par Meghan Murphy, initialement publié le 14 février 2016 sur Feminist Current
L’édition Web de New York Magazine, The Cut, a annoncé aujourd’hui qu’Emily Ratajkowski, surtout connue pour s’être dandinée à poil dans « Blurred Lines », un vidéoclip de Robin Thicke, est une partisane du candidat Démocrate Bernie Sanders. Génial! J’adore ce type. Mais ce n’est pas vraiment des opinions politiques de Ratajkowski dont se préoccupait l’article.
Sous la manchette « Emily Ratajkowski est fière d’être une « Bernie babe » », le papier de The Cut n’avait rien à voir avec le socialisme … Il n’avait rien à voir, en fait, avec la politique tout court. Je veux dire : imaginez un article sur un partisan masculin de Sanders qui serait présenté de la même façon, cela n’aurait aucune chance de se produire. Personne ne se soucie de ce à quoi ressemblent les hommes qui appuient Bernie Sanders.
Ni le New York Times (le premier à avoir signalé cette nouvelle) ni The Cut ne semblaient intéressés à savoir pourquoi Ratajkowski appuyait Sanders; ils voulaient bien plus souligner qu’une femme chosifiable était une admiratrice de Bernie.
La question la plus importante que le NYTimes ait réussi à formuler a été, « Étant donné qu’elle est – à ce jour – la seule sympathisante de Bernie Sanders à avoir gagné des millions en posant pour des photos en bikini, qu’est-ce qui l’avait motivée à se mettre sous les projecteurs dans la course à la Maison-Blanche ? »
En référence au commentaire généralement mal interprété de Gloria Steinem la semaine précédente, Ratajkowski a déclaré au Times : « J’étais là pour Bernie, pas pour les garçons. » Elle a poursuivi en expliquant :
« Je crois que si vous êtes un personnage public, vous avez la responsabilité de dire quelque chose pour défendre une cause à laquelle vous croyez vraiment et pour l’aider à progresser. Il est incroyablement frustrant que la société semble croire que les femmes ne peuvent être simultanément politiques, féministes et des sex-symbols. »
Franchement, il aurait été vraiment super que Ratajkowski ait dit : « Il est incroyablement frustrant que les étudiants croulent sous les dettes », ou « Il est incroyablement frustrant que tant de gens aux É.-U. continuent de vivre sous le seuil de la pauvreté même en occupant deux emplois », ou « Les soins de santé sont un droit, pas un privilège ». Mais non; on lui a plutôt demandé, apparemment, comment diable une femme aussi sexy pouvait voter!
Le cadrage du soutien de cette femme pour Bernie n’est pas le seul problème ici … La difficulté, c’est que, d’une certaine façon, le féminisme est, dans ce contexte, dépeint en mode Kim Kardashian, à savoir que la quintessence du « féminisme » serait la capacité d’être à la fois baisable et autre chose.
Alors même si, oui, une femme peut être simultanément chosifiée et « politique », « féministe », « une femme d’affaires », une mère, un être humain, etc., cela n’est pas pertinent. Ce qui est pertinent, c’est que nous ne sommes en aucun cas des objets sexuels. Aspirer à être à la fois « politique » et un « sex-symbol » n’est pas un objectif du féminisme; l’objectif est que les femmes soient écoutées et respectées, indépendamment de si oui ou non des hommes ont envie de les baiser.
Si vous voulez demander à une femme pourquoi elle appuie Sanders, demandez-le-lui parce que vous vous intéressez à son opinion, pas à ses nibards. Dans les conditions actuelles, il n’est pas étonnant que les jeunes femmes en concluent : le summum d’autonomisation = la capacité d’avoir des opinions sans quitter sa fonction d’objet masturbatoire.
Meghan Murphy est écrivaine et journaliste indépendante, secrétaire de rédaction du soir pour le site rabble.ca, et fondatrice et directrice du site Feminist Current. Elle a obtenu une maîtrise au département d’Études sur les femmes, le genre et la sexualité de l’Université Simon Fraser en 2012. Elle travaille actuellement à un livre qui invite à un retour vers un féminisme plus radical, rappelant la deuxième vague et ancré dans la sororité.
Meghan a commencé sa carrière radiophonique en 2007, dans une caravane installée au milieu d’un champ de moutons. Son émission s’appelait « The F Word » et était diffusée à partir d’une toute petite île au large des côtes de la Colombie-Britannique. Elle a pleinement profité de la liberté que lui laissait cette radio pirate : buvant de la bière à l’antenne, lisant des passages d’Andrea Dworkin, et passant du Biggie Smalls. Elle est revenue à Vancouver, où elle a rejoint l’émission de radio nommée, coïncidence, elle aussi « The F Word », qu’elle a produite et animée jusqu’en 2012. Le podcast de Feminist Current est le projet « radio » actuel de Meghan, une façon de communiquer une analyse critique féministe progressiste à quiconque s’y intéresse. Feminist Current est une émission syndiquée à Pacifica Radio et hébergée par le réseau de podcasts Rabble.
Meghan blogue sur le féminisme depuis 2010. Elle n’hésite pas à penser à contre-courant et a été la première à publier une critique des défilés Slutwalk, en 2011. C’est l’une des rares blogueuses populaires à développer en public une critique à la fois féministe radicale et socialiste de l’industrie du sexe. Les critiques adressées par Meghan au #twitterfeminism, à la mode du burlesque, à l’auto-objectivation des selfies, et au féminisme du libre choix lui ont valu une foule d’éloges et d’attaques, mais surtout une reconnaissance comme écrivaine qui n’a pas peur de dire quelque chose de différent, en dépit de ce que le féminisme populaire et les grands médias décrètent comme ligne du parti.
Vous pouvez trouver ses écrits en version originale dans les médias Truthdig, The Globe and Mail, Georgia Straight, Al Jazeera,Ms. Magazine, AlterNet, Herizons, The Tyee, Megaphone Magazine, Good, National Post, Verily Magazine, Ravishly, rabble.ca,xoJane, Vice, The Vancouver Observer et New Statesman. Meghan a également participé à l’anthologie Freedom Fallacy : The Limits of Liberal Feminism.
Meghan a été interviewée par Radio-Canada, Sun News, The Big Picture avec Thom Hartmann, BBC Radio 5, et Al Jazeera, ainsi que dans de nombreux autres médias.
Isabelle Alonso a publié une interview d’elle sur son blog.
Vous pouvez la suivre sur Twitter @MeghanEMurphy.
Version originale : http://www.feministcurrent.com/2016/02/14/whether-or-not-a-woman-can-be-political-feminist-and-a-sex-symbol-misses-the-point/
Traduction : TRADFEM
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