L’enjeu de la non-mixité de certains espaces et postes destinés aux femmes est de nos jours violemment remis à l’ordre du jour par les pressions et accusations du mouvement transgenre. Dans une entrevue accordée au blog FeministCurrent.com en 2012, la militante féministe de Vancouver Lee Lakeman revient sur l’affaire qui a été portée devant les tribunaux de cette province en 2007 pour départager les droits et intérêts en cause.
14 MAI 2012 par MEGHAN MURPHY, sur le blog FeministCurrent
Même si l’affaire Nixon c. Rape Relief a été réglée de longue date, en 2007, avec le rejet de la demande en appel de la partie plaignante, à savoir Kimberly Nixon, qui contestait une décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (arrêt selon lequel l’organisation Vancouver Rape Relief avait « le droit de réserver ses formations aux femmes qui n’ont jamais été traitées autrement que comme femmes »), cette affaire continue à susciter la controverse. Pour contrer certaines tentatives de désinformation et accusations de « transphobie », et pour donner à Lee Lakeman l’occasion de répondre à certains points récemment soulevés dans une interview diffusée par le site The F Word avec le militant transgenre Susan Stryker, je lui ai parlé au téléphone la semaine dernière. J’affiche le verbatim et la bande audio de cette interview ci-dessous. (M.M.)
Meghan Murphy : Pouvez-vous me résumer toute cette affaire ?
Lee Lakeman : C’est arrivé il y a environ 15 ans maintenant… Ce qui s’est passé, c’est qu’un transsexuel HtF, Kimberly Nixon, dont nous ne savions pas au départ le statut, s’est présenté à une de nos sessions de formation. C’est une chose facile à faire parce que Vancouver Rape Relief & Women’s Shelter a une politique assez ouverte sur qui peut s’y inscrire : nous avons trois questions basiques ; si vous réussissez ces trois premières questions, qui démontrent essentiellement que vous êtes prête à apprendre, alors vous êtes la bienvenue dans le groupe de formation. Mais à ce moment-là, il y a plusieurs années, il était assez évident pour tout le monde que ces sessions étaient réservées aux femmes.
Donc, quand cette personne s’est présentée au groupe de formation (je n’étais pas là), les trois femmes qui étaient en service l’ont identifiée comme ne vivant pas en tant que femme ou n’ayant pas toujours vécu en tant que femme. L’une d’elles a pris Nixon à part et lui a demandé poliment : « Depuis combien de temps vivez-vous en tant que femme ? » Elle lui a ensuite expliqué que nous avions une conviction partagée selon laquelle les femmes naissent dans des circonstances d’oppression et qu’elles sont façonnées chaque jour de leur vie à compter de leur naissance en étant étiquetées filles et femmes, et donc traitées comme des filles et des femmes, et que c’est l’expérience que nous utilisons toujours pour parler aux victimes de viol et aux femmes agressées lorsqu’elles se présentent chez nous. C’est le socle commun dont nous nous servons pour établir avec elle une relation de paires.
Donc ce que les femmes ont expliqué à Nixon était que Nixon n’avait pas ces expériences et ne pouvait donc pas se joindre au groupe de formation. Le jour suivant, Nixon est allé au Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique et a prétendu avoir subi une discrimination.
MM : Comme vous le savez, certaines personnes, à la suite de cette affaire, ont accusé Vancouver Rape Relief d’être « transphobe » pour reprendre leur vocabulaire. Pouvez-vous commenter cette allégation ?
LL : Je dirais que c’est une accusation simpliste et stupide. Rape Relief a fait partie de ceux et celles qui ont appelé à une législation qui protégerait les personnes transsexuelles et transgenres : elle aurait été heureuse de faire cause commune avec Nixon au sujet d’autres problèmes qui avaient cours. Par exemple, Nixon dit avoir déjà perdu un emploi de pilote d’avion – je ne me souviens pas exactement de pourquoi c’est arrivé, mais c’était certainement lié aux droits des transsexuel·le·s et vous savez, nous aurions été prêtes à soutenir ce combat, comme d’autres luttes en matière de logement, d’emploi – des enjeux de base pour lesquels nous sommes prêtes à nous battre. Ce que nous n’étions pas prêtes à faire, c’était d’accepter que notre groupe doive changer ses critères d’adhésion.
