Par Glosswitch, dans The Independent, le 20 juin 2017
Pas un politicien n’exige encore d’enquête sur la façon dont les hommes de notre pays sont devenus si radicalisés qu’ils massacrent leurs partenaires féminines à raison de deux par semaine.

On nous demande de croire qu’il n’existe pas de lien réel entre la fétichisation pornographique de la soumission féminine et la violence masculine contre les femmes et les filles.
La misogynie est-elle une forme d’extrémisme ? Chaque fois que je vois des déclarations comme celle de la première ministre Theresa May sur la nécessité de s’en prendre à « toutes les formes d’extrémisme », je ne peux pas m’empêcher d’insister pour que nous ajoutions à cette liste la haine des femmes.
Après tout, c’est une question politique. La misogynie tue. L’exclusion des femmes ne peut et ne doit pas être séparée de la violence qui leur est faite.
Samedi dernier, le cadavre d’Ellen Higginbottom, 18 ans, a été découvert dans le parc aquatique d’Orrell. Deux hommes ont depuis été arrêtés pour soupçon de meurtre, et la police de la ville de Manchester a déclaré ne pas exclure « un motif sexuel ». La misogynie, par contre, n’a aucunement été mentionnée comme motif.
Que les hommes puissent haïr une femme assez pour la tuer afin de se procurer une excitation sexuelle est apparemment si banal que l’on ne prend même pas la peine de le noter. Si Ellen Higginbottom avait été debout dans une foule quand un fanatique religieux ou un terroriste d’extrême-droite s’y était précipité en voiture, le contexte politique de sa mort aurait sans doute eu droit à un certain degré d’analyse. Au lieu de cela, on nous présente toujours les mêmes raisons traditionnelles pour lesquelles des hommes tuent des femmes : désir sexuel, jalousie et quelques allusions abstraites et décontextualisées à une « perte de contrôle ».
Aucun homme politique ne demande ce qui aurait pu inciter les assassins de Madame Higginbottom à la cibler, tout comme aucun politicien ne réclame d’enquête sur la façon dont les hommes britanniques sont devenus si radicalisés qu’ils massacrent leurs partenaires féminines à hauteur de deux par semaine. Il peut exister une certaine reconnaissance de l’existence de la misogynie et du caractère problématique de la violence masculine, mais on constate une profonde réticence à relier ces deux problèmes. La culture qui nourrit le désir des hommes de faire mal aux femmes reste à bien des égards au-delà de toute critique.
Bien sûr, la difficulté de définir la misogynie comme une forme d’extrémisme est que ce n’est pas une position minoritaire. Ce n’est pas que certaines personnes perturbées prennent le point de vue de différentes cultures au sujet des femmes et le déforment, transformant quelque chose de bénin en quelque chose de nuisible. Le préjudice fait déjà partie intégrante de la manière dont fonctionne le genre.
Il est facile de décrire le misogyne moyen sous les traits stéréotypés d’un loup solitaire vivant en marge de la société. Mais la vérité est que cet homme est pleinement intégré à la société dominante, y occupant même peut-être une position de privilège. Un rapport récent publié par ONU Femmes et Promundo, une organisation mondiale impliquant des hommes et des garçons dans la promotion de l’égalité sexuelle, indique que plus les hommes sont instruits, plus ils risquent de se sentir en droit de harceler les femmes.
La misogynie n’est pas une position extrême si par là on entend « exceptionnelle » ou « la plus éloignée de la norme ». Au contraire, à la lumière de ces critères, la position extrémiste devrait être la position féministe. Comme beaucoup de femmes s’identifiant comme féministe, j’ai attendu des décennies avant de me pencher sur le travail d’écrivaines comme Dworkin, Beauvoir ou Firestone, parce qu’elles étaient dépeintes comme « de vraies extrémistes ». Une partie du problème tenait à ce que le mot « radical » dans l’appellation « féministe radical » (désignant le féminisme qui va à la racine même de la misogynie) était devenu injustement associé à la « radicalisation » comme adoption d’une vision du monde exclusive et étroite.
En nous donnant un certain recul, il devrait nous paraître tout à fait honteux que les femmes qui mènent des recherches, prennent la parole, écrivent et se mobilisent en vue d’empêcher les hommes de faire du mal aux femmes soient considérées, au mieux, comme un groupe d’intérêt particulier ou, au pire, comme un culte exclusif. Par contre, les hommes qui dépeignent les femmes comme des objets sexuels, les harcèlent en public, défendent leur « droit » à payer pour les pénétrer et se masturbent tant et plus devant des images de femmes martyrisées, sont, eux, considérés comme des mâles tout à fait normaux.
La raison pour laquelle nous ne remarquons pas tout cela est qu’il est devenu impossible de prendre du recul face à la misogynie.
La raison pour laquelle nous ne remarquons pas tout cela est qu’il est devenu impossible de prendre du recul face à la misogynie. Un poisson ne remarque pas l’eau où il baigne ; c’est pourquoi la sensibilisation a toujours été aussi importante pour le mouvement féministe. Une critique commune aux masculinistes militants est que « les féministes voient la misogynie dans tout ». Hé bien oui. Et il y a une raison évidente pour cela.
L’énormité des violences vécues par les femmes en tant que classe rend celle-ci triviale. Néanmoins, si nous sommes prêt.e.s à examiner la relation entre les manchettes des journaux de droite et le choix fait par un homme de foncer au volant dans une foule de musulmans, nous pouvons également examiner le lien entre la misogynie quotidienne et le choix faits par un homme de violer, torturer et assassiner une femme. Qu’il s’agisse des titres humiliants d’un tabloïd britannique ou du vidéoclip musical typique, nous sommes bombardés de messages qui nous disent que les femmes ne sont pas vraiment humaines, que ce sont de simples objets à ridiculiser, palper et pénétrer. On nous demande de croire qu’il n’existe pas de lien réel entre la fétichisation pornographique de la soumission féminine et la violence masculine contre les femmes et les filles. Nous sommes censés croire que l’effet progressif de la déshumanisation produite par les mots et les images ne compte que lorsqu’il s’agit de groupes qui pourraient inclure des hommes.
Je ne crois pas cela et vous ne devriez pas le croire non plus. Les femmes et les filles méritent mieux. Si nous sommes engagé.e.s à lutter contre la haine sous toutes ses formes, il est temps que nous cessions d’accorder un passe-droit à tout ce qui nourrit le mythe que les femmes n’existent qu’en fonction de ce que des hommes pourraient vouloir leur faire. Il est temps que nous cessions de traiter l’objetisation des femmes — par opposition à celle de tout autre groupe — comme une préoccupation triviale, sinon comme une forme de divertissement. Il est temps que nous cessions de prétendre que les hommes n’utilisent pas des fantasmes de domination pour justifier leur domination de femmes dans la vraie vie.
Si nous pouvions atteindre un point où la violence masculine contre les femmes et les filles était complètement éradiquée, ce serait fantastique. Pour l’instant, contentons-nous de viser un point où les hommes qui déshumanisent les femmes peuvent justement être considérés comme l’extrême et non la norme.
Version originale : http://www.independent.co.uk/voices/extremism-misogyny-need-to-tackle-it-a7800411.html
Traduction : TRADFEM