
Photo : Thymournia
par Meghan Murphy, initialement publié sur le site de Feminist Current.
Voici des extraits retravaillés et amplifiés de ce que j’ai dit lors d’une table ronde intitulée « Création de plates-formes alternatives pour l’analyse féministe », organisée par le Vancouver Rape Relief & Women’s Shelter dans le cadre de leur événement annuel de commémoration de la Tuerie de Montréal, tenu cette année à la Bibliothèque publique de Vancouver, le 5 décembre.
En tant que femmes, nous comprenons toutes ce que cela signifie de se sentir effacée. On nous porte une attention extrême, et souvent menaçante ou même violente, en tant qu’objets sexualisés, mais en même temps on nous ignore et on nous rejette sommairement quand nous voulons parler véritablement. Les hommes réagissent souvent avec stupeur ou indignation lorsque nos opinions ne concordent pas avec les leurs, et prennent comme un affront toute réponse à leurs opinions qui n’est pas de l’admiration, un sourire ou un rire charmeur. Nous sommes en outre ignorées lorsque nous vieillissons : les femmes de plus de 50 ans sont traitées comme quantité négligeable, n’étant plus baisables et donc plus visibles, selon les critères d’une société androcentrique. Pire encore, quand nous avançons des vérités sur nos vies, en tant que femmes – lorsque nous parlons des réalités de la violence, des agressions sexuelles, du harcèlement ou de la violence intrafamiliale que nous avons vécues – on nous intimide pour nous faire taire ou nous sommes simplement ignorées. On nous ridiculise et on nous punit pour oser troubler la paix tranquille que garantissent l’ignorance et l’apathie. Le vieux dicton voulant que les petites filles doivent être vues, mais pas entendues, ne s’applique pas moins souvent aux femmes adultes aujourd’hui, même si on nous assure que nous avons fait d’énormes progrès.
Tout type de travail, comportement ou activité qui est catégorisé comme « féminin » a droit à la même déconsidération. C’est notamment vrai, comme l’a souligné Rose Hackman le mois dernier dans The Guardian, du travail affectif qu’assurent les femmes. Dans nos relations avec les hommes, on s’attend souvent à nous voir prendre soin des sentiments de chacun et pardonner aux hommes leur réticence à communiquer de façon respectueuse ou responsable ; par conséquent, on nous relègue tout le travail affectif de tout le monde, sous prétexte que les hommes ont simplement « moins de maturité affective que les femmes » et que nous devons « être patientes avec eux ». Comme avec des enfants… Mais des enfants qui gouvernent le monde.
Nous continuons à faire comme s’il y avait simplement certaines choses pour lesquelles les femmes sont naturellement plus douées – les soins aux enfants et aux personnes, la prévenance, l’organisation, le nettoyage, le soin de notre apparence… Et parce que ce sont des « activités de femmes », associées à la féminité, elles aussi sont effacées et considérées comme innées. Nous sommes censées être sans effort des épouses minces, belles, silencieuses, baisables, et productrices de bébés ; on ne nous reconnaît aucun statut social, politique ou économique pour ces fonctions, mais on s’attend néanmoins à ce que nous nous en acquittions avec joie et humilité.
Tout ce que nous faisons dans notre propre vie : nos expériences, nos opinions, nos croyances et nos paroles sont traitées comme frivoles – effacées, marginalisées, sans valeur. À leur tour, nos vies deviennent intrinsèquement sans importance ; il en résulte que notre combat actuel pour accéder au statut d’être humain – plutôt qu’être simplement baisables, soumises au regard masculin et incarnations célébrées du « principe féminin » – bref, ce qu’on appelle le mouvement féministe, est lui aussi dévalué, effacé, discrédité, réduit au silence.
Nous sommes autorisées à parler en notre propre nom tant que nous ne politisons pas ce discours, tant que nous ne tentons pas de relier nos expériences de femmes à celles d’autres femmes, tant que nous prenons garde de n’offenser personne avec ce que l’on qualifie d’expériences personnelles. Car si tout cela n’est que personnel en fin de compte, nos ennuis n’appartiennent qu’à nous – c’est à chacune de nous d’en guérir, de les résoudre, de les surmonter. Il n’existe aucune possibilité de solidarité entre femmes tant que nous n’avons que des expériences personnelles qui, disons-le franchement, relèvent probablement de notre seule imagination.
