par Meghan Murphy, VICE, le 8 mars 2017
Des gens nous répètent constamment que le féminisme est pour tout le monde. Ce « féminisme » n’a rien d’inquiétant – tout ce qu’il signifie est « l’égalité ». Mais ces gens ont tort. Le féminisme n’est pas à propos de tout le monde, et peut-être que celles et ceux qui sont effrayés par ce mot ont raison de l’être. Le féminisme est à propos des femmes. Et si vous n’aimez pas cela, vous n’allez probablement pas aimer beaucoup le féminisme.
La semaine dernière, les médias ont publié des allégations voulant que le « féministe masculin » Jamie Kilstein se soit comporté de manière prédatrice et violente à l’égard de femmes. Ce comédien et (maintenant ex) coanimateur de Citizen Radio, un populaire podcast engagé, a longtemps été accueilli par des féministes libérales américaines qui présentaient Kilstein comme exemple d’un véritable « féministe masculin ». Dans la revue Mic, Lauren Rankin écrit : « Les comédiens féministes masculins comme Jamie Kilstein et John Knefel contribuent à rendre le féminisme accessible et cool pour les jeunes hommes qui risquent de ne pas pouvoir le comprendre autrement. Les alliés féministes masculins peuvent rejoindre les hommes plus jeunes d’une manière dont les femmes sont sans doute incapables. »
Même si je crois bel et bien que les hommes doivent remettre en question leurs confrères et les détourner de choses comme la virilité et la violence masculine, la préoccupation principale de Rankin, constamment répétée par d’autres voix libérales, me semble inquiétante. Elle se résume à « Comment faire pour aller chercher plus d’alliés féministes masculins ? »
C’est une question étrange. Pas nécessairement parce que je ne veux pas que des hommes soutiennent l’éradication du patriarcat (je veux dire, ce serait super, bien sûr), mais parce que le féminisme est un mouvement de femmes. J’ai du mal à imaginer l’organisation Black Lives Matter réfléchissant ensemble à la possibilité d’amener des Blancs à mieux les aimer. En d’autres termes, rendre notre politique acceptable pour la classe dominante ne devrait pas être prioritaire dans un mouvement radical visant à transformer la société. Veiller à ce que le féminisme apparaisse « accessible et cool » aux hommes signifie modifier notre message pour le rendre séduisant à leurs yeux, une politique vouée à l’échec s’il en est.
Une vidéo et une transcription publiées sur le site Everyday Feminism (elles ont maintenant été retirées) montre Kilstein expliquant que, « pour les hommes qui n’ont pas peur de se dire féministes », être féministe signifie : « Ne soyez pas un bitard ! Écoutez les femmes, ne soyez pas un bitard envers les femmes. » Kilstein conclut en disant : « Dites-le en même temps que moi : je suis un homme, je ne suis pas un bitard, je ne déteste pas les femmes, je suis un féministe. »
Ironiquement, ses mots illustrent le problème d’un féminisme qui inclut les hommes. Comme je l’ai écrit l’an dernier, encourager les hommes à adopter l’étiquette de féministe s’est avéré une entreprise très réussie, mais elle a fait long feu. Aujourd’hui, tout homme qui a l’impression de « ne pas être un bitard » se sent droit de réclamer sa carte de féministe. Mais quand le féminisme est traité comme un badge, plutôt que comme une idéologie et une forme d’action politique, nous nous retrouvons avec un féminisme dénué de sens.
Ce qui se passe, c’est que la plupart des hommes sont convaincus de ne pas haïr les femmes. Ils ont des mères, des sœurs, des épouses et des filles qu’ils prétendent aimer. Ils sont attirés par les femmes. (La preuve : ils se masturbent constamment à même des corps de femmes !) Mais la misogynie ne se manifeste pas toujours de façons évidentes. Un homme peut aimer sa mère, mais aussi croire que certaines femmes sont « des salopes ». Il peut croire que le viol est une mauvaise chose, mais aussi penser qu’il a droit à du sexe. Il peut dire qu’il appuie les droits reproductifs, mais aussi croire que les femmes sont des nourrices naturelles. Nous vivons dans un monde qui prétend qu’objetiser les femmes et les aimer est une seule et même chose et qui enseigne aux hommes que leurs voix, leurs envies et leurs pensées ont plus de valeur que celles des femmes.
Lorsque le féminisme aborde ces questions – quand nous disons, par exemple, « En fait, le regard masculin est déshumanisant » ou « Non, le sexe n’est pas un droit » – les hommes réagissent avec colère. Annoncer que les choses qu’on leur a enseignées depuis leur naissance et dont on leur a dit toute leur vie qu’elles sont « normales » sont, en fait, nuisibles aux femmes rend les hommes inconfortables. Et c’est très bien comme cela.
Il n’y a rien de mal à ce que des hommes appuient le mouvement féministe. Je sais même que beaucoup d’hommes ont été de bons alliés du féminisme. Mais le genre de féminisme que les hommes appuient et la façon dont ils manifestent leur soutien sont pertinents et révélateurs.
