la notion d' »identité de genre » pour la liberté d’expression et les droits des femmes.
Par Meghan Murphy, éditrice du site Feminist Current, article d’abord publié sur le site UnHerd, le 5 septembre 2018
La tendance croissante chez des jeunes à décider soudainement qu’elles ou ils sont « nés dans le mauvais corps » et doivent « changer de sexe » est vraiment alarmante. Cela signifie que de plus en plus d’enfants sont réorientés vers un trajet de changements de corps et de vie. Les conséquences d’une erreur dans un tel processus ne sauraient être plus graves. Étude après étude indiquent que la majorité des jeunes qui disent souffrir de « dysphorie de genre » ne continuent pas à vivre ce sentiment à l’âge adulte. Pourtant, les agents inhibiteurs de la puberté et les traitements hormonaux administrés aux enfants qualifiés de « trans » se traduisent au bout du compte par une stérilisation permanente. De plus, au fur et à mesure que cette tendance s’installe, les tentatives visant à entraver tout débat public se renforcent également, ce qui est tout aussi inquiétant.
Le mois dernier, une professeure adjointe de l’École de santé publique de la célèbre université étasunienne Brown, Lisa Littman, a publié une étude sur cette « dysphorie sexuelle soudaine » (Rapid-Onset Gender Dysphoria, ou ROGD) de plus en plus observée chez les adolescent-e-s et les jeunes adultes. En sondant ces jeunes et leurs parents, elle a constaté que les accès de « dysphorie de genre » se produisaient dans des groupes d’affinité où plusieurs ami-e-s devenaient dysphoriques de genre à peu près simultanément. En d’autres termes, cela ressemblait à une tendance à laquelle se pliaient ces jeunes.
Les études universitaires et le débat public ne doivent jamais être étroitement déterminés par les gens attachés aux idéologies en question.
Parmi les 256 questionnaires recueillis par Littman auprès des parents de jeunes se disant transgenres, elle a constaté que la grande majorité de ces jeunes étaient de sexe féminin (82,8 %) et que 41 % des répondant-e-s s’étaient dit-e-s non hétérosexuel-le-s avant de s’identifier comme transgenres. De plus, on avait diagnostiqué chez près des deux tiers des répondant-e-s au moins un trouble de santé mentale ou une déficience neuro-développementale avant leur signalement d’une dysphorie de genre.
On pourrait en déduire, sur la base de ces indications, que cette majorité de filles n’étaient pas, en fait, transgenres, mais bien lesbiennes ou aux prises avec des problèmes différents de santé mentale. Et surtout, que ces facteurs doivent être explorés avant de précipiter un « changement de sexe », processus qui implique en fin de compte toute une vie de traitements hormonaux et une série d’interventions chirurgicales complexes.
Ces faits, cependant, sont actuellement jugés indicibles, tabous. Les personnes qui osent remettre en question le concept même d’identité de genre – c’est-à-dire, par exemple, le fait avoir un corps masculin, mais d’être réellement « une femme au-dedans » – sont traitées comme des blasphématrices et des attardées, brutalement harcelées, attaquées et même congédiées de leur emploi.
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Le cas du médecin canadien Kenneth Zucker illustre bien cette intolérance. Sexologue et psychologue, il a dirigé la clinique d’identité de genre du Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH) à Toronto pendant plus de 30 ans, mais a été congédié après que des transactivistes aient mené contre lui une campagne de dénigrement. Le « crime » du Dr Zucker avait été de suggérer que, plutôt que de lancer immédiatement dans le processus de transition des enfants qui pensent avoir une dysphorie de genre, nous devrions peut-être d’abord « aider les enfants à se sentir à l’aise dans leur propre corps ». Zucker ne s’opposait pas personnellement au processus de transition – en cas de persistance de la dysphorie des jeunes auprès desquel-le-s il intervenait, il était prêt à les soutenir dans leur cheminement vers cette transition.
Mais le simple fait de reconnaître la réalité de désistements d’un changement de sexe était apparemment inacceptable. Pourtant, plus de 500 clinicien-ne-s et universitaires ont signé une pétition en appui à Zucker, en faisant valoir que son licenciement était « motivé par des considérations politiques » et que cela devrait « inquiéter toutes les chercheuses et chercheurs cliniques qui travaillent ou envisagent de travailler au CAMH : en cas de conflit avec des activistes inféodés à une cause à la mode, le CAMH pourrait bien les sacrifier – ainsi que les individus et les familles qu’ils et elles aident dans leurs cliniques – pour effectuer un gain politique local, de nature réelle ou imaginaire. » Mais le mal était fait. Le Dr Zucker avait été licencié et sa réputation ternie.