MM : Je sais aussi que beaucoup de gens semblent avoir confondu l’affaire Nixon avec l’idée que les centres de crise pour femmes refuseraient d’aider des transfemmes victimes de viol — que pensez-vous de cela ? Ces problèmes sont-ils liés ?
LL : Non, ils ne le sont pas. Nous avons clairement fait valoir devant les tribunaux que nous acceptions de tels appels, que nous en avions pris par le passé, que nous orientions alors les gens vers les services appropriés chaque fois que nous le pouvions, et que nous avions parfois directement apporté de l’aide aux requérant·e·s, donc qu’il n’y avait aucun problème à cet égard. Un des éléments qu’ignorent beaucoup de gens est que Rape Relief fonctionne en mode collectif, et donc que les femmes qui se présentent pour nous aider ont l’intention de se joindre à notre collective et d’être clairement partie prenante de nos décisions une fois intégrées au groupe, et c’est ce qui était en jeu dans cette situation.
MM : Dans le même ordre d’idées, Susan Stryker, dans son interview avec ma coanimatrice, Nicole Deagan, a déclaré à propos de l’affaire Nixon « ne pas être adepte des espaces séparatistes ». Je me demande si vous pouvez commenter cette affirmation et parler de la valeur des espaces réservés aux femmes? De tels espaces non mixtes sont-ils importants, en particulier dans le contexte du Vancouver Rape Relief & Women’s Shelter ?
LL : Oui, ils sont très importants. Tout le monde n’a pas à être adepte des espaces séparatistes, et vous n’avez pas besoin d’espaces séparatistes pour tout ou pour accomplir toutes sortes de révolte, mais vous avez besoin de travailler en mode séparatiste si vous voulez vous défendre en tant que groupe d’Autochtones, par exemple, qui sont spécifiquement affecté·e·s par une loi. Si vous voulez vous défendre en tant que groupe de femmes, vous devez, à un moment donné, dire « les hommes ne peuvent pas se joindre au groupe » et vous devez, à un moment donné, poser la question : « Même si le sexe et le genre peuvent se situer sur un continuum, où tracez-vous la ligne sur le continuum pour déterminer qui fait partie de votre groupe ? » Vous devez toujours, à un moment donné, décider où est la frontière départageant de la communauté votre groupe et celui pour et avec lequel vous essayez de travailler.
MM : D’après ce que j’ai compris, cette affaire portait vraiment sur la capacité pour Rape Relief à définir qui pouvait en être membre. Quand vous dites que cette question légale touche les Autochtones, est-ce cela que vous voulez dire ?
LL : Depuis notre cause, il y en a eu d’autres où des Autochtones ont utilisé nos arguments juridiques pour défendre leur droit à n’inclure que des Autochtones dans leur organisation. C’est un enjeu très important. Si vous croyez que la classe, la race et le genre sont des catégories cruciales de lutte dans notre société, alors vous devez, à un moment donné, vous demander : est-ce que les gens de la classe ouvrière ont le droit d’exclure les riches de leur groupe quand ils et elles veulent se parler des stratégies à adopter et de comment les mettre en œuvre ? Des personnes racisées sont-elles autorisées à avoir leur propre organisation ? En droit canadien, de tels choix sont autorisés : la loi dit, oui, c’est une discrimination au sens intégral et littéral du mot ; oui, vous décidez qui sera dans votre groupe et vous avez même le droit de dire : mon groupe n’est pas ouvert à n’importe quel Autochtone, il est réservé aux gens de telle bande autochtone et seulement aux personnes impliquées dans tel problème… Vous avez le droit de le faire et vous avez certainement le droit de dire : « Nous ne voulons pas de Blancs dans notre groupe, ou nous ne voulons pas d’hommes dans notre groupe, ou nous ne nous battons pas principalement pour des gens situés ailleurs sur le continuum : nous nous battons pour tel groupe et parce que nous nous battons pour ce groupe désavantagé, déjà nommé comme désavantagé, nous sommes autorisées à prendre ces décisions. »
MM : D’après ce que je comprends, il y a d’autres endroits où des hommes et, en l’occurrence, des personnes transgenres peuvent faire du bénévolat pour Rape Relief, mais pas au titre précis que réclamait Kimberly Nixon ? Est-ce le cas ?
