Les hommes sont affectés par le patriarcat, mais la vérité est que c’est un système mis en place pour leurs intérêts.
PAR JULIE BINDEL, le 29 septembre 2016, dans Newsweek
Cette semaine, j’ai vu une photo sur Twitter, publiée par une universitaire, d’un groupe d’étudiant·e·s en études de genre. Il n’existe plus aujourd’hui de women’s studies, une discipline qui avait été conçue par des féministes pour tenter de faire entrer des voix et des points de vue de femmes dans les sciences pures, la sociologie, etc., et de révéler les origines et le sens de l’oppression des femmes.
« Genre » est un mot plus sûr, car il inclut les hommes. Mais revenons à cette photo, qui montrait un groupe de femmes timides et souriantes, assises sur le sol, et le seul homme du groupe, debout près de la porte. Je ne possède pas de boule de cristal, mais ce qui va arriver à ce seul homme inscrit au cours ne fait pas de doute. D’une façon ou d’une autre, tout le cours en viendra à tourner autour de lui.
Beaucoup de femmes dans cette salle souhaiteront que le cours soit non mixte, afin de pouvoir aborder les vérités inconfortables à propos des vécus particuliers de grandir en tant que femme en régime patriarcal. Mais les autres femmes vont défendre cet homme, le materner et le protéger.
À toutes les fois où se dit quelque chose de vrai mais de critique au sujet des hommes en tant que classe, par exemple le fait qu’ils assurent moins de soins aux enfants et de tâches ménagères, et qu’ils sont payés plus que les femmes, il y a presque toujours une discrète petite intervention, du genre « sauf pour ceux qui sont ici » ou « heureusement qu’il y en a comme Martin ».
Ces dernières années, on a vu s’imposer graduellement les cris du genre « Il nous faut plus d’hommes dans le féminisme » ou « nous devons inclure les hommes ». Pour contrer les accusations de misandrie que des féministes comme moi doivent constamment subir, les féministes « fun » se fendent en quatre pour assurer les hommes que le féminisme échouera sans leur intervention. Mais le principe même du mouvement de libération des femmes est qu’il défie et cherche à renverser la domination masculine et à libérer les femmes des chaînes du patriarcat. Il va sans dire que la plupart des hommes vont s’objecter à cela. Nous voulons supprimer le privilège qui leur est accordé à la naissance. Le féminisme est une menace pour les hommes, et c’est tout à fait normal.
Les mots-clics comme #HeForShe, et les bouquins de féminisme libéral comme Hot Feminist ont non seulement rien fait d’utile, mais ont en fait entravé le progrès vers l’égalité. Lorsque Owen Jones, chroniqueur du journal The Guardian, a rédigé un article en louange d’une initiative d’Emma Watson, il a obtenu d’être perçu comme un bon gars sans avoir réellement fait quoi que ce soit. Le jour où l’article a été publié, le fil Twitter a été envahi d’éloges signés par des femmes. C’est un peu comme ces hommes qui disent qu’ils « gardent » leurs propres enfants ou qu’ils repassent parfois leur chemise. Les femmes les décrivent comme « des types bien », alors qu’en fait, ils font à peine leur part.
« Les pauvres hommes souffrent aussi du sexisme », a plaidé Jones dans son article, expliquant que Watson était devenue féministe par pitié pour ses amis masculins qui étaient incapables d’exprimer leurs sentiments. Quelle que soit l’inquiétude réelle d’Emma Watson au sujet des hommes qu’elle côtoie, il est typique d’un homme de parvenir à ramener le féminisme aux intérêts des les hommes et à leurs « sentiments ».
Imaginez seulement un·e militant·e emblématique des droits civiques qui dirait qu’il ou elle s’était impliqué·e dans les luttes de libération des Noirs par empathie envers le malaise des Blancs dans tout cela?