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Les transactivistes détiennent actuellement un pouvoir stupéfiant, non seulement pour contrôler ce qui peut se dire en matière de transgenrisme, mais également pour déterminer les lois, les politiques et même les recherches qui peuvent être menées et publiées à propos de l’identité de genre.
Ce qui nous ramène à l’étude de Littman. Le 22 août, l’Université Brown a publié un communiqué de presse signalant cette étude, publiée dans PLOS ONE, une revue scientifique renommée pourvue d’un comité de lecture. Presque immédiatement, un petit nombre de transactivistes s’en sont plaints auprès de la revue et de l’Université Brown.
Une personne se disant transgenre a qualifié sur Twitter cet article de « discours de haine anti-transgenre ». Une autre, qui se fait appeler « Hailey Heartless » et s’identifie comme « travailleur du sexe » et « dominatrice », a aussi écrit sur Twitter :
« L’autrice de cette étude voulait simplement la voir publiée, elle ne voulait voir personne réviser sa méthodologie erronée ou ses préjugés. Elle est heureuse de blesser dès maintenant un groupe marginalisé, quitte à voir sa crédibilité affectée plus tard. Le département de santé publique de Brown ferait bien de s’en distancier…
… L’article en question comprend des expressions favorites des personnes transphobes (le “sexe observé à la naissance”, par exemple), de sorte qu’il est fort probable que la revue l’a fait relire par quelqu’un de transphobe qui sait exactement ce qu’elle ou il fait. »
Plutôt que de défendre la professeure Littman et son étude, l’Université Brown a réagi en supprimant son communiqué de presse et en publiant la déclaration suivante : « L’École de santé publique a entendu des membres de la communauté de Brown exprimer certaines inquiétudes quant au risque que les conclusions de l’étude puissent être utilisées pour discréditer des efforts de soutien aux jeunes transgenres et pour invalider les points de vue de membres de la communauté transgenre. »
Quant à PLOS ONE, la direction de la revue a publié un commentaire sur l’étude de Littman, expliquant :
« PLOS ONE est consciente des préoccupations de certains lecteurs concernant le contenu et la méthodologie de l’étude. Nous prenons très au sérieux toutes les préoccupations soulevées au sujet des textes publiés dans la revue et leur assurons un suivi conformément à notre politique et aux directives du Committee on Publication Ethics (COPE). Dans le cadre de notre suivi, nous ferons appel à une expertise supplémentaire sur la méthodologie et les analyses de cette étude. Nous publierons une nouvelle mise à jour, une fois terminées notre évaluation et nos discussions. »
Cette réponse est choquante : les plaintes exprimées sont venues d’une minuscule minorité de personnes, dont aucune n’est chercheuse ou scientifique. Les deux individus qui ont amorcé des tentatives pour faire censurer et discréditer les recherches de Littman n’ont aucune expertise particulière à offrir au sujet son étude, au-delà d’être des hommes qui choisissent de s’identifier comme femmes. Ces gens n’ont mené aucune étude scientifique. Ils sont profondément engagés à défendre la notion d’identité de genre et insistent pour affirmer qu’il est possible pour les hommes de devenir littéralement des femmes, sur la seule base d’un énoncé personnel de leurs pronoms de préférence.
Les études universitaires et le débat public ne doivent jamais être étroitement déterminés par les fanatiques des idéologies en question. Aucune idée ne peut être considérée comme intellectuellement saine ou vraie, hors de tout doute, si elle n’est pas soumise à la critique et à une étude et une discussion rigoureuses. Et malgré le fait que les transactivistes affirment avec insistance que l’identité de genre n’est pas une impression mais un fait scientifique, il est clair que ce n’est pas le cas lorsque le concept de genre lui-même reste sujet à débat.
Les féministes, par exemple, considèrent le genre comme l’ensemble des stéréotypes imposés aux personnes à la naissance, en fonction de leur sexe biologique : par exemple, l’idée que les hommes sont sans émotion et aventureux alors que les femmes sont émotionnelles et passives. Ces idées ne déterminent pas notre corps physique. Les transactivistes croient au contraire, comme beaucoup de gens de la droite religieuse, que le genre est immuable (hard-wired) et que ces stéréotypes sont à la fois naturels et innés, étroitement liés au sexe biologique. (Les transactivistes croient même que ces stéréotypes et les sentiments des individus au sujet de leur genre déterminent physiquement leur sexe).
Celles et ceux qui osent remettre en question le concept d’identité de genre lui-même sont traitées comme des blasphématrices et des attardées, harcelées, attaquées et même congédiées.
