PAR JULIE BINDEL, POUR NEWSWEEK, LE 9/20/17

Des personnes manifestent pour protester contre l’arrestation du personnel de bureau du service d’escortes masculines Rentboy.com, devant la Cour fédérale de Brooklyn, à New York, le 3 septembre 2015. (Photo : REUTERS / MIKE SEGAR)
Voici un extrait du livre The Pimping of Prostitution: Abolishing the Sex Work Myth, de Julie Bindel, publié par Palgrave Macmillan et qui paraît le 28 septembre.
Le mouvement VIH / sida est largement perçu comme mettant l’accent sur les droits civils et les soins de santé pour des groupes vulnérables. La perception populaire est que ce mouvement se compose d’activistes sensibles aux droits des personnes, d’experts médicaux et de scientifiques, qui recherchent les meilleures méthodes de prévention et éventuellement un remède pouvant guérir le sida. Ce qui est beaucoup moins connu est que le mouvement du sida et les énormes sommes d’argent qui lui sont attachées ont fait plus pour façonner la politique, la pratique et la législation sur le commerce international du sexe que tout autre mouvement de l’histoire.
Des sommes pharamineuses ont été versées dans des programmes de « sécuri-sexe » destinés aux acheteurs de sexe. En d’autres termes, des efforts considérables ont servi à aider des hommes à continuer à payer pour du sexe. En effet, sans le soutien de l’approche dite de « réduction des méfaits » du VIH / SIDA, le lobby pro-dépénalisation, y compris des organisations comme Amnesty International (IA), n’aurait certainement pas gagné autant de terrain.
Les arguments des activistes et des experts du SIDA en faveur d’une décriminalisation générale de l’industrie du sexe sont simples mais horriblement déficients. Ces personnes et organisations crient à tous vents que si l’on mettait fin à toutes sanctions pénales contre le commerce du sexe, y compris pour le proxénétisme, la tenue de bordels et l’achat de sexe, les taux de VIH chuteraient. Je vais explorer et disséquer ces prétentions du mouvement pro-dépénalisation et examiner de près les relations entre le monde du VIH et le lobby pro-prostitution. Je soutiens que l’approche de la réduction des méfaits est préjudiciable pour les femmes qui sont dans l’industrie du sexe et qu’en fait, elle multiplie les violences à leur égard.
Au début de la crise du sida au milieu des années 80, de l’argent a été fourni à deux groupes particuliers de l’hémisphère Nord : les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes et les femmes impliquées dans la prostitution dans la rue. De façon compréhensible, les hommes homosexuels étaient en première ligne des organismes de bienfaisance et des interventions de services de santé, et certains d’entre eux ont créé des organisations qui ont tenté de traiter de façon holistique avec les groupes les plus à risque. En conséquence, de nombreux projets consacrés à la prévention et au traitement du VIH ont été gérés par des hommes homosexuels, y compris ceux dont la clientèle était composée de femmes présentes dans le commerce du sexe.
En raison de la stigmatisation associée au sida provoquée par l’intolérance anti-gay et l’information déficiente véhiculée par les gouvernements et des organisations religieuses, de nombreux projets consacrés à ce problème ont eu des activités de sensibilisation et de lobbying. Les séropositifs ont fréquemment été qualifiés d’« artisans de leur propre malheur ». Le chef de police du Grand Manchester, James Anderton, par exemple, les a qualifiées de « captifs d’un tourbillon septique de leur propre fabrication ».
Malheureusement, les opinions libertariennes masculines des gays ont exercé une influence déterminante sur le discours, associant habituellement la « sécurité » avec le « moralisme » en réaction à toute analyse du « sexe et de la sexualité ». Plutôt que de critiquer l’industrie du sexe comme un mode de vie dangereux pour les personnes impliquées, le message transmis au grand public et aux utilisateurs de services s été celui d’une prétendue réduction et minimisation des méfaits. Le préservatif a été présenté comme une panacée, et l’on a négligé les occasions d’examiner les dangers de l’industrie du sexe.
Échapper à la prostitution
Andrew Hunter, un homme gay né en 1968 dans le Queensland, en Australie, a quitté la maison à 17 ans pour vivre dans les squats du quartier Gunnery, à Sydney, où habitaient des gens identifiés à la culture alternative « queer », y compris bon nombre de personnes considérées comme des exclus. Hunter s’est impliqué dans la prostitution de rue à Sydney, et à 19 ans, il a déménagé à Melbourne, où il s’est prostitué dans le quartier mal famé de St-Kilda.
