Meghan Murphy : Il est grand temps d’envisager un couvre-feu pour les hommes

Illustration Cologne

Groupes de personnes à l’extérieur de la Gare centrale de Cologne, le Jour de l’an. Photo : EPA (via The Telegraph)

 

par Meghan Murphy, initialement publié sur Feminist Current

On vous a laissé votre chance, porteurs de pénis. Et vous l’avez laissée passer. Ce dont vous avez fait la preuve, fois après fois, est qu’on ne peut pas vous faire confiance dès qu’il fait nuit. En Allemagne, la BBC a rapporté que près de 1000 hommes sont arrivés sur la place de la cathédrale de Cologne, la veille du Jour de l’an, avec l’intention d’agresser sexuellement et de voler le plus grand nombre de femmes possible.

Selon le réseau CBC, « quelque 121 femmes ont signalé avoir été volées, menacées ou molestées sexuellement par des bandes d’hommes âgés d’entre 18 et 35 ans, pour la plupart en état d’ébriété, alors qu’elles étaient sorties célébrer ». Des attaques similaires ont également eu lieu à Hambourg et à Stuttgart. Une victime a témoigné au réseau allemand N-TV :

« Vers 23 heures, nous étions à la gare centrale et voulions continuer pour voir les feux d’artifices; c’est à ce moment-là que nous avons remarqué tous ces hommes qui traînaient sur place. Nous avons réussi à entrer dans la cathédrale et voulions dépasser le musée Van Ludwig pour rejoindre tout le monde et regarder les feux sur le bord du fleuve quand nous nous sommes soudain vues entourées par un groupe d’entre 20 et 30 hommes.

Ils étaient très en colère et nous avons dû faire attention pour qu’aucune d’entre nous ne se fasse entraîner hors du groupe. Ils nous tripotaient et nous tentions de nous échapper aussi rapidement que possible. »

Une autre victime, identifiée seulement comme Katja, a raconté ce qui suit à Der Express :

« On m’a tripotée partout : c’était un vrai cauchemar. Même si nous criions et les frappions, ils n’arrêtaient pas. J’étais désespérée et je pense qu’on a dû me toucher une centaine de fois sur un trajet de 200 mètres. Une chance que je portais une veste et des pantalons : si j’avais porté une jupe, on me l’aurait probablement arrachée. »

Au Canada, après une série d’agressions commises l’an dernier sur le campus de l’Université de Colombie-Britannique, la « population » (appelons-les « les femmes », pourquoi pas ?) a été avertie d’être « extrêmement vigilantes face à leur entourage et de prendre toutes les précautions nécessaires à leur sécurité personnelle » lorsqu’elles marchaient seules la nuit, ou si possible, de demander à quelqu’un du service d’escorte du campus de les accompagner à leur destination.

De façon semblable, après les attaques survenues en Allemagne, la Mairesse de Cologne, Henriette Reker, a suggéré aux femmes de rester à « au moins une longueur de bras » des hommes inconnus, leur disant qu’elles « pouvaient sortir et s’amuser mais qu’elles devaient être mieux préparées, spécialement avec le Carnaval de Cologne imminent ». Elle a ajouté qu’un « code de conduite allait être mis en ligne à l’intention des jeunes femmes pour s’y préparer ».

Sur nos campus, les étudiantes vivent constamment sous des menaces : elles craignent de rentrer seules la nuit, d’être violées lors des fêtes, à la sortie des bars et dans leurs dortoirs. Malgré le fait que la violence masculine peut s’exercer à toute heure, c’est la nuit que les femmes craignent le plus d’être attaquées : lorsqu’elles se dirigent vers leur auto ou s’agrippent à leurs clés en marchant d’un arrêt d’autobus au pas de leur porte, lorsqu’elles restent en éveil dans leur lit à s’interroger sur un bruit entendu près de leur fenêtre, ainsi que durant les fêtes arrosées d’alcool comme la Saint-Sylvestre, ou lors d’une simple sortie du vendredi soir.