LL : Nous comprenons, depuis longtemps, un groupe mixte — qui opère techniquement séparément de Rape Relief, mais qui demeure un de nos comités. Ce groupe recueille des fonds et travaille en tant que groupe mixte en appui à Rape Relief. Mais au sein du refuge, au sein du service téléphonique d’urgence en cas de viol, à l’intérieur de notre édifice, ce sont seulement des femmes — et ce sont seulement des femmes pour une raison très claire. Nous ne voulions pas que les femmes battues qui arrivent chez nous aient à faire face au problème de devoir décider – parce qu’elles auraient eu à en décider – « Est-ce que cette personne constitue un danger pour moi ? » « Est-ce que cette personne est travestie ? » « Est-ce que cette personne est réelle ? » — et c’est exactement l’alternative à laquelle elles auraient dû faire face.
MM : Et enfin, voici un autre commentaire de Susan Stryker auquel je voulais vous donner l’occasion de répondre : Stryker remettait en question le fait que Vancouver Rape Relief ne laissait pas n’importe qui y faire du bénévolat et se demandait pourquoi Rape Relief « se souciait plus d’exprimer sa politique à l’égard du transgenrisme que de l’effet que pouvait avoir cette politique par des restrictions de services envers d’autres personnes. » Donc, je pense que sa remarque impliquait que Rape Relief avait choisi d’engager un procès et de combattre cette requête au risque de compromettre ses services ?
LL : Eh bien, il y a deux points clés à cet égard. Nous n’avons pas choisi d’aller au tribunal, nous avons été traduites en justice par une plainte en matière de droits de la personne. En fait, nous avons essayé de régler à l’amiable, tenté d’offrir des solutions de rechange à Nixon, y compris nos regrets pour ses sentiments d’offense ; nous avons fait beaucoup pour éviter un procès, car il nous semblait que ni les droits des transsexuel-le-s ni les droits des femmes n’allaient progresser en demandant au tribunal, c’est-à-dire à « l’homme », d’en décider. Donc, c’est ma première réponse : cela ne dépendait pas de nous, certainement pas. Mais après avoir été traînées devant le tribunal, nous n’avions pas d’autre choix que de nous défendre, parce qu’il était important pour nous d’avoir créé un service et d’avoir bâti une collective autonome où nous avions le droit de prendre ces décisions, et que nous n’avions pas à courber le dos simplement parce que quelqu’un pensait différemment.
MM : Merci beaucoup de m’avoir parlé de tout cela. Y a-t-il autre chose que vous aimeriez ajouter ?
LL : J’imagine qu’il est important de dire que toute cette histoire a été transcrite et archivée. En vous rendant sur le site de Rape Relief, vous pouvez voir les arguments qui ont été soulevés devant les tribunaux, les coupures de presse, les communiqués de presse que nous avons publiés – il m’est difficile de me les rappeler point par point, c’est arrivé il y a tellement longtemps, mais il y a aussi beaucoup de choses rédigées de façon intelligente et complète dans l’Australian Feminist Law Journal et dans les Cahiers canadiens de la femme.
Entrevue réalisée par Meghan Murphy.
Meghan Murphy est écrivaine et journaliste indépendante, et fondatrice et directrice du site Feminist Current. Elle a obtenu une maîtrise au département d’Études sur les femmes, le genre et la sexualité de l’Université Simon Fraser en 2012. Elle travaille actuellement à un livre qui invite à un retour vers un féminisme plus radical, rappelant la deuxième vague et ancré dans la sororité.
En plus de sur TRADFEM, vous pouvez trouver ses écrits en version originale dans les médias Truthdig, The Globe and Mail, Georgia Straight, Al Jazeera, Ms. Magazine, AlterNet, Herizons, The Tyee, Megaphone Magazine, Good, National Post, Verily Magazine, Ravishly, rabble.ca, xoJane, Vice, The Vancouver Observer et New Statesman. Meghan a également participé à l’anthologie Freedom Fallacy : The Limits of Liberal Feminism.