Avant son décès en 2013, Hunter est devenu président du Global Network of Sex Work Projects (Réseau mondial de projets de travail du sexe – NSWP), responsable des programmes et politiques pour le Asia-Pacific Network of Sex Workers (Réseau Asie-Pacifique des travailleurs du sexe – APNSW) et un membre du Groupe consultatif sur le VIH et le travail sexuel du Programme commun des Nations Unies sur le VIH / SIDA (ONUSIDA). Pendant sa période d’activisme, Hunter a fait campagne pour faire décriminaliser le commerce du sexe et considérer la prostitution comme un travail. Il a ouvertement soutenu des organisations telles qu’ONU Femmes, en envoyant un message de soutien à sa position sur le « travail du sexe en tant que travail » quelques mois avant sa mort. Avec le Prostitutes Collective of Victoria (PCV), Hunter a lancé le premier service de sensibilisation masculin à St-Kilda et un programme de distribution de seringues.
Parlant de sa période de prostitution à St-Kilda, Hunter a déclaré : « Heureusement, j’ai été sauvé par les agents de sensibilisation du PCV plutôt que par les dames de l’Ordre de St Mary qui distribuaient des sandwiches.» Mais en fait, le PCV, fondé en 1978 par Cheryl Overs, une militante des droits des « travailleuses du sexe » a fait tout sauf « sauver » les personnes impliquées dans le commerce du sexe. Leur permettre d’échapper à la prostitution n’a jamais été l’un de ses objectifs.
En tant que leader du PCV, Overs représentait l’industrie du sexe sur le Groupe de travail sur la prostitution du ministère australien de la planification, qui a conseillé au gouvernement de Victoria la politique ayant mené à la décriminalisation de la prostitution pratiquée à l’intérieur, y compris l’activité des proxénètes, des propriétaires de bordels et toutes les autres tierces parties profitant de cette industrie. Le PCV a rapidement pris le leadership du débat sur le sida. En 1988, le PCV a accueilli la Conférence sur le débat concernant la prostitution et le sida à Melbourne, qui a conduit à la formation de la fédération pan-australienne des organisations de « droits des travailleurs du sexe » : la Scarlet Alliance.
En 1989, Overs a commencé à faire campagne en Europe, en débutant sa carrière de l’autre côté du monde en tant que conseillère du Programme mondial sur le sida à l’Organisation mondiale de la santé, en contribuant aux conférences et publications internationales sur le sida telles que AIDS in the World du Harvard AIDS Institute, et en aidant à créer le Conseil international des ONG de lutte contre le sida (ICASO). Déjà à cette époque, les mondes de la prostitution et du sida n’en faisaient plus qu’un, tant en termes d’idéologie qu’au niveau des politiques.
Lors de la Conférence des opportunités pour la solidarité des ONG du VIH / sida tenue en 1992 à Paris, Overs et Paulo Henrique Longo ont fondé le NSWP. En 2004, le NSWP a condamné la résolution des Nations Unies contre la prostitution et la traite des êtres humains en la qualifiant de « contreproductive à des programmes efficaces de prévention du VIH / SIDA dans le monde entier ». Leur point de vue a été partagé par des centaines d’individus et d’organisations qui ont signé en 2005 une lettre d’opposition à cette résolution adressée au président des États-Unis. La vice-présidente du NSWP, Alejandra Gil, qui a également coprésidé le Groupe consultatif d’ONUSIDA sur le VIH et le travail du sexe et le Groupe mondial de travail sur la politique du VIH et du travail du sexe, a été arrêtée pour trafic sexuel en 2015 et condamnée à 15 ans d’incarcération.
- Une femme attend dans la discothèque de Pascha à Salzbourg, en Autriche, le 16 juin 2015. Les arguments des militants et des experts du SIDA pour la décriminalisation globale du commerce du sexe sont simples mais horriblement déficients. (Photo : REUTERS / LEONHARD FOEGER)
Overs demeure active dans l’univers pro-prostitution et du sida. En 2012, elle a prononcé un discours d’ouverture à la Conférence internationale sur le sida et, la même année, a fait une présentation sur les « droits des travailleurs du sexe » au Conseil des droits de l’homme de l’ONU (CDHONU). Elle est actuellement chercheur honoraire à l’Université de Sussex au Royaume-Uni, la même qui accueille un certain nombre d’universitaires pro-prostitution qui nient la réalité du trafic sexuel.