Il existe des solutions : une véritable révolution féministe; des conséquences réelles pour les hommes qui violent, harcèlent ou agressent les femmes; veiller à ce que les femmes deviennent financièrement autonomes et qu’elles puissent sans danger quitter un agresseur; un changement de culture qui ciblerait les privilèges masculins, la culture du porno et le regard masculin objectivant; la fin du concept de masculinité et plus largement, de la socialisation genrée qui présente les hommes comme des « agents » et les femmes comme des récipiendaires passives de l’« action » masculine – à savoir, l’idée que les hommes doivent « obtenir » des relations sexuelles des femmes, ce qui fait de la coercition un élément normal et prévu des relations hétérosexuelles… Tout ça aiderait.

Mais pendant que nous travaillons à changer ces choses (avec parfois même un peu d’aide de la part de féministes néolibérales qui affirment souhaiter en finir avec la culture du viol, qu’elles arrivent, mystérieusement, à distinguer de tout cela), qu’est-ce que les femmes sont censées faire? Combien de temps faudra-t-il pour que les hommes se débarrassent de la notion profondément enracinée que le corps des femmes leur appartient à eux et que le sexe fait partie de leur droits innés en tant qu’hommes ? Particulièrement quand les progressistes et même certaines soi-disant « féministes » luttent bec et ongles pour s’assurer que les hommes continuent à croire que le sexe est un droit et non un privilège patriarcal ?

Pendant ce temps, les femmes vivent dans la peur. Nous sommes attaquées par des meutes d’hommes agressifs et alcoolisés au passage du Nouvel an. Nous fermons nos portes et nos fenêtres à double tour, mais nous ne dormons toujours que d’un œil. Nous nous méfions à raison de ceux qui nous raccompagnent à la maison le soir. Pendant ce temps, nous ne sommes pas en sécurité. Et les hommes – la plupart des hommes – conservent un passe-droit pour agir comme ils le désirent, puisque la plupart des hommes qui violent, harcèlent et agressent ne sont jamais punis.

Même s’il est vrai que les hommes sont aussi violents durant le jour, et même si, bien sûr, un couvre-feu ne réglerait pas le problème du patriarcat et de la violence masculine envers les femmes, cette suggestion interpelle, en un sens, le problème des droits et privilèges masculins. Même si j’ai plutôt lancé cette suggestion en blague, plus je songe à l’idée d’un couvre-feu pour les hommes, plus elle me semble raisonnable. Pourquoi permettrait-on aux hommes de circuler librement dans ce monde, alors qu’ils ont démontré encore et encore qu’ils ne peuvent pas – ne veulent pas – laisser les femmes tranquilles, cesser de les harceler, les violer, les droguer, les traquer, les siffler comme si elles étaient des chiens, les tripoter et s’exhiber devant elles ? Ce sont nous, les femmes, qui souffrons et vivons dans la crainte.

Et de qui avons-nous peur ? D’autres femmes ? De fantômes ? (OK, il m’arrive d’avoir peur des fantômes – mais seulement quand je dors dans de grandes vieilles maisons pleines de craquements…) Avons-nous peur d’un être sans genre, sans visage et sans corps ? Non, ce dont nous avons peur, c’est d’une personne de sexe masculin. Un homme avec un pénis qu’il utilisera (peut-être, peut-être pas) comme une arme.

Vous vous demandez peut-être quel impact réel aurait un couvre-feu ? Eh bien, ça communiquerait sûrement le message que nous prenons au sérieux le comportement des hommes et qu’il a cessé d’être acceptable. Cela permettrait sûrement aux femmes de circuler de façon plus sécuritaire la nuit – sur les campus, dans leurs maisons, dans les bars et aux arrêts d’autobus. Ça aurait certainement l’avantage d’énoncer le problème. Cela dirait, de façon non équivoque, « Le problème c’est vous, les hommes. Vous êtes le problème, et c’est donc à vous qu’il faut faire échec. »

Voyez-le comme une leçon de bonne conduite pour les hommes. Après une période de temps prédéterminée, nous leur redonnerons accès aux rues après le crépuscule pour voir si les choses se sont arrangées. Si les agressions sexuelles et le harcèlement continuent, et bien, on reviendra au couvre-feu.

Il faut reconnaître qu’ils l’ont vraiment cherché…

Meghan Murphy


Illustration de Meghan MurphyMeghan Murphy est écrivaine et journaliste indépendante, secrétaire de rédaction du soir pour le site rabble.ca, et fondatrice et directrice du site Feminist Current. Elle a obtenu une maîtrise au département d’Études sur les femmes, le genre et la sexualité de l’Université Simon Fraser en 2012.

Meghan a commencé sa carrière radiophonique en 2007, dans une caravane installée au milieu d’un champ de moutons. Son émission s’appelait « The F Word » et était diffusée à partir d’une toute petite île au large des côtes de la Colombie-Britannique. Elle a pleinement profité de la liberté que lui laissait cette radio pirate  : buvant de la bière à l’antenne, lisant des passages d’Andrea Dworkin, et passant du Biggie Smalls. Elle est revenue à Vancouver, où elle a rejoint l’émission de radio nommée, coïncidence, elle aussi « The F Word », qu’elle a produite et animée jusqu’en 2012. Le podcast de Feminist Current est le projet « radio » actuel de Meghan, une façon de communiquer une analyse critique féministe progressiste à quiconque s’y intéresse. Feminist Current est une émission syndiquée à Pacifica Radio et hébergée par le réseau de podcasts Rabble.

Meghan blogue sur le féminisme depuis 2010. Elle n’hésite pas à penser à contre-courant et a été la première à publier une critique des défilés Slutwalk, en 2011. C’est l’une des rares blogueuses populaires à développer en public une critique à la fois féministe radicale et socialiste de l’industrie du sexe. Les critiques adressées par Meghan au #twitterfeminism, à la mode du burlesque, à l’auto-objectivation des selfies, et au féminisme du libre choix lui ont valu une foule d’éloges et d’attaques, mais surtout une reconnaissance comme écrivaine qui n’a pas peur de dire quelque chose de différent, en dépit de ce que le féminisme populaire et les grands médias décrètent comme ligne du parti.

Vous pouvez trouver ses écrits en version originale dans les médias Truthdig, The Globe and Mail, Georgia Straight, Al Jazeera,Ms. Magazine, AlterNet, Herizons, The Tyee, Megaphone Magazine, Good, National Post, Verily Magazine, Ravishly, rabble.ca,xoJane, Vice, The Vancouver Observer et New Statesman. Meghan a également participé à l’anthologie Freedom Fallacy : The Limits of Liberal Feminism.

Meghan a été interviewée par Radio-Canada, Sun News, The Big Picture avec Thom Hartmann, BBC Radio 5, et Al Jazeera, ainsi que dans de nombreux autres médias.

Isabelle Alonso a publié une interview d’elle sur son blog.

Vous pouvez la suivre sur Twitter @MeghanEMurphy.


Version originale : http://www.feministcurrent.com/2016/01/07/its-time-to-consider-a-curfew-for-men/

Traduction : TRADFEM

6 réflexions sur “Meghan Murphy : Il est grand temps d’envisager un couvre-feu pour les hommes

  1. Ségrégation sexuel des hommes ?

    Quel intérêt de sortir la nuit, s’il n’y a plus d’hommes à rencontrer !

    Mais je comprends l’idée ! Ce serait une bonne  » leçons » !

    La solution : envahir les rues et ne pas les laisser aux pervers ! Porter un sifflet !

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    • L’autrice précise bien que sa suggestion est, au départ, facétieuse. Elle est la premiere consciente qu’il s’agit d’un fantasme, celui d’un pouvoir que les femmes n’ont pas d’imposer une telle loi.
      L’idée n’est d’ailleurs pas neuve: elle avait fait l’objet d’une réplique assassine de Mme Golda Meïr à l’époque où elle était première ministre d’Israël, en réponse à un de ses ministres qui proposait un couvre-feu pour les femmes: https://www.pinterest.com/pin/220817187954327534/

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  2. @ Mimi qui dit « Quel intérêt de sortir la nuit, s’il n’y a plus d’hommes à rencontrer !  »
    C’est une blague ???

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    • @ Jojo : je me suis fait la même réflexion.. C’est le problème de la « cool girl » (appelé aussi syndrome Elisabeth Badinter) ; être féministe c’est bien mais faudrait quand même pas se faire mal voir des hommes ! J’ai été moi aussi une cool girl jusqu’à ce que je me rende compte que les hommes ne me respectaient pas plus pour autant.

      Sinon ça fait toujours plaisir d’entendre des conseils sur « comment ne pas être agressée ».

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  3. Pingback: Fracture Salée | Nomoslab

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