On ne nous a jamais fait confiance comme narratrices de nos propres récits, a fortiori de ceux des autres.
En tant que femmes et en tant que féministes, nous savons que le travail des femmes est discrédité et que, plus généralement, les difficultés et les vies des femmes sont traitées comme sans importance ou entièrement effacées. Mais que faisons-nous pour remédier à cela ?
Le domaine de l’écriture et du journalisme – toujours ardu, toujours moins rentable et toujours plus concurrentiel – est, dit-on, de plus en plus « féminisé ». Ce qui veut dire qu’il y a de plus en plus de jeunes femmes qui y entrent (ou tentent d’y entrer), mais de moins en moins d’argent à y gagner.
Le journalisme a depuis trop longtemps été dominé par des voix privilégiées, surtout celles d’hommes blancs. Qui relate nos récits ? Cette question est cruciale et l’a toujours été. Le discours public est façonné par les gens à qui l’on permet de relayer des nouvelles, des idées et des débats. Sans les voix et points de vue des groupes marginalisés, il ne nous reste qu’une perspective dangereusement biaisée du monde et de la politique. C’est une leçon que nous a apprise… eh bien, l’ensemble de l’histoire. Celle-ci fut essentiellement racontée par des hommes blancs, qui ont trouvé commode d’effacer entièrement du tableau les femmes et autres personnes marginalisées. Ce faisant, ils se sont attribué le rôle de héros, plutôt que celui de colonisateurs, de violeurs, et de responsables du capitalisme et du racisme exacerbés qui nous pèsent encore aujourd’hui.
Il est certain qu’un afflux de femmes dans le champ journalistique serait une bonne chose. Et on voit effectivement beaucoup de gens vanter les femmes qui aident d’autres femmes à faire entendre leurs voix et connaître leur travail, pour plus d’équité dans le domaine. Mais de quelles femmes parlons-nous ? De quelles voix ?
Quand j’ai commencé à tenir un blog, en 2010, j’étais, je l’avoue, un peu naïve quant aux profondes divergences entre les féministes libérales et les féministes radicales. D’ailleurs, j’éprouve toujours de la difficulté à nommer correctement ces clivages. Quand des femmes rejettent des liens évidents entre diverses formes de violence contre les femmes et qu’elles travaillent à les dissocier de notre subordination collective, je les qualifie de féministes « libérales », « sexe-positives » ou « de la troisième vague », mais sans jamais être tout à fait sûre de l’étiquette la plus exacte. Je sais que cela tient à ma conviction que, si vous ne pouvez pas (ou ne voulez pas) reconnaître les liens qui unissent la prostitution, la pornographie, la culture du viol, le harcèlement sexuel, l’objectivation, le féminicide, la colonisation, la violence conjugale et, plus généralement, la subordination des femmes, vous ne faites pas partie de notre mouvement – le mouvement féministe. En d’autres termes, le problème n’est pas que vous vous y prenez mal, mais bien que vous n’y êtes pas du tout.
Le féminisme est quelque chose de réel. Il signifie quelque chose. C’est une analyse particulière. Ce n’est pas tout ce que n’importe qui prétend ou aimerait qu’il soit. Il n’est pas nécessairement « inclusif ». Il n’est pas tout ce que l’on veut y mettre et n’a pas à l’être – car si le féminisme est tout, alors il n’est rien du tout. Il n’a pas à redéfinir des pratiques misogynes comme autonomisantes quand il se trouve qu’elles nous gratifient individuellement. C’est un mouvement, un mouvement politique. C’est ce que nous appelons la lutte des femmes pour mettre fin au patriarcat et à la violence masculine contre les femmes.