Si je suis d’accord avec Watson que les hommes sont affectés par le patriarcat, la vérité est que c’est un système mis en place pour leurs intérêts, et à leur avantage massif. Oui, certains souffrent de sentiments d’humiliation et de doute de soi quand ils pleurent ou s’émeuvent à propos de chatons, mais qui s’en prend à eux quand cela arrive? Ce sont d’autres hommes. Dans le régime de domination masculine, les hommes se surveillent constamment, en agressant souvent les individus les plus faibles. C’est un problème qu’il revient aux hommes de résoudre entre eux, et de faire le genre de travail que fait brillamment mon ami Jackson Katz, un pédagogue anti-sexisme : démanteler la construction sociale de la masculinité.
Ce n’est ni le problème ni la responsabilité des femmes, ni le rôle du féminisme de s’affairer à éponger les larmes des hommes et à leur offrir un sein maternel où sangloter. Les taux de viol et de violence conjugale sont aujourd’hui pires qu’ils n’ont jamais été. La misogynie fracasse des records, avec un porno qui nous agresse de toutes parts et la culture des gars qui se transforme en culture du viol à vue d’œil.
Par ailleurs, les hommes envahissent de plus en plus et vont jusqu’à prendre la tête d’associations féministes étudiantes, et ils exigent d’être partie prenante du féminisme, sous prétexte que les exclure constituerait de la misandrie.
La violence conjugale, le viol, la molestation et l’exploitation sexuelle des enfants sont autant de problèmes propres aux hommes. Ce sont généralement les hommes qui commettent ces crimes contre les femmes et les filles. C’est à eux de choisir de ne pas commettre de tels crimes, et de tenir tête aux autres hommes quand ils le font. Je vous entends déjà vous exclamer « des femmes le font aussi » et « des hommes subissent de la violence conjugale ». Malgré le fait irréfutable que l’immense majorité de ces crimes sont commis par des hommes, il existe un contingent de personnes qui vont se battre bec et ongles pour soutenir le contraire.
Il est vrai que le féminisme a besoin des hommes. Nous avons besoin d’eux pour soutenir nos efforts, pas pour en prendre le contrôle. Nous avons besoin que des hommes apprennent aux autres hommes la façon de se comporter en êtres humains dignes de ce nom, pas qu’ils enfilent une tenue de super-héros et nous sauvent du danger. Le féminisme a besoin d’hommes pour nous appuyer dans nos efforts, pas pour les coloniser pour leur propre bénéfice.
Julie Bindel est journaliste, écrivaine, chroniqueuse électronique et chercheuse, et elle écrit régulièrement pour divers grands médias dont The Guardian, The New Statesman, The Sunday Telegraph et le magazine Standpoint. Elle est également chercheuse invitée à l’Université Lincoln.
Version originale : « Why men must be excluded from feminism to prevent it becoming all about them », http://www.newsweek.com/why-men-must-be-excluded-feminism-stop-it-becoming-all-about-them-504298
Traduction : TRADFEM
Si les hommes veulent être utiles aux féminismes et aux féministes, ils peuvent être un soutien, s’occuper des enfants pendant les manifs et les réunions, faire leurs parts de tâches ménagères voire plus pour libérer du temps aux femmes, se mettre à l’écoute au lieu de prendre la parole, déconstruire leurs rôles d’hommes entre eux, laisser la place ….et surtout ne pas devenir des experts rémunérés du féminisme (ex: prof de fac, on en connaît! !!), ne pas écrire de livres sur le féminisme à la place des femmes mais plutôt nous aider à les éditer en nous en donnant les moyens (si vraiment ils veulent faire quelque chose), bref se mettre un peu dans l’ombre et au service de….
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Il me semble que le titre dit le contraire de ce qu’il devrait signifier. N’aurait-il pas mieux valu écrire :
LES HOMMES DOIVENT ÊTRE EXCLUS DU FÉMINISME POUR EMPÊCHER CELUI-CI D’ÊTRE SEULEMENT À PROPOS D’EUX ?