Depuis la fin des années 1980, la plupart des politiques concernant la prostitution sont déterminées par le financement dévolu au sida, notamment par la Fondation Bill et Melinda Gates et par l’Open Society Foundation (OSF), fondée par le multimilliardaire George Soros. Il ne fait guère de doute que le financement lié au sida a pesé lourd dans la prestation de services et les politiques en matière de prostitution et de commerce du sexe, dans un monde où Rupert Murdoch contrôle les médias, et Bill et Melinda Gates et l’OSF contrôlent le discours sur la prostitution. L’OSF n’est pas seulement un généreux bailleur de fonds d’AI, d’Human Rights Watch (HRW) et d’ONUSIDA, mais aussi d’un certain nombre de groupes de pression pro-prostitution dans le monde entier. Soros est le principal soutien financier du lobby pro-légalisation dans le monde; son organisation est ouvertement pro-légalisation et il a subventionné des rapports sue lesquels AI s’est appuyé afin de soutenir leur position. L’OSF a fait des dons à ONUSIDA et au PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement) qui, tout en prétendant qu’ils sont des institutions indépendantes, reconnaissent « le généreux soutien financier » de l’OSF. Ce financement a eu des impacts sur la législation : l’ODF subventionne le groupe de pression Sex Workers’ Alliance Ireland, qui fait campagne contre le modèle nordique de pénalisation des acheteurs, et soutient la militante Laura Lee dans sa tentative de faire réformer la loi abolitionniste adoptée en Irlande du Nord.
HRW n’avait d’abord pas de politique sur la criminalisation et la dépénalisation, mais cette organisation a récemment pris les armes en faveur de la dépénalisation totale, peut-être sous l’influence d’un financement reçu de Soros, qui leur a notamment donné en 2010 une subvention de 100 millions de dollars sur dix ans. Le NSWP est également financé par l’OSF.
Les données les plus récentes, datant de 2013, montrent que 56 ONG ont investi 9,6 millions de dollars (8 millions d’euros) dans des projets pro-prostitution et de promotion de sa décriminalisation. Les cinq principaux donateurs étaient l’Open Society Initiative, la Ford Foundation, l’American Jewish World Service, le Red Umbrella Fund et Mama Cash (un fonds pro-prostitution pour les femmes basé aux Pays-Bas). Sur ces 9,6 millions de dollars, 3,6 millions ont été investis en santé, 1,68 million en services juridiques et les autres 5,3 millions ont été dépensés en activités de plaidoyer et de lobbying politique; en d’autres termes, on a mis un énorme accent sur la promotion de la dépénalisation au-delà de l’aide pratique à long terme pour les femmes prostituées, comme les services de santé et la réduction de la pauvreté.
La Fondation Ford a été signalée comme le principal donateur auprès des organisations pro-prostitution, la subvention moyenne de la Fondation Ford aux organisations de « travailleurs du sexe » dépassant 100 000 $. La Ford Foundation a été l’un des principaux partisans (avec Mama Cash et l’Association pour les droits de la femme et le développement [AWID]) de la série d’articles « Women’s Rights and Gender Equality in Focus » publiée par The Guardian en février 2014.
L’American Jewish World Service (AJWS) soutient que les femmes qui critiquent la prostitution en tant qu’institution de violence masculine ne sont pas féministes et ne sont pas meilleures que les racistes et les fanatiques homophobes. L’AJWS est l’un des principaux bailleurs de fonds des activités de plaidoyer par et pour les activistes pro-prostitution. Il offre actuellement 500 000 $ par année en subventions à 17 organisations qui soutiennent les droits des « travailleurs du sexe » dans huit pays en développement.

Une militante à demi-nue du groupe de défense des droits des femmes, FEMEN, crie des slogans où elle proteste contre la prostitution à Kiev, en Ukraine, le 21 juin 2012. (Photo : REUTERS / GLEB GARANICH)
Fondée en 1985, l’organisation Red Thread est devenue l’une des voix les plus vigoureuses en faveur de la normalisation du « travail du sexe » comme forme légitime d’emploi. Une grande partie de sa publicité est venue de l’attention médiatique entourant de deux « Congrès de Putains » qu’elles ont organisés. Leur argumentation ressemble à celle du Collectif anglais des prostituées et de la Sex Workers Open University (Université ouverte des travailleuses du sexe) au Royaume-Uni. Au cours de ses premières années, cette organisation était financée à 100 p. 100 par le gouvernement (malgré sa revendication du statut d’ONG) et une grande partie de ce financement gouvernemental a été consacré à l’ouverture de The Red School, où de nouvelles prostituées apprenaient à mieux desservir des clients masculins.