L’étude de Littman a été soumise à un comité de lecture, révisée en fonction des commentaires des examinateurs, acceptée, et ensuite publiée ; ce qui signifie que cette étude a été jugée crédible et éthique. Cela ne veut pas dire que la recherche doit être gardée à l’abri de toute critique, mais, comme l’a récemment écrit Jeffrey S. Flier, ancien doyen de la Faculté de médecine de Harvard, les critiques dénonçant Littman « n’ont procédé à aucune analyse systématique de ses résultats, mais semblent avoir pour motivation principale une opposition idéologique à ses conclusions ».
Mais, quels que soient les motivations et les gestes de ces critiques, ce qui est plus troublant, c’est la lâcheté dont font preuve une foule de gens dans ce dossier. On voit des politiciens et des législateurs plastronner pour se draper de rectitude politique en créant des lois et des politiques qui souscrivent à la notion d’identité de genre, sans tenir compte des conséquences de son adoption. Les personnes qui s’expriment ou posent des questions au sujet de l’idéologie et de l’activisme qui sous-tendent le mouvement transgenre sont menacées, maltraitées, chassées des tribunes, licenciées et diffamées. Et trop de gens ne font que regarder la situation en silence, de peur d’être eux-mêmes ciblés ou ostracisés.
Nous devrions toutes et tous éprouver une saine terreur à l’idée que ce que nous étudions, débattons et pouvons contester soit déterminé par un petit groupe d’idéologues, dont beaucoup vont jusqu’à préconiser la violence contre celles et ceux qui refusent de leur céder. Indépendamment de notre opinion sur le transgenrisme lui-même, nous voyons toutes et tous, notre droit à la liberté d’expression, à dire la vérité et à penser de manière critique gravement menacés.

Meghan a commencé sa carrière radiophonique en 2007, dans une caravane installée au milieu d’un champ de moutons. Son émission s’appelait « The F Word » et était diffusée à partir d’une toute petite île au large des côtes de la Colombie-Britannique. Elle a pleinement profité de la liberté que lui laissait cette radio pirate : buvant de la bière à l’antenne, lisant des passages d’Andrea Dworkin, et passant du Biggie Smalls. Elle est revenue à Vancouver, où elle a rejoint l’émission de radio elle aussi nommée, coïncidence, « The F Word », qu’elle a produite et animée jusqu’en 2012. Le podcast de Feminist Current est le projet « radio » actuel de Meghan, une façon de communiquer une analyse critique féministe progressiste à quiconque s’y intéresse. Feminist Current est une émission syndiquée à Pacifica Radio et hébergée par le réseau de podcasts Rabble.
Meghan blogue sur le féminisme depuis 2010. Elle n’hésite pas à penser à contre-courant et a été la première à publier une critique des défilés Slutwalk, en 2011. C’est l’une des rares blogueuses populaires à développer en public une critique à la fois féministe radicale et socialiste de l’industrie du sexe. Les critiques adressées par Meghan au #twitterfeminism, à la mode du burlesque, à l’auto-objectivation des selfies, et au féminisme du libre choix lui ont valu une foule d’éloges et d’attaques, mais surtout une reconnaissance comme écrivaine qui n’a pas peur de dire quelque chose de différent, en dépit de ce que le féminisme populaire et les grands médias décrètent comme ligne du parti.
Vous pouvez trouver ses écrits en version originale dans les médias Truthdig, The Globe and Mail, Georgia Straight, Al Jazeera,Ms. Magazine, AlterNet, Herizons, The Tyee, Megaphone Magazine, Good, National Post, Verily Magazine, Ravishly, rabble.ca,xoJane, Vice, The Vancouver Observer et New Statesman. Meghan a également participé à l’anthologie Freedom Fallacy : The Limits of Liberal Feminism.
Elle a été interviewée par Radio-Canada, Sun News, The Big Picture avec Thom Hartmann, BBC Radio 5, et Al Jazeera, ainsi que dans de nombreux autres médias.
Isabelle Alonso a publié une interview d’elle sur son blog.
Vous pouvez la suivre sur Twitter @MeghanEMurphy.
Traduction: TRADFEM avec l’accord de Meghan.
Comme titre, ce serait mieux: « Comment avons-nous laissé un discours haineux redéfinir ;a recherche scientifique? »
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Ça se lirait mieux, c’est vrai, mais il me semble que son argument est que c’est la recherche elle-même qui est qualifiée de propos haineux (« hate speech ») si elle risque de nuire à l’idéologie genriste.
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