C’est le problème d’une double négation…
Cela dit, je suis bien d’accord avec l’idée.
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Est-ce vraiment une double négation? Il me semble qu’avec la formule « ne plus être que » le titre actuell rend compte d’une ÉVOLUTION, une dégénérescence des milieux mixtes vers un accaparement de l’attention des femmes par les hommes, ce que l’anglais rendait par « becoming » dans « Why men must be excluded from feminism to prevent it becoming all about them ». Mais bon, ça se discute.
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Je dirais… « LES HOMMES DOIVENT ÊTRE EXCLUS DU FÉMINISME POUR EMPÊCHER qu’il ne soit centré qu’autour de leur petite personne. »
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« Mais le principe même du mouvement de libération des femmes est qu’il défie et cherche à renverser la domination masculine et à libérer les femmes des chaînes du patriarcat. » Julie Bindel a raison. Pour devenir réellement libres les opprimé(e)s doivent se libérer par eux-mêmes. Les chaînes ont tendance à pénétrer jusque dans l’esprit de ceux et celles qui sont opprimé(e)s.
Je doute de la conclusion: « Le féminisme est une menace pour les hommes, et c’est tout à fait normal. » Menace en quoi?
Cependant cet ajout: « et c’est tout à fait normal » voudrait-il signifier que le féminisme d o i t être une menace pour les hommes? Comme dirait Abolisssimo: Mais bon, ça se discute…
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Il n’y a pas de doute à avoir sur la conclusion : nous sommes dans un conflit de classes où les dominants ont des choses à perdre : pouvoirs, bénéfices, privilèges…
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« Un de ces jours j’irai vivre en Théorie
car en théorie tout se passe bien. »
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En tout cas, voilà des gens qui savent choisir leur camp. Je parle bien entendu du journal qui a publié cette, heu, cette chose : un canard de traders, contrôlé par une secte chrétienne, en somme l’alliance de la fiance et du goupillon, il ne manquait que le sabre et le voilà qui surgit sous le masque du néo-féminisme… Des fois, je pense au mouvement de libération des femmes, à son pouvoir subversif, sa rage émancipatrice. Puis je lis ce que publient les néo-féministes pour assassiner un peu plus ce mouvement (dans le journal des amis de Davos !) – et je pleure.
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Bonjour, j’aimerai poser une question ! Il ne s’agit pas d’une critique ou d’une attaque mais d’une question sincère.
Spontanément je trouve logique que les groupes féministes excluent les hommes de leurs groupes: en reprenant un peu l’idée qu’on ne verrait pas un patron dans un syndicat de salariés ou bien ce même patron dans un parti anticapitaliste. C’est tout à fait normal et ça se base sur l’idée que les deux protagonistes ne se situent pas aux mêmes endroits dans une structure (salariale, capitaliste, ce qu’on veut). Mais pour le cas du féminisme, j’ai l’impression que ça ne marche pas tout à fait de la même manière. Ou alors je me trompe ? En fait je me demande si le raisonnement est le même ou pas. Est-ce qu’on peut dire que le patriarcat forme une structure avec des positions opposée (masculin/féminin) ?
Bref je m’embrouille un peu et je profite de l’article pour vous demander.
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Christine Delphy, par exemple, dans L’ennemi principal développe une analyse très convaincante en termes de structure et de classe. Une discussion autour de son travail est dispo ici : http://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2000-2-page-157.htm
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Merci !
J’allais justement m’offrir un livre de Delphy à Noël !
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Pour mettre les choses au clair : je suis un homme. (et oui, je vais faire la leçon, on ne se refait pas)
Cet article me semble répéter une erreur commune, croire que le changement induit par le féminisme ne peut mener qu’à des pertes (pour un « camp ») et à des gains (pour l’autre). Si le principe de patriarcat n’est plus acceptable, il apportait des avantages aux femmes et quelques problèmes au hommes. Il est bien sûr évident que la balance penchait du coté des hommes.
