Andrea Dworkin: Fierté lesbienne

Extrait d’une anthologie de Dworkin, traduite par la collective TRADFEM, à paraître en novembre 2017 aux Éditions du remue-ménage et Syllepse.

cover anthologie dworkin

[Allocution prononcée lors d’un rassemblement de la Lesbian Pride Week [Semaine de la fierté lesbienne] à Central Park, à New York, le 28 juin 1975. Publié à l’origine sous le titre « What is Lesbian Pride » [Ce qu’est la fierté lesbienne] dans The Second Wave, vol. 4, n° 2, 1975.]

Créditer Photo : Bettina Flitner

Photo : Bettina Flitner

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Pour moi, être lesbienne signifie trois choses.

D’abord, cela signifie que j’aime, chéris et respecte les femmes de tout mon esprit, de tout mon cœur et de toute mon âme. Cet amour des femmes, c’est la terre dans laquelle ma vie est enracinée. C’est la terre de notre vie commune à toutes. C’est de cette terre que se nourrit ma vie. Partout ailleurs, je dépérirais. Quelle que soit ma manière d’être forte, elle tient à la force et la passion de cet amour nourricier.

Ensuite, être lesbienne signifie pour moi une passion et une intimité érotiques qui découlent du toucher et du goût ; une tendresse sauvage, salée, une sueur humide et douce ; nos seins, nos bouches, nos chattes, nos poils entremêlés, nos mains. J’évoque ici une passion sensuelle aussi profonde et mystérieuse que la mer, aussi forte et immobile que la montagne, aussi persistante et changeante que le vent.

Enfin, être lesbienne signifie pour moi le souvenir de la mère, un souvenir que mon corps ressent, recherche, désire, trouve et honore réellement. C’est le souvenir de l’utérus, quand nous ne faisions qu’une avec nos mères, jusqu’à ce que la naissance nous arrache à elles. C’est le retour en ce lieu intérieur, en elle, en nous-mêmes, dans les tissus et les membranes, dans l’humidité et le sang.

Il existe une fierté de l’amour nourricier qui est notre terreau commun, une fierté de l’amour sensuel et du souvenir de la mère – et cette fierté brille comme le soleil de midi en plein été. On ne peut avilir cette fierté. Ceux qui voudraient l’avilir sont des gens qui lancent des poignées de boue au soleil. Il continue de briller, et les lanceurs de boue ne font que se salir les mains.

Le soleil est parfois caché par de denses couches de nuages noirs. Une personne qui lèverait la tête jurerait qu’il n’y a pas de soleil. Pourtant, le soleil continue de briller. Le soir, quand il n’y a pas de lumière, le soleil continue de briller. La pluie, la grêle, l’ouragan ou la tornade n’empêchent pas le soleil de briller.

Le soleil ne se demande pas s’il est bon, s’il est méritoire, s’il suffit à la tâche. Non, il brûle et il brille. Le soleil ne se demande pas ce que la lune pense de lui, comment Mars le trouve aujourd’hui. Non, il brûle et il brille. Le soleil ne se demande pas s’il est aussi grand que d’autres soleils dans d’autres galaxies. Non, il brûle et il brille.

Je pense qu’au cours des années qui viennent, notre pays va traverser une effroyable tempête. Je pense que les cieux vont s’obscurcir à en devenir méconnaissables. Celles qui arpentent les trottoirs les arpenteront dans le noir. Celles qui sont en prison et dans les asiles ne verront plus du tout le ciel, mais seulement l’obscurité à travers les barreaux de leurs fenêtres. Celles qui sont affamées et désespérées ne lèveront peut-être même plus la tête. Elles verront les ténèbres à leurs pieds, obscurcissant le sol. Celles qui sont violées verront l’obscurité dans le visage du violeur. Celles que des fous agressent et brutalisent scruteront intensément l’obscurité pour discerner qui s’approche d’elles à chaque instant. Lorsque la tempête fera rage, nous aurons du mal à nous souvenir que, même si nous ne pouvons pas le voir, le soleil brille toujours. Nous aurons du mal à nous souvenir que, même si nous ne pouvons pas le voir, le soleil brûle toujours. Nous essayerons de le voir, et nous essayerons de le sentir, et nous oublierons qu’il nous réchauffe encore, que s’il n’était pas là, à brûler et à briller, cette Terre serait une planète froide, désolée et sans vie.

Tant que nous conservons la vie et le souffle, aussi obscure que puisse être la Terre qui nous entoure, ce soleil continue de brûler, continue de briller. Sans lui, pas d’aujourd’hui. Sans lui, pas de lendemain. Il n’y a pas eu d’hier sans lui. Cette lumière est en nous – permanente, chaude et réconfortante. Souvenez-vous-en, mes sœurs, durant les temps obscurs qui s’annoncent.

Original : http://www.nostatusquo.com/ACLU/dworkin/OurBloodII.html

Version française : TRADFEM.

Copyright © Andrea Dworkin. Tous droits réservés à la succession.

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