Donc, lorsque nous parlons d’intégrer des voix de femmes au monde du journalisme, il importe de se demander si ces voix sont féministes ou non. Les « voix de femmes » sont en soi utiles parce que les femmes sont des personnes (eh oui !) et qu’elles méritent d’être entendues et de contribuer au débat public. Mais alors que les États-Uniennes d’idéologie libérale s’activent à créer des réseaux, des conférences et des groupes Facebook en appui aux « femmes qui écrivent », tout en prétendant que cela est en quelque sorte « féministe », elles refusent d’admettre que leurs projets sont en fait, à bien des égards, une réplication du vieux « boys’ club » d’antan, mais cette fois avec des femmes.
Quand j’ai commencé à écrire sur le féminisme en 2010, je n’imaginais pas que mes propos susciteraient une telle controverse. Je pensais énoncer une simple évidence en disant que la violence sexualisée sexualise la violence, que la misogynie simulée demeure de la misogynie, que l’objectivation transforme les femmes en objets – des objets qui existent pour être matés, baisés, agressés – plutôt que des êtres humains. J’ai donc été stupéfaite de la véhémence avec laquelle on m’a attaquée pour avoir dit ces choses. Ce qui avait été le féminisme auparavant – le féminisme de nos sœurs de la deuxième vague – était devenu indicible.
Je n’avais pas appris les règles avant de me jeter à l’eau. On a commencé à me publier ici et là, mais j’ai remarqué qu’aucun des grands médias libéraux américains (y compris ceux de gauche) ne publiait de critiques de l’industrie du sexe ou même de l’objectivation des femmes par le regard masculin. Étrange ; ils ne doivent pas être au courant de l’existence de ces critiques, ai-je pensé à l’époque. Peut-être n’ont-ils pas entendu parler du modèle nordique, peut-être ne réalisent-ils pas que la porno de viol peut avoir un lien avec la culture du viol. Je savais qu’il n’était pas cool de qualifier de narcissiques les selfies sexy, ou de faire valoir que, même si s’habiller en strip-teaseuse pouvait vous faire sentir jolie, ces costumes ne subvertissaient rien du tout ; mais je ne réalisais pas encore que je n’avais pas le droit de dire ces choses.
J’ai donc soumis projet d’article après projet d’article, en étant habituellement ignorée. Dans certains cas, les avis de rejet étaient suffisamment explicites pour me communiquer, en termes voilés, que _____.com ne souhaitait pas publier d’articles critiquant la légalisation de la prostitution ou le « féminisme à la Belle Knox » ou interrogeant le mantra populaire « le travail du sexe est un travail ». J’ai compris que les sites web qui dominaient la conversation au sujet du féminisme – et les femmes qui travaillaient pour ces sites – n’étaient pas là pour « aider d’autres femmes ». Elles n’aidaient que leurs ami.e.s, des ami.e.s qui partageaient la même idéologie politique, qui trouvaient la prostitution marrante et cool, qui n’osaient pas remettre en question les idées en vogue, qui pouvaient se permettre de glander à New York aux frais de leurs parents, en courtisant les vedettes d’une coterie médiatique étroitement tissée. Elles étaient lourdement investies dans la diabolisation des féministes de la deuxième vague et dans la promotion d’une version commercialisable du « féminisme », qui misait sur le capitalisme, les tétons et les triques.
J’ai cru au début que ce boycottage relevait de ma seule imagination. Mais ce n’était pas le cas : on m’avait bel et bien blackboulée. Mes textes avaient transgressé la règle tacite à laquelle sont astreintes toutes les jeunes journalistes et écrivaines : restez légères, restez sexy, ne vous aventurez pas au-delà des tweets à la mode qui passent pour du « féminisme » de nos jours. Si vous voulez écrire sur la « putophobie » ou le « slut-shaming » (le fait de blâmer et humilier une femme en raison de sa sexualité jugée débridée), super. Et c’est encore mieux si vous pouvez vanter le radicalisme des Slutwalks et « l’agentivité » de vos riches et blanches amies qui s’identifient comme « travailleuses du sexe ». Mais dire quoi que ce soit d’autre équivalait à mordre la main appelée à vous nourrir. Les féministes libérales et les partisan.e.s de l’industrie du sexe avaient fait cause commune, et c’est ce que reflétaient les médias.