Elle a entre autres été interviewée par Radio-Canada, Sun News, The Big Picture avec Thom Hartmann, BBC Radio 5, et Al Jazeera, ainsi que dans de nombreux autres médias. Isabelle Alonso a publié une interview d’elle sur son blog. Vous pouvez également la suivre sur son fil Twitter à @MeghanEMurphy.
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Version originale de cette interview : https://www.feministcurrent.com/2012/05/14/rape-relief-v-nixon-transphobia-and-the-value-of-women-only-space-an-interview-with-lee-lakeman/
Traduction : TRADFEM
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Avec amour et solidarité,
Les femmes de Feminist Current
Suite à une erreur dans mon postage de commentaire je le remet au bon endroit. :
« On peu ne pas vouloir inclure de femmes trans dans certains espaces non mixtes mais de la a parler d’elles en tant qu’hommes et au masculin c’est ajouter une violence inutile. Le texte ne donne pas les moyens de se faire une opinion en particulier ce questionnaire d’entré qui aurais été utile pour comprendre vos critères. Je suis pas toujours pour l’inclusion des femmes et hommes trans dans les espaces non mixtes reservé aux femmes. Mais c’est pas pour autant que je veux blesse les personnes trans. Cette personne est venu pour demander du soutiens face à un viol qu’elle a subit … Si ça vous écorche de dire « femme trans » dites au moins « personne trans » ca permet l’usage du feminin sans changer votre propos et ca epargne des souffrances a des gentes qui souffrent deja. »
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Vous écrivez « Cette personne est venu pour demander du soutiens face à un viol qu’elle a subit … »
Si vous parlez de Kimberly Nixon, vous faites erreur. Il n’a jamais dit avoir subi un viol; il voulait simplement être assigné comme préposé à la ligne téléphonique de réponse aux victimes de viol.
Quant à l’usage du féminin, si vous tenez à présumer que toute personne se disant femme en est une, libre à vous, mais ce n’est pas toujours le cas.
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Merci pour la précision sur l’histoire du viol. Il me semble que le texte dit juste que le centre contre le viol l’a envoyé promené et j’avais imaginé que cette personne était venu en tant que vicitime.
Sinon utilisé la tournure « une personne » permet le féminin sans faire de la personne une femme. Ca permet de mettre tout le monde d’accord sans blessé inutilement les personnes trans et sans les assimilé à des femmes. Mais manifestement ca vous amuse de faire souffrir inutilement ces gens quant ca ne coute pas grand chose de dire « personne » au lieu de « homme » et que ca n’enlève strictement rien aux femmes.
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Vous êtes entièrement libre de vos interprétations.
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Oui je le savais deja. Merci Monsieur
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« Sinon utilisé la tournure « une personne » permet le féminin sans faire de la personne une femme. Ca permet de mettre tout le monde d’accord sans blessé inutilement les personnes trans et sans les assimilé à des femmes. Mais manifestement ca vous amuse de faire souffrir inutilement ces gens quant ca ne coute pas grand chose de dire « personne » au lieu de « homme » et que ca n’enlève strictement rien aux femmes. »
On ne va pas se priver de désigner les gens tels qu’ils sont dans la réalité juste pour éviter de blesser leur orgueil. A quoi cela sert il de défendre l’exclusion de certains transgenres d’espaces non mixtes si c’est pour ne pas admettre qu’ils ne sont pas des femmes? Comment peut on mettre tout le monde d’accord sur la notion d’identité de sexe quand féministes radicales et transgenres ont une opinion diamétralement opposée sur la question?
Cacher la vérité derrière le terme neutre de personne afin de ne pas dire aux transgenres ce qu’ils ne veulent pas entendre est juste un mensonge par omission, ou de l’hypocrisie.
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Voilà.
Et nous parlons ainsi d’une minorité de trans, les extrémistes qui veulent abolir l’identité de classe des femmes en s’y imposant de force, abolir les mesures adoptées pour tenter de compenser la domination historique masculine dans une foule de domaines, censurer toute parole de femme parlant des réalités propres aux femmes, à commencer par l’oppression sexiste.
Il y a malheureusement BEAUCOUP de choses que ces transgenres ne veulent pas entendre. Mais heureusement, il y a de plus en plus d’autres trans et résistant-e-s aux stéréotypes de genre qui leur tiennent tête en refusent l’appropriation de leur condition et de leur dissidence par les misogynes.
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