Mais analyser la situation en ne voyant que ce que les hommes perdront (et les femmes gagnerons) ne peut mener qu’à des raisonnement complètement à coté de la plaque comme l’illustre cet article ma fois assez navrant.
Pour faire simple, les hommes ont à y gagner et à y perdre, les femmes aussi, et ils doivent le réaliser ensemble. Exclure du champ du féminisme les hommes me semble tellement contre productif que l’aveuglement que je perçois dans cet article (et d’autres) me semble criminel. Outre que cela coupe les femmes féministes de d’alliés naturels, aucun changement global de système ne se fera sans le consentement éclairé de 49% de la population.
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Vous dites vouloir faire la « leçon » ici, pourquoi n’allez-vous pas plutôt « tenir tête aux autres hommes » qui exercent diverses formes de violence et d’exploitation – comme le suggère l’auteure – il y en a nécessairement autour de vous.
Votre envie de considérer comme un aveuglement criminel l’exclusion des hommes du féminisme témoigne vraiment d’une méconnaissance des enjeux, des vies menacées et des crimes bien réels.
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Merci de conseil, même si je ne vois pas dans mon commentaire un indice comme quoi je ne le fais pas…
Pour information, puisque la réponse est une attaque personnelle, je travaille dans un service d’urgence, avec une majorité de femmes et une minorité d’homme dont une bonne partie est au sommet de la hiérarchie. Je vois tout les jours des comportements déplacés de la part de ces hommes, et oui, je les combats.
Dans le cadre de mon travail, il m’arrive d’être au contact de femmes victimes de violences conjugales (et une fois – une unique fois – un homme) et, j’apporte aide et soutient de mon mieux.
Je suis désolé de votre non réponse, qui me semble plus confirmer le vide de votre réflexion qu’autre chose.
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Je trouve, au contraire, tout à fait signifiante la réflexion de l’autrice et des autres féministes qui en sont venues, après beaucoup d’espoir, à tirer la sonnette d’alarme face à l’impératif libéral de « faire place aux hommes » dans la lutte contre leurs privilèges – sans égard aux volontés des femmes elles-mêmes et aux comportements des hommes qui manifestent cette exigence. Comment ne pas voir dans cette arrogance un reflet d’une culture du viol où la résistance des femmes est dénoncée comme erronée, voire « criminelle » face aux sacro-saints droits réclamés par ces messieurs? S’appuyer sur des comportements corrects pour réclamer qu’on ouvre la porte de n’importe quelle organisation féministe à n’importe quel homme est l’indice d’une stratégie sous-jacente et confirme plutôt le soupçon exprimé par des féministes.
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C’est tout à fait logique. Personne n’irait demander à des syndicats de salarié-e-s d’accepter en leurs seins des patron-ne-ss sous prétextes qu’elles-ils traitent bien leurs salarié-e-s et qu’elles-ils sont conscient-e-s et souffrent des rapports de dominations entre les un-e-s et les autres !…
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L’émancipation des xx se fera par les xx eux.elles mêmes…
On peut remplacer xx par travailleurs, femmes, racisé.es… Toute catégorie qui subit des rapports de domination… Et ce n’est pas un slogan creux !
Pour ce qui est de l’article, le début m’inquiètait un peu, la fin rassure (à peine : c’est un sacré taf, déjà de se libérer soi même des automatismes et en plus d’en convaincre les autres)
Quant à l’endroit où a été publié l’article original, il y a effectivement sérieuse matière à réflexion…
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Julie Bindel est une journaliste d’enquête professionnelle qui porte depuis plus d’une décennie une analyse féministe radicale dans des médias « mainstream » comme The Guardian et Newsweek qui touchent des centaines de milliers de gens, sans compromis. Ce ne sont pas des gens cachés derrière des pseudonymes dans un forum de commentaires qui sont crédibles pour lui faire la leçon…
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