Il existe un genre particulier d’homme qui se considère comme « féministe » mais qui se sert d’insultes pour décrire les féministes radicales, qui dénonce les femmes qui nomment sans détour la violence masculine, qui oppose les femmes les unes aux autres et qui se sent en droit de mépriser les féministes pour qui les femmes sont au cœur de leurs efforts. Ces hommes ont fait leur nid dans le féminisme libéral, celui de la troisième vague – un type de « féminisme » qui rejette et calomnie les féministes radicales, associées à la deuxième vague. Qui autorise et même encourage la haine d’autres femmes. Qui prétend que les femmes qui se prononcent contre la pornographie et la prostitution sont des puritaines maléfiques, et que les féministes partisanes d’espaces non mixtes réservés aux femmes sont intolérantes. Qui rejette ses aînées avec des remarques âgistes les traitant de « déconnectées », « hors-jeu », ou « dinosaures ». (Pouvez-vous imaginer un homme de gauche traitant Marx de « déconnecté » ou « hors-jeu » ?) C’est une sorte de féminisme qui utilise des propos misogynes pour attaquer les femmes auxquelles il s’oppose. C’est un féminisme « sexe-positif », ce qui signifie qu’il ne remet pas en question les rapports sexuels centrés sur le sexe masculin et qu’il va jusqu’à affirmer qu’il est parfaitement acceptable pour les hommes d’acheter le consentement au sexe. C’est un féminisme qui accuse d’être « carcérales » les femmes qui veulent que le système judiciaire amène les hommes à rendre compte de leur violence. C’est un féminisme qui a manipulé le terme « intersectionnel » pour lui donner le sens d’« inclusif des hommes ». C’est un féminisme qui, fondamentalement, place le confort des hommes au-dessus de la solidarité des femmes. C’est le genre de féminisme qui fait appel à des hommes comme Jamie Kilstein et qui sera toujours vulnérable au genre d’hypocrisie illustrée par les hommes de son genre.
Il est inévitable que votre mouvement accueille des misogynes lorsque vous dépeignez les féministes qui priorisent les femmes et refusent de se plier aux exigences des hommes comme les « méchantes ». Et quand, au contraire, vous qualifiez de « bonnes » celles qui accueillent les hommes dans le mouvement, les font se sentir à l’aise, et refusent de critiquer les choses qu’ils aiment. C’est OK, les gars, vous pouvez conserver votre porno – nous irons même le visionner avec vous ! Venez à notre défilé, vous pouvez même marcher au premier rang en portant notre bannière. Bien sûr, vous êtes invités à notre réunion – nous sommes inclusives !
Quand Andrea Dworkin a dit : « Je suis une féministe radicale, pas du genre marrant », voici ce qu’elle voulait dire : Que quoi qu’il arrive, son féminisme était centré sur la libération des femmes et rien de moins. Dworkin refusait de biaiser : son féminisme faisait peur. Elle était le genre de féministe que les hommes n’aimaient pas, parce qu’elle refusait d’essayer de les faire se sentir à l’aise de leur position dans un patriarcat. Elle refusait de nier les torts que les hommes font aux femmes, quotidiennement, partout dans le monde. Elle refusait de se plier à leurs conditions.
Bien que l’on ne puisse pas s’attendre à ce que les femmes sachent toujours qui est abusif et qui ne l’est pas, il existe un moyen facile d’éviter que des hommes misogynes prennent des postes de leaders dans le mouvement féministe : priorisez les femmes dans votre féminisme. Arrêtez de laisser les hommes définir le mouvement d’une façon qui conforte leurs privilèges et leurs désirs. Arrêtez de chercher l’approbation des hommes. Arrêtez de laisser les hommes fixer les limites des discussions et des débats. Arrêtez de soutenir et de valider les hommes dans leur haine et leurs attaques contre les féministes « pas marrantes ». (Ce critère, s’il en est un, devrait servir de drapeau rouge.)
La question de comment veiller à maintenir les prédateurs hors du mouvement féministe est très discutée entre nous. Mais chaque fois que l’on découvre qu’un « féministe masculin » est en fait un agresseur, les personnes d’idéologie libérale se précipitent dans les médias sociaux pour maintenir que ce ne sont #PasTousLesHommes qui sont comme cela et que #NousCroyonsLesFemmes. Ces personnes se tordent les mains et se demandent ce qu’on peut bien faire de tous ces « faux-féministes » parmi nous qui continuent de s’emparer de cette étiquette et de l’utiliser à leur avantage, sans réellement croire au projet de libération des femmes.
Voici pourquoi l’idée de rendre notre politique acceptable pour la classe dominante ne devrait pas être prioritaire dans une entreprise radicale visant à transformer la société. Le mouvement féministe est à propos des femmes, et il est temps de cesser de s’excuser pour cela.
La seule solution consiste à centrer la politique féministe sur les femmes, sans s’en excuser. Oubliez ce que les hommes veulent et aiment. Assurez-vous que votre féminisme est si impénitent, si inconfortable, si peu amical que les hommes qui ne croient pas vraiment à la libération des femmes ne veuillent pas en faire partie. Un véritable allié masculin devrait être là parce qu’il veut soutenir le mouvement, pas parce qu’il veut de l’attention ou du contrôle. Il doit être là après avoir été mal à l’aise pendant un certain temps, après avoir examiné son propre rôle dans la domination masculine, après avoir eu des conversations éprouvantes avec des amis qui achètent du sexe, et après avoir abdiqué la pornographie. Il doit respecter les limites et les espaces des femmes. Il doit comprendre que le féminisme est un mouvement de femmes, pas un mouvement centré sur la vague notion d’« égalité ». Il doit comprendre que le féminisme n’est pas seulement une bonne chose s’il en tire un bénéfice personnel.
La Journée internationale des droits des femmes existe parce que nous comprenons que les femmes et les filles vivent de la discrimination, de l’exploitation et des violences tous les jours, pour la simple raison qu’elles sont nées femmes. Et tant que ces conditions ne seront plus une réalité, nous ne pouvons pas vaciller dans nos objectifs. Le mouvement féministe est à propos des femmes, et il est temps de cesser de s’excuser pour cela.
Version originale : https://i-d.vice.com/en_gb/article/on-international-womens-day-lets-remember-what-feminism-is-really-about-women
Traduction : TRADFEM.
On trouvera sur https://tradfem.wordpress.com plusieurs autres billets de Meghan Murphy, une éditrice et écrivaine canadienne vivant à Vancouver.