Le Red Umbrella Fund est, pour sa part, composé d’un réseau mondial de projets «travailleurs du sexe». Il dit «renforcer et assurer la pérennité du mouvement des « droits du travailleur du sexe » en catalysant de nouveaux fonds pour les organisations dirigées par les travailleurs du sexe et leurs réseaux nationaux et régionaux ». Le Red Umbrella Fund a été soutenu financièrement par six grandes fondations : AJWS, Comic Relief, la Fondation Levi Strauss, le MAC AIDS Fund, Mama Cash et l’OSF. Depuis sa création en 2012, elle a donné 63 subventions aux organisations de défense des droits des travailleurs du sexe dans 42 pays. Le Fonds ne fournit des subventions qu’aux organisations « dirigées pour et par les travailleurs du sexe » et refuse de considérer les demandes de subvention d’organisations abolitionnistes, quelles que soient les circonstances.
Les ONG de lutte contre le sida sont également aptes à lever des montants extraordinaires d’argent grâce à des événements de charité ad hoc, des campagnes de charité périodiques et des versements directs reçus de donateurs privés. Étrangement, les ONG liées au sida ont découvert en la misogynie un moyen très utile de susciter les dons. En Australie, par exemple, la Fondation Bobby Goldsmith (BGF) est un important organisme caritatif à l’origine d’activités de plaidoyer et de recherche sur le SIDA. Le patron de BGF est le juge Michael Kirby, qui est sans aucun doute le plus important des défenseurs australiens des droits de la personne. Mais le juge Kirby est également le patron de Touching Base, une organisation qui soutient que les hommes handicapés ont un droit humain fondamental à l’utilisation de femmes prostituées.
Gâteau raciste
Le BGF accueille un concours annuel de gâteaux, où les gâteaux donnés sont vendus au plus offrant. C’est un événement très couru sur le calendrier des VIP de la collectivité réunie autour du sida et de l’industrie du sexe. Je suis informée de manière fiable, par une amie australienne, qu’aucune année ne s’est écoulée sans que ces gâteaux n’aient présenté les femmes comme des cibles de violence et d’humiliation. En 2008, le plus célèbre de ces gâteaux a représenté Paris Hilton qui, à l’époque, purgeait une peine d’emprisonnement pour possession de drogue, dans une situation où elle était sodomisée par une prisonnière lesbienne noire tatouée et sanglée d’un godemiché sous les yeux horrifiés d’un chien miniature derrière les barreaux d’une prison. Ce gâteau vil, sexiste et raciste, qui s’est vendu 7 000$, a remporté le premier prix et reste le gâteau le plus cher que la BGF ait jamais vendu; et pas la moindre plainte n’a été déposée à ce sujet.
Les acteurs clés de la politique entourant la prostitution sont les mêmes acteurs clés que ceux qui orientent de la politique du sida. Cela met en évidence le caractère commun des compétences et du peu de compréhension de la soi-disant réduction des risques comme remède aux violences masculines contre les femmes et les jeunes filles. Par exemple, le député Tim Barnett, le responsable de la décriminalisation de la prostitution en Nouvelle-Zélande par le biais de son projet de loi d’initiative parlementaire, est un gay ayant des liens étroits avec des organisations pro-prostitution au Royaume-Uni. Après sa prise de retraite de la politique, il a occupé des rôles de premier plan dans des organisations de lutte contre le SIDA en Afrique du Sud, où il a travaillé en étroite collaboration avec le Dr Nothemba (Nono) Simelela. Simelela, le conseiller en politique du sida le plus respecté en Afrique du Sud, est une personne fascinante digne d’une enquête plus approfondie.
L’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) est le plus important bailleur de fonds d’ONG affilié à un gouvernement au monde, avec 22,3 milliards de dollars alloués pour être distribués à diverses organisations. Historiquement, l’USAID a limité ses fonds aux ONG qui s’opposaient officiellement et publiquement à la prostitution et au trafic sexuel avec l’exigence que tous les bénéficiaires de dons signent un engagement anti-prostitution avant la libération des fonds.
En 2005, l’Open Society Initiative (OSI) (une véhémente partisane de la prostitution) a traduit l’agence USAID devant des tribunaux en alléguant que demander aux ONG de signer un engagement anti-prostitution pour recevoir un financement équivalait à un déni de liberté d’expression aux termes du Premier amendement de la Constitution américaine; l’OSI a remporté ce litige. Bien que la validité et l’utilité de cet engagement aient été contestées par les deux camps du débat sur la prostitution, ce succès de la contestation de l’OSI démontre combien d’argent et de temps ils possèdent et sont disposés à mettre au service de la promotion de la prostitution.
Julie Bindel est journaliste et militante féministe, et écrit sur la violence à l’égard des femmes et des filles, en visitant autant de pays où on lui permet de se rendre pour enquêter à ce sujet.
Version originale: http://www.newsweek.com/great-sex-trade-swindle-how-aids-campaigners-joined-fight-pimp-prostitution-668359
Traduction: TRADFEM, avec l’accord de l’autrice