Curieusement (ou pas curieusement du tout), ce dénigrement et ce boycottage s’avéraient semblables (mais à beaucoup plus grande échelle) au traitement auquel j’avais eu droit quand je relatais mon propre vécu de violence sexiste. Moi qui croyais simplement dire la vérité, je ne savais pas que la vérité – la vérité des femmes – est indicible.
Même si les multiples conférences, listes de diffusion, groupes Facebook et réseaux créés à l’intention de femmes journalistes et écrivaines ont été, je n’en doute pas, extrêmement utiles à certaines, ces instances souffrent d’un défaut qui a longtemps maintenu les femmes hors des domaines traditionnellement masculins : le copinage sélectif. Les femmes qui ont réussi à « percer » peuvent le nier, mais si nous analysons de façon réaliste qui sont les femmes soutenues, promues, et dont le travail est rendu visible – ou, au contraire, délibérément occulté, et ce même dans les conversations au sujet de cette visibilité –, ce ne sont pas les femmes en général, mais seulement celles qui acceptent de jouer le jeu.
Au mois d’août dernier, il s’est produit un brouhaha incroyable à propos d’un article de la journaliste Melody Kramer, intitulé « Une liste de tous les groupes secrets de médias sociaux liés au journalisme que j’ai pu identifier ». Le crime dont on l’accusait était d’avoir inclus dans cette liste un groupe Facebook secret, « Binders Full of Women Writers », accessible uniquement sur invitation. (Le groupe n’était, en fait, aucunement secret : Emily Greenberg en avait parlé dans Vogue l’année d’avant et Jonathan Chait, en janvier.) Ce groupe n’a rien de trivial : il compte plus de 31 000 membres. Son but avoué est de « permettre aux femmes qui écrivent de réseauter, d’échanger des conseils et de multiplier le nombre de femmes publiées dans l’ensemble de l’industrie ».
Kramer dit avoir eu pour objectif d’ouvrir des portes à celles qui ne sont pas dans le coup – qui n’appartiennent pas à la coterie dont je parlais plus tôt. « Je suis partisane d’amener de nouvelles voix au journalisme et de les y maintenir », écrit-elle.
« Une des façons d’égaliser le terrain de jeu actuel est de s’assurer que tout le monde connaît les groupes existants. Beaucoup de ces réseaux sont mal annoncés et difficiles à localiser, surtout si vous êtes pigiste ou que vous débutez dans le métier. »
Critiquer ce boys’ club traditionnel et le biais résultant des reportages et des récits publiés n’est pas une tâche facile, mais il est clair qu’abattre les murs et les portes invisibles qui nous ont toutes tenues à l’écart pendant si longtemps est un début.
Pourtant, Kramer a été descendue en flammes par des membres de ce groupe pour avoir simplement reconnu son existence. Elle a été exclue d’un groupe dont les « règles de base », énoncées par Greenberg, mettent l’emphase sur un milieu « relax » et « sans pression », où « sont bienvenues toutes les écrivaines s’identifiant comme femmes, genderqueer, et non binaires, ainsi que l’autopromotion, la promotion d’amies, la conversation ouverte, et d’autres méthodes et tactiques visant à ‘abattre le patriarcat’. »
Abattre le patriarcat, hein ? Oui, tant que vous laissez en place ses murs porteurs, que vous ne touchez pas aux fondations, que vous vous contentez peut-être de réarranger les meubles, de peindre les murs d’un joli jaune ensoleillé et de louer une des pièces pour faire rapidement un peu d’argent…
Des journalistes luttent depuis des générations au nom de la transparence, de la responsabilisation et du libre accès. Pourtant, les médias libéraux et les femmes qui font partie de cette coterie militent contre l’accès et la responsabilisation plutôt que pour ces valeurs.
Dans The Guardian, Barbara Ehrenreich a souligné que seuls les riches peuvent se permettre d’écrire sur la pauvreté. Je connais très bien la réalité qu’elle désigne, celle où les journalistes « ne peuvent pas assumer les dépenses qui leur permettraient à peine d’entamer les articles, les essais photo et les vidéos qu’elles et ils veulent réaliser, et encore moins de trouver un débouché pour couvrir ces dépenses. » Bien qu’une partie de mes revenus actuels provienne de mes écrits, je n’ai habituellement pas les moyens de solliciter des rédactions, a fortiori d’effectuer le travail nécessaire pour la maigre pitance que l’on m’offrira en échange d’un article, si tant est qu’il soit accepté. Je ne pourrais littéralement pas me permettre de faire ce que je sais devoir faire pour l’avancement de ma carrière. Je ne pourrais pas déménager à New York et travailler gratuitement en faisant les bons stages. Merde, je ne pourrais même pas me permettre de terminer l’école de journalisme, organisée de telle sorte qu’il est impossible d’y étudier à temps partiel, ce qui garantit qu’elle accueillera surtout des gens dans la petite vingtaine, qui peuvent habiter gratuitement quelque part et sont subventionnés par leur famille.
Il y a des millions d’autres personnes qui sont beaucoup moins privilégiées que moi, et donc cela m’amuse (de façon plutôt enrageante) de voir de jeunes États-uniennes de classe moyenne vitupérer sur Twitter à propos de « privilège » et de « voix marginalisées », quand elles le font à partir de la sécurité et du confort de l’argent familial, de leurs études haut de gamme, de stages de rêve et d’un toit qui leur est offert. Ce n’est pas une coïncidence si ces femmes et ces hommes sont les mêmes qui écrivent des articles pour Playboy ou Jezebel.com pour vanter le côté autonomisant du « travail du sexe », qualifiant quiconque en disconvient de toute une gamme d’insultes qui relèvent toutes des clichés antiféministes habituels sur les « prudes » et les « haïsseuses d’hommes ». (On a compris, vous vénérez la bite. Mais ce n’est pas une politique ; c’est une chose que disent à 19 ans les jeunes femmes qui manquent d’assurance, pour avoir l’air cool.)
Donc, nous nous retrouvons avec une coterie consistant surtout d’États-uniennes libérales privilégiées, basées à New York, qui ont transformé du copinage sélectif en « féminisme », ont rejeté les femmes qui remettent en question le statu quo patriarcal et capitaliste, et ont bâti leur carrière dans les médias en détournant des mots comme « diversité », « inclusivité » et « privilège ».
Mais revenons un instant au groupe « Binders Full of Women Writers » – cet outil de réseautage professionnel pour femmes ou « dissidents de genre » qui écrivent.
La modératrice et administratrice de leur groupe Facebook, Lux Alptraum, est diplômée d’une grande université et a été présidente directrice-générale, propriétaire et rédactrice en chef du blog pornographique Fleshbot (jusqu’à ce qu’elle le vende à SK Intertainment en 2014). C’est une défenderesse acharnée de la pornographie et de la prostitution, qui passe énormément de temps à présenter l’industrie du sexe comme une préférence de « filles cool », en multipliant les commentaires moqueurs (ou les attaques verbales) contre les féministes qui contestent cette industrie.
Alptraum a créé à partir de ce groupe l’événement BinderCon, un « accélérateur de carrière » de deux jours qui a lieu chaque année à New York et Los Angeles, parrainé par le magazine féminin en ligne Bustle. On est en droit d’affirmer qu’Alptraum y joue un rôle important pour ce qui est de décider qui peut ou non y réseauter – et donc qui a accès à des emplois, du travail et des carrières viables en écriture et en journalisme.
Ce n’est donc pas une coïncidence fortuite si les femmes qui, comme moi, se prononcent contre la prostitution et la pornographie sont intentionnellement exclues de ces groupes et de ces réseaux. Il s’agit en effet d’une politique tout à fait délibérée.
Et cela ne concerne pas seulement les emplois, soit qui est payé pour dire quoi. Cela détermine qui est entendu, quelles voix sont autorisées à parler, à témoigner de leur vécu, quel type d’analyse est accessible, et ce que sont les paramètres du discours. Ils sont fixés par des lobbyistes de l’industrie du sexe.
« Vous n’êtes pas folle » demeure un message radical. Les femmes sont encore socialisées à ne faire confiance ni à elles-mêmes ni à leurs sœurs. Ce n’est pas un hasard si le mouvement féministe réel (pas le « féminisme à la Playboy » qu’on nous force de plus en plus à avaler, comme j’ai écrit récemment dans le New Statesman) est attaqué, effacé et travesti par les médias libéraux et même les médias de gauche. Ce n’est pas par hasard que notre travail – le travail des femmes, le travail de notre mouvement – est soigneusement extirpé du discours par les femmes qui sont déjà dans le système ou qui tentent désespérément d’y entrer. Comme ce n’est pas une coïncidence que les femmes qui se prononcent contre la violence masculine se retrouvent chassées des tribunes, attaquées, vilipendées, calomniées, et que leur emploi soit menacé.
Le nouvel effacement est le même que l’ancien, mais cette fois on parle de « féminisme ». Un genre de « féminisme » qui est non seulement détaché du mouvement féministe mondial, mais qui milite activement contre lui. Qui appuie la « diversité », mais pas la diversité des idées. Un genre de féminisme qui attaque les femmes radicales, sans se priver de vendre des livres qui régurgitent nos arguments (mais sans nous en reconnaître le crédit). Arnaque géniale s’il en fut jamais une…
Meghan Murphy
Meghan Murphy est écrivaine et journaliste indépendante, secrétaire de rédaction du soir pour le site rabble.ca, et fondatrice et directrice du site Feminist Current. Elle a obtenu une maîtrise au département d’Études sur les femmes, le genre et la sexualité de l’Université Simon Fraser en 2012.
Meghan a commencé sa carrière radiophonique en 2007, dans une caravane installée au milieu d’un champ de moutons. Son émission s’appelait « The F Word » et était diffusée à partir d’une toute petite île au large des côtes de la Colombie-Britannique. Elle a pleinement profité de la liberté que lui laissait cette radio pirate : buvant de la bière à l’antenne, lisant des passages d’Andrea Dworkin, et passant du Biggie Smalls. Elle est revenue à Vancouver, où elle a rejoint l’émission de radio nommée, coïncidence, elle aussi « The F Word », qu’elle a produite et animée jusqu’en 2012. Le podcast de Feminist Current est le projet « radio » actuel de Meghan, une façon de communiquer une analyse critique féministe progressiste à quiconque s’y intéresse. Feminist Current est une émission syndiquée à Pacifica Radio et hébergée par le réseau de podcasts Rabble.
Meghan blogue sur le féminisme depuis 2010. Elle n’hésite pas à penser à contre-courant et a été la première à publier une critique des défilés Slutwalk, en 2011. C’est l’une des rares blogueuses populaires à développer en public une critique à la fois féministe radicale et socialiste de l’industrie du sexe. Les critiques adressées par Meghan au #twitterfeminism, à la mode du burlesque, à l’auto-objectivation des selfies, et au féminisme du libre choix lui ont valu une foule d’éloges et d’attaques, mais surtout une reconnaissance comme écrivaine qui n’a pas peur de dire quelque chose de différent, en dépit de ce que le féminisme populaire et les grands médias décrètent comme ligne du parti.
Vous pouvez trouver ses écrits en version originale dans les médias Truthdig, The Globe and Mail, Georgia Straight, Al Jazeera, Ms. Magazine, AlterNet, Herizons, The Tyee, Megaphone Magazine, Good, National Post, Verily Magazine, Ravishly, rabble.ca, xoJane, Vice, The Vancouver Observer et New Statesman. Meghan a également participé à l’anthologie Freedom Fallacy : The Limits of Liberal Feminism.
Meghan a été interviewée par Radio-Canada, Sun News, The Big Picture avec Thom Hartmann, BBC Radio 5, et Al Jazeera, ainsi que dans de nombreux autres médias.
Isabelle Alonso a publié une interview d’elle sur son blog.
Vous pouvez la suivre sur Twitter @MeghanEMurphy.
Version originale : http://www.feministcurrent.com/2015/12/11/erasure/
Traduction : TRADFEM
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Merci ♥
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Tout va très bien, Madame la marquise, tout va très bien, tout